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Marché de Noël : jusqu’où la surenchère ?

Après un mois de Marché de Noël au centre-ville de Strasbourg, Mathieu Schneider, vice-président de l’Université de Strasbourg, réagit en tant que « citoyen engagé ».

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Marché de Noël : jusqu’où la surenchère ?

Après 30 jours, le siège de la ville est levé.

Les chalets sont clos, les camionnettes se pressent pour charger les dernières marchandises. Le centre-ville semble reprendre son souffle. La forteresse de pacotille, bravement tenue par des vigiles désabusés, aura finalement tenu bon. Elle aura vu passer certainement plus de trois millions de badauds (on attend les chiffres officiels), dont on espère qu’ils seront repartis satisfaits de leur « expérience » au Marché de Noël. Car c’est de cela qu’il s’agit : une expérience, une manière de dire (en se photographiant) : « J’y étais ! »

La jolie forteresse habillée en carte postale croquignolette aura permis à de nombreux forains, marchands et commerçants de faire de belles affaires. On nous taira sûrement le chiffre, mais s’il permet à des personnes d’en vivre, à des jeunes de se faire un peu d’argent, il faut évidemment s’en réjouir.

Pour les Strasbourgeois, un sentiment amer

Et pourtant, cette édition du Marché de Noël laisse derrière elle un sentiment amer aux Strasbourgeoises et aux Strasbourgeois : on en trouvera peu qui avoueront goûter cette période de l’année. Et il y a des raisons objectives à cela :

1) Voir plus de dix fois la population de la ville défiler dans les rues du centre en quatre semaines (et surtout en quatre week-ends) a de quoi donner le tournis (ou la nausée) : Strasbourg est littéralement asphyxiée, congestionnée. On peine à s’y frayer un chemin, on ne trouve plus une place dans un café ou un restaurant, et revenir avec un caddie rempli de courses ou un landau relève de la course d’obstacles. La petite forteresse a cela de particulier qu’elle est gardée pour la sécurité de ceux qui l’assiègent.

2) La manne financière ne profite qu’à quelques-uns : certains commerces (ceux qui ne sont ni dans la restauration ni dans l’hôtellerie) voient seulement les touristes passer. Leur gain est marginal, en tout cas pas en proportion du nombre de visiteurs. Quant à certains Strasbourgeois (dont je suis), ils font délibérément leurs courses ailleurs. Autant de manque à gagner pour les commerces de proximité qui ont leurs habitués.

3) Mais surtout, la politique écologique de la ville se heurte à une fracassante contradiction. Comment expliquer qu’on demande, avec la prétendue ambition de réduire la pollution aux particules fines, à un habitant des environs de payer 35€ pour trois heures de stationnement lorsqu’il vient faire ses courses ou se rend chez le médecin, alors que des dizaines de bus attendent sur la place de l’Étoile ? Que les forces de l’ordre laissent tourner leurs moteurs aux points de surveillance ? Et que ceux qui circulent tranquillement à pied dans le centre-ville sont venus en avion de Madrid, de Londres ou de New York ? Dissuader les habitants de la ville et de ses environs de prendre leur voiture pour quelques kilomètres, mais laisser affluer en masse les cars et les voyageurs en avion, il y a là un paradoxe à lever.

4) Enfin, qu’est-ce que ces millions de touristes apportent à la ville et à ses habitants ? Des taxes, indirectement, certes, mais surtout… des prix en hausse ! Les tarifs dans les restaurants s’envolent, sans parler des prix des hôtels qui atteignent des niveaux dignes des plus grandes métropoles mondiales. Tout cela a une répercussion indirecte sur le coût des logements privés à moyen et long terme. Et, par effet de vases communicants sur le temps long, le centre-ville se vide de ses commerces et services aux habitants au profit d’enseignes de restauration bas de gamme et de meublés à prix d’or.

Étrangers refoulés, étrangers désirés…

Je ne peux m’empêcher de finir ce texte par une question plus fondamentale, qui fait un douloureux écho à l’actualité. Alors que le Parlement vote une loi pour limiter la venue de quelque centaines de milliers d’étrangers par an en France – des étrangers qui veulent travailler ici, qui consommeront, qui contribueront au dynamisme de la France, qui paieront des impôts, qui alimenteront les caisses de nos retraites -, on ne s’offusque pas de faire venir par millions des visiteurs occasionnels, qui ne viennent que consommer ponctuellement (et heureusement générer quelques profits collectifs par le jeu des taxes), mais qui contribuent aussi à l’augmentation du coût de la vie dans les villes et à la paupérisation d’une partie des Français.

S’il ne faut exclure ni les uns ni les autres, il y a certainement un rééquilibrage à faire. La question de la pertinence du Marché de Noël de Strasbourg, et du partage de ses recettes comme de ses contraintes, doit être posée dans le débat public. Strasbourg n’arrêtera pas à elle seule le surtourisme, mais elle a les moyens de l’encadrer et de préserver pendant un mois un peu du centre-ville à ses habitants.

Mathieu Schneider,
citoyen engagé


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