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Vote sur la ZFE : des interdictions, des millions et 17 exceptions

(ZFE) ce vendredi 15 octobre. Les premières interdictions des vignettes Crit’air 5 n’entreraient en vigueur que le 1er janvier 2023, tandis que 17 exceptions locales seront instaurées. À suivre en direct à partir de 9h.

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Avec la Zone à faible émissions (ZFE), la majorité de la présidente de l’Eurométropole, Pia Imbs (sans étiquette), s’apprête sûrement à voter la délibération la plus importante du mandat. Il faut bien une séance spéciale qui durera toute la matinée de vendredi, et plus si affinités. Rien de bien original pourtant, puisque 45 agglomérations sont concernées et Strasbourg se cale sur le calendrier imposé par la loi Climat votée cet été. Avec la ZFE, les pouvoirs publics espèrent un renouvellement accéléré du parc automobile vers des véhicules moins émetteurs de particules, et dans l’idéal, une diminution du nombre de voitures grâce à de nouvelles habitudes comme le vélo (parfois électrique ou cargo), le covoiturage ou les transports en commun. En extrapolant les statistiques françaises à la population strasbourgeoise, la pollution serait responsable de près de 500 décès prématurés par an, sans compter les maladies respiratoires.

Pour l’instant, la majorité de Pia Imbs fait bloc sur cet épineux dossier. Dans son groupe de 18 élus et élues (soit 16 communes sur 33), seule la maire de la Wantzenau, Michèle Kannengiesser (divers droite), a rejoint les critiques de 14 maires de droite et du centre (21 élus qui représentent 14 communes). Grâce aux 43 voix des écologistes de Strasbourg, Schiltigheim et Ostwald, Pia Imbs peut compter en théorie sur une majorité de 60 voix sur 99 élus et élues.

L’opposition remet en cause la délimitation « idéologique »

L’opposition demandera-t-elle un vote à bulletin secret dans l’espoir de voir d’autres maires de la majorité les rallier en toute confidentialité sur ce sujet ? Pas sûr. « Nous n’avons rien à cacher sur notre vote », estime la présidente du groupe des maires de droite et du centre, Catherine Graef-Eckert. La maire de Lingolsheim se dit « républicaine » et ne remet pas en cause la loi. Mais elle estime que la majorité a rencontré « un problème de méthode » :

« À Toulouse, seuls 72 kilomètres sur 458 sont concernés par une ZFE. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut une ZFE, mais le curseur doit bien rester la qualité de l’air. Or, certaines villes et certains villages de l’Eurométropole sont en-dessous des normes de pollution. Pire, avec le GCO (qui n’est pas concerné par la ZFE, NDLR) la pollution pourra augmenter près de ces communes, tandis que les habitants, eux, devront changer leur voiture. Nous avons le sentiment d’être face à une politique idéologique anti-voiture. Les aides ne sont prévues que dans la limite d’un véhicule par foyer. Mais ceux qui en ont deux ne se déplacent pas ainsi par plaisir. Il faut être très prudent dans le contexte social actuel et la hausse des prix de l’énergie. La concertation a touché peu de monde (environ 10 000 personnes, NDLR), peut-être car elle ne posait pas les bonnes questions. On ne pouvait débattre ni du périmètre concerné, ni de l’interdiction ou non des Crit’air 2. »

17 exceptions locales et un « Pass ZFE » encore flou

Catherine Graef-Eckert attaque donc de front l’argumentaire de Pia Imbs, qui déclarait dans un entretien à Rue89 Strasbourg que « la ZFE n’est pas l’élimination de la voiture ». La maire de Holtzheim et son groupe défendent le périmètre commun afin d’avoir une règle « lisible » pour tous les habitants qui se déplacent dans toutes les communes de la métropole. Ainsi que des aides jusqu’à 3 500€ pour les ménages les plus modestes, cumulables avec celles, plus importantes, de l’État.

Dans l’arrêté qu’elle devra signer durant la dernière quinzaine du mois de décembre 2021, Pia Imbs dressera d’ailleurs une liste de 17 exceptions spécifiques à l’Eurométropole (voire encadré ci-dessous) qui concernent surtout les professionnels.

En outre, un « Pass ZFE » pour les déplacements occasionnels sera accordé pour « une durée de 48 heures à chaque utilisation ». Mais la délibération ne dit pas à combien de reprises il pourra être utilisé. « Ce dispositif, et notamment la fréquence d’utilisation, sera approfondie en concertation, notamment avec le monde économique », ajoute le texte. Ce qui laisse penser que les particuliers seront à nouveau moins écoutés. Un autre point « flou », que regrette Catherine Graef-Eckert.

Crit’air 2 renvoyé aux municipales de 2026

Mais le débat pourrait se cristalliser sur le sort des Crit’air 2. Ces véhicules représentaient 34,7% du parc automobile dans l’Eurométropole au 1er janvier 2020 (contre 27% de Crit’air 1 ou 0). Si la plupart des maires de l’actuelle opposition avaient voté en 2019 leur interdiction « à l’horizon 2030 » et un périmètre commun à toute l’Eurométropole, ils ont finalement changé d’avis. Et aujourd’hui, ils ne souhaitent plus entendre parler d’une interdiction, peu importe le calendrier.

Seules les trois communes à majorité écologiste (Strasbourg, Schiltigheim, Ostwald) et celle de Pia Imbs (Holtzheim) estiment qu’il est souhaitable d’interdire les Crit’air 2 en 2028. Pia Imbs signera donc un autre arrêté qui mentionne ce souhait. Il s’agit seulement d’une prise de position symbolique.

À cette date-là, les voitures essences Crit’air 2 auront alors 16 à 20 ans. Pour les diesels, il s’agit de ceux achetés après le 1er janvier 2011, mais qui peuvent être récents. D’ici 2028, la réglementation et les normes européennes ont encore le temps d’évoluer. « Il faut tout faire pour empêcher que les nouveaux diesels obtiennent la certification Crit’air 1 », estime pour sa part le docteur Thomas Bourdrel, fondateur du collectif « Strasbourg Respire », également impliqué dans un collectif national « Air Santé Climat », avec des scientifiques et chercheurs.

Pour autant, ce report ne rassure pas Catherine Graef-Eckert :

« Dans une relation de confiance, je m’en tiens à ce qu’on me dit. Quand ce n’est pas le cas, je m’en tiens aux écrits. La délibération parle d’aller au-delà du cadre réglementaire. Est-ce qu’on applique la loi et rien que la loi, ou veut-on faire autre chose ? On veut des engagements clairs ».

La délibération prévoit une éventuelle accélération du calendrier après une campagne de mesures de la qualité de l’air fin 2024, qui ne donne pas d’objectifs à atteindre.

Le risque d’une ZFE cacophonique

Les maires d’opposition ont éventuellement jusqu’au 22 février 2022 pour rallier deux maires supplémentaires, afin de passer la barre de la moitié des maires des 33 communes dans l’objectif de « reprendre le pouvoir de police » à Pia Imbs. Ainsi, chaque maire pourrait signer un arrêté dans sa commune (dans les limites de la loi)… et risquer de créer une « cacophonie », redoute la présidente de l’Eurométropole, avec des règles différentes d’une route à l’autre. Mais politiquement, un tel retournement serait un coup dur pour Pia Imbs, un signe que sa coalition s’effrite.

« Comme si on interdisait les Marlboro mais pas les Marlboro light »

Engagé depuis 2015 contre la sortie du diesel, le docteur Thomas Bourdrel à la tête du collectif Strasbourg Respire, voit tout de même cette lente arrivée d’une ZFE comme une forme d’accomplissement. « On dit souvent que la ZFE est une question de Climat, mais c’est avant tout un sujet de Santé publique », rappelle-t-il. « De voir qu’elle s’applique suite à une loi, montre que ce sujet n’est plus seulement du ressort de médecins, mais d’une obligation sanitaire », se satisfait-il.

Il rejoint la position de Catherine Graef-Eckert sur le calendrier différencié, mais pour des raisons toutes autres :

« Nous étions pour un calendrier différencié qui aurait permis d’aller plus vite à Strasbourg et contraindre les communes réticentes à aller plus vite. Cela permettrait d’être en phase avec d’autres villes françaises ou des centaines de villes européennes qui ont déjà ce dispositif. Ne pas interdire les Crit’air 2, c’est comme si on interdisait les Marlboro mais pas les Marlboro light dans les endroits où l’on interdit de fumer… La ZFE ne règlera pas toute la question de la pollution, mais son but est de diminuer la pollution au dioxyde d’azote (NO2) qui est fortement liée au trafic routier (à 84% selon Atmo Grand Est). Et notre niveau de connaissance a évolué. On sait que les diesels, même neufs, émettent 6 à 10 fois plus de particules de NO2 que les véhicules essences.

Le docteur Thomas Bourdrel à la tête du collectif Strasbourg Respire, voit cette lente arrivée d’une ZFE comme une forme d’accomplissement, même s’il regrette que les Crit’air 2 ne soient pas interdites : « C’est comme si on interdisait les Marlborough, mais pas les Marlborough light dans les endroits où l’on interdit de fumer » (Crédits Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg). Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

En s’appuyant sur les dernières connaissances scientifiques, il distingue nettement les diesels neufs, des voitures essences plus anciennes, ce que ne fait pas une vignette Crit’air 2 :

« On a désormais la station Danube qui mesure les microparticules (PM 0,1, plus petites et plus nocives, NDLR) avenue du Rhin, et on voit que leur concentration est calquée sur celle du dioxyde d’azote et donc du trafic routier, alors que cette pollution n’est pas corrélée à celle aux particules PM10 ou PM2,5. Le diesel est vraiment un problème spécifiques aux villes, car leur moteur n’est pas conçu pour rouler à faible vitesse. Leurs filtres s’encrassent vite et au bout de deux ans, ces véhicules polluent comme de vieux diesels. On ne dit pas qu’il faut interdire le diesel partout, de la même manière que mettre l’électrique partout poserait d’autres problèmes écologiques et n’est pas souhaitable. On sait aussi que les particules ultrafines, émises par les véhicules diesel, sont plus nocives que celles des véhicules essences. Donc on ne peut pas tout régler, mais il faut cibler en priorité ce qui est le plus nocif. Mais il est vrai qu’il faudrait des aides de l’État plus importantes. L’Eurométropole ou la Région ne sont pas en mesure d’impulser seules un tel changement. »

Même avec l’instauration de la ZFE, le collectif Strasbourg Respire ne manquera pas de combats. Thomas Bourdrel note que « les centrales à bois polluent 3 à 4 fois plus que celles au gaz naturel ». Et regrette que leur développement « soit soutenu de manière uniforme par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dans le but de produire moins de CO2 », alors qu’il faudrait selon lui « une gestion au cas par cas ». « La biomasse est adaptée dans certains endroits, mais pas dans une ville déjà très polluée comme Strasbourg ». Il aimerait aussi que des stations de mesure de la pollution soient installées au plus près des usines situées au port.


#Catherine Graef-Eckert

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