Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Un front bigarré pro-APL et anti-Macron est parti de Strasbourg

Une partie du monde politique strasbourgeois, en particulier celui en lien avec le logement social, hausse le ton face à la baisse des allocations, d’environ 63 euros par mois pour les bailleurs. Un sujet national où les élus locaux se positionnent aussi pour la suite.

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Mardi, plusieurs centaines de personnes se sont mobilisées contre la suppression des APL (Photo JFG / Rue89 Strasbourg / cc)

Le monde du logement social (se) mobilise pour les allocations. Mardi 17 octobre, environ 600 personnes se sont rassemblées place Kléber à Strasbourg à l’appel de nombreuses organisations. Dans ce front hétéroclite au niveau national comme local, on retrouve aussi bien des bailleurs sociaux bas-rhinois et leurs présidents de droite ou de gauche (Philippe Bies, Etienne Wolff, Jean-Louis Hoerlé, Syamak Agha Babaei), la fédération du bâtiment, la confédération des PME, des associations de résidents, de mal-logés, de locataires, la CGT, la CFTC, des organisations étudiantes, des partis politiques, etc.

Il exigent le retrait de l’article 52 du projet de loi de finances 2018 qui vise à baisser les Aides prioritaires au logement (APL). En plus de la baisse uniforme de 5 euros par mois depuis le 1er octobre, elle prévoit une baisse plus forte dans le secteur des logements sociaux, où les APL sont directement versées au bailleur et non au locataire. Cette baisse serait de 63 euros par mois en moyenne, pour les 52% d’occupants qui en bénéficient. Et les bailleurs sociaux devraient baisser d’autant leur loyer.

Mardi, plusieurs centaines de personnes se sont mobilisées contre la suppression des APL (Photo JFG / Rue89 Strasbourg / cc)
Mardi, plusieurs centaines de personnes se sont mobilisées contre la suppression des APL (Photo JFG / Rue89 Strasbourg / cc)

Qui dit moins de loyer dit moins d’argent pour entretenir le parc social de 113 500 logements en Alsace. Le monde du logement social estime que ces mesures les pénalisent bien plus que le secteur privé, où les loyers sont peu voire non-encadrés.

Le samedi 14 octobre, des manifestations similaires se sont tenues dans 18 villes. Le vendredi 13 à Mulhouse, 300 personnes sont aussi allés interpeller leur député « En Marche », Bruno Fuchs.

Les premières prises de parole à Strasbourg

Ça chauffe lors du congrès strasbourgeois

Toute cette gronde a vraiment commencé à Strasbourg fin septembre lors du congrès de la profession. Au parc des expositions, le monde du logement social, très uni et soudé, a adressé sifflets, cartons rouges ou encore chaises vides au Secrétaire d’État à la Cohésion des territoires (sic!), Julien Denormandie.

Les élus strasbourgeois étaient très représentés. Ils ont été nombreux à être parmi les premiers signataires d’un courrier de protestation issu de ce congrès. Hôte de l’événement, le maire de Strasbourg Roland Ries (PS mais non-inscrit à Strasbourg) en fait partie. « Le risque est grand de voir freinée, à Strasbourg comme ailleurs, la production de logements sociaux », avait-il déclaré face à cet auditoire conquis.

Du côté de son équipe municipale, l’ancien député PS Philippe Bies, nouvel adjoint au maire de Neudorf et président des grands bailleurs CUS Habitat et Habitation Moderne, est évidemment en pointe sur le sujet. En marge de la manifestation place Kléber où il a pris la parole, il fait part de ses critiques virulentes envers le chef de l’État :

« Tous les bailleurs sont concernés, même si les filiales de grands groupes ont davantage de moyens pour faire face, mais ces organismes sont plutôt en région parisienne. Cette baisse de 10% des loyers, notre principale ressource, qui sont encadrés pourrait avoir comme conséquence l’annulation de 75% des constructions prévues. Ceci a un effet domino car les promoteurs doivent prévoir une part de logement social dans leurs opérations. Nous sommes prêts à faire des efforts et à nous réformer, Habitation moderne a par exemple absorbé Perspective Habitat. Mais là, c’est une méthode inacceptable, sur un sujet qui n’a jamais figuré dans le programme d’Emmanuel Macron qui a réussi l’exploit de mettre en ensemble des organisations qui n’auraient jamais été côte à côte autrement. »

Renversant en effet de voir la CGT prêter sa sono à un élu qui défendait le gouvernement, par exemple lors des débats sur la Loi travail un an plus tôt.

Autre exemple de ce front de personnes habituées à batailler entre elles, la Confédération syndicale des Familles (CSF), à l’origine de la grande banderole « Ensemble, sauvons le logement sociale », déployée place Kléber pendant la manifestation.

Pour son secrétaire général dans le Bas-Rhin, Colin Riegger, l’association est venue « défendre la concept même du logement social » :

« De plus en plus de personnes ont été impactées par la crise et se sont tournées vers le logement social. Sans cela, il n’y a plus de mixité, mais des ghettos. Le gouvernement s’appuie sur des éléments de langage comme quoi les bailleurs sociaux sont assis sur des tas d’or, mais dans les faits ils sont minoritaire. Il y de nombreuses réhabilitations à Strasbourg, c’est plutôt sur leur qualité que l’on a des désaccords. »

« La politique nationale a des répercussions locales »

Présente à la manifestation, la secrétaire départementale du PS du Bas-Rhin Pernelle Richardot, estime que ces sujets vont forcément avoir un impact dans la majorité strasbourgeoise :

« Roland Ries ne veut pas d’importation du débat national au niveau local, mais toutes les politiques nationales ont des répercussions locales. La Ville de Strasbourg n’est pas extra-territoriale et on ne va pas renier nos convictions. »

Problème, le maire a toujours sa carte au PS, mais commence la deuxième moitié de mandat sur une ligne plutôt Macron-compatible et bienveillante (« constructive » dirait-on à droite) avec les représentants locaux d’En marche, au sein de son équipe municipale ou les parlementaires. Logique, après avoir appelé à voter pour lui à demi-mot.

À l’instar du courrier sur les contrats aidés pour éviter le vote de motions concurrentes, Roland Ries adopte une position de forme sur un sujet national, qui contente une partie de sa majorité.

Roland Ries dans le front mais en retrait

Interrogé jeudi 19 octobre, il se montre plus distant du sujet, préférant insister sur la cohésion de sa majorité locale :

« Que le débat ait lieu, sur des politiques nationales qui impactent notre politique, c’est normal. Mais qu’il y ait des motions différentes, je ne le souhaite pas. Je préfère mettre l’accent sur ce qui nous réunit. »

De l’autre côté, ce front du logement social hausse le ton face au Président de la République Emmanuel Macron et de manière plus générale sur sa politique économique. Dans le son courrier signé entres autres par Roland Ries et de nombreux élus de droite, l’Areal (association des organismes HLM) met par exemple les 1,7 milliard d’économie attendus en comparaison avec la baisse de l’impôt sur la fortune (3,3 milliards d’euros).

Au niveau local, difficile de ne pas voir, en partie, des jeux d’influence et de positionnement pour la suite. Dans ce front, on retrouve aussi Robert Herrmann, président (PS) de l’Eurométropole à la tête d’une coalition gauche-droite. Proche d’Emmanuel Valls, Robert Herrmann s’est toujours montré critique du positionnement « et de droite et de gauche » d’En Marche qui « gomme les différences plutôt que les assumer. »

Comme Roland Ries, il a signé les différents courriers d’interpellation. Il a été un poil plus vocal en soulignant que les prêts des bailleurs sont garantis par l’Eurométropole à hauteur de 1,5 milliard d’euros. Des difficultés pour les bailleurs pourraient se répercuter sur les finances de sa collectivité ou du moins sur ses taux et sa capacité d’emprunt.

Par la force des choses, il se retrouve un peu plus du côté de Philippe Bies ou des écologistes qu’il a plus d’une fois assaisonnés dans ses commentaires, malgré une bonne entente sur la transition énergétique.

Au niveau régional, cette réforme représenterait 43 millions d’euros de manque à gagner pour les organismes HLM, soit 1 870 logements sociaux qui ne seront plus produits et 10 000 logements qui ne seront pas rénovés. « Dans le même temps, l’État se désengage aussi du fonds d’aide à la pierre (baissé de 200 à 50 millions d’euros), alors que les APL ont été mise en place dans les années 1970 justement pour compenser un premier retrait », critique Colin Riegger de la CSF.

En Alsace, ces ensembles sont surtout concentrés dans les agglomérations de Strasbourg et Mulhouse. Selon la Confédération nationale des locataires, environ 38 000 personnes seraient en attente d’un logement social dans la région.

Parmi ses arguments, le front entame un début de chantage social : 150 millions de chiffre d’affaires en moins pour les sociétés du BTP et 2 500 emplois seraient menacés (5 000 à été annoncé à la manifestation). « Le monde du logement social est une réalité économique », martèle Philippe Bies.

Emmanuel Macron maintient ses critiques

Les deux co-présidents du groupe « Strasbourg en Marche », Olivier Bitz et Alain Fontanel, sont restés très discrets sur cette question alors que la raison d’être de ce nouveau groupe est officiellement la défense des politiques du gouvernement dans l’hémicycle strasbourgeois. Ils n’ont pas répondu à nos sollicitations. Il serait néanmoins surprenant qu’ils restent silencieux lors d’une interpellation sur le sujet prévue lundi en fin de conseil municipal, où le PS et les écologistes devraient s’engouffrer.

Lors de son interview sur TF1 dimanche 15 octobre Emmanuel Macron a réitéré ses critiques sur la gestion du logement social et n’a pas semblé amorcer un déminage de la situation.

Selon lui, il existe trop d’organismes et la politique de logement « ne fonctionne pas. » Le Président distingue par ailleurs ceux qui « produisent beaucoup » et d’autres qui profiteraient de la baisse des taux d’intérêts sans trop agir (« les dodus dormants »).

Il existe 723 organismes de logements sociaux en France. À Strasbourg, 16 opérateurs interviennent dans les 33 communes de l’Eurométropole et 29 en Alsace. La mobilisation du collectif « Vive l’APL » doit au moins durer jusqu’au 9 décembre, jour du vote de la loi de finance, dans l’espoir de faire bouger les lignes.


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