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« Pourquoi j’ai fini par manger ma poule »

Le temps d’une crise sanitaire, Dorian et sa famille ont goûté aux plaisirs d’avoir un poulailler dans le jardin de leur maison strasbourgeoise. Ça ne s’est pas très bien terminé…

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« Pourquoi j’ai fini par manger ma poule »

« Ça a été sympa d’avoir des poules. Surtout tant qu’on n’habitait pas encore dans la maison », prévient Dorian, installé dans son salon, au milieu de ses trois enfants qui l’écoutent d’une oreille. Tout commence avec les restrictions du premier confinement. Les distractions sont limitées dans le périmètre de l’appartement de la famille de Dorian et Marine, dans le quartier des Ducs d’Alsace. Pour l’heure de promenade réglementaire, le couple et ses trois enfants poussent le plus souvent jusqu’à la belle maison qu’ils viennent d’acquérir un peu plus loin en direction du centre-ville. Là, une fois les travaux finis, ils pourront profiter d’un beau jardin de 120 m2, une aubaine. Sur leur chemin, ils remarquent le jardin du boulanger du quartier, avec ses superbes poules qui gambadent calmement sur un gazon verdoyant. Les enfants les adorent. Régulièrement, ils reviennent leur donner du pain sec. Le rendez-vous illumine les sorties.

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Le jardin résistera-t-il aux poulettes ? Photo : Gilles Péris y Saborit / Flickr / cc

Et si eux aussi accueillaient dans leur nouveau jardin quelques volatiles ? Séduit, Dorian se rend à la jardinerie la plus proche dès la réouverture des magasins. Trois enfants, ce sera trois bestioles. Forcément. Celles des deux filles sont blanches. Elles les baptisent Rose et Elsa. Celle du petit dernier est rousse. Il la prénomme Pat Patrouille, ou plutôt Pat Papoule, comme il arrive à le prononcer du haut de ses deux ans et demi. « Les enfants se régalaient à courir après pour les attraper, se souvient Dorian avec plaisir :

« Pour nous les adultes c’était plus difficile de les approcher mais elles semblaient en confiance avec les enfants. Ils allaient chercher les œufs. Nous venions les nourrir. Nous leur donnions tous nos déchets, donc il y avait une démarche un peu écolo. »

À chaque saison son poulailler

Puis vient enfin l’heure d’emménager. Et là c’est un peu la surprise. Dorian n’avait pas imaginé que les trois poules pouvaient être aussi bruyantes. Le jardin est entouré d’immeubles. Le père de famille s’inquiète de déranger ses nouveaux voisins. « Mine de rien, elles braillent. Leurs cris sont encore plus fort au moment où elles pondent le matin », a-t-il noté. La famille s’accroche quand même. Dorian veille à leur bien-être, par tout temps, et apprend à les connaître. À chaque saison ses péripéties. En pleine canicule, la première basse-cour, placée au fond du jardin, condamne les poulettes au cagnard. Dorian installe un petit toit en planches. Les volatiles ne quittent plus son ombre, serrées comme des poulets de batterie. Elles s’engueulent, se battent. Le volume de leurs caquètements est à son maximum.

« On a dû déplacer leur enclos quatre fois », explique le père de famille. « À chaque fois, c’était un chantier avec les enfants pour construire leur cabane. » Puis vient l’hiver, la neige, les températures négatives. Dorian rapatrie la basse-cour devant la maison, sous la terrasse. « Mais il y avait quand même de la neige qui passait », rappelle l’aînée des enfants. Rose, Elsa et Pat Papoule, se blottissent les unes contre les autres dans leur abri fourni de pailles. Mais les températures descendent toujours. Au grands maux les grands remèdes : « J’ai mis des couettes autour du poulailler, des grosses vestes, des grosses doudounes, pour limiter le froid au maximum », explique Dorian. « Le but n’était pas qu’elles meurent glacées. On s’est inquiétés, mais elles étaient bien vivantes. Elles se réchauffaient entre elles. »

La guerre des vers de terre

Le trio n’est pas pour autant un exemple de solidarité. Un jour, Pat Papoule prend la confiance. La poule rousse entend régner sur les réserves de vers de terre. Le nouvel usage est qu’elle les chipe sans scrupule sous les becs de ses congénères. Pas questions de se laisser faire, Rose et Elsa fomentent leur riposte. Leur opération punitive s’abat sur Pat Papoule. Dès qu’elle s’aventure hors du poulailler, l’impératrice déchue les trouve en travers de son chemin. Rose et Elsa sont sans pitié. Déplumé, affamé, assoiffé, le volatile dépérit un mois durant. Finalement, son calvaire endurcit la bestiole. À l’isolement, elle médite son retour. Pas question de rester plus longtemps clouée au pilori. Elle ressort plus convaincue que jamais de ses ambitions et reprend le contrôle des lombrics. Les deux poules blanches battent en retraite et tombent pour de bon sous sa coupe.

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Pat Papoule la poule rousse a pris le dessus. Photo : Laurent KB / FlickR / cc

Pour Dorian, hors de question de cantonner les poules à leur enclos. Dès que c’est possible, il les lâche dans le jardin. La terre est particulièrement riche, et donc pleine de lombrics qui pourraient favoriser la pousse de tant de plantes et légumes. Mais non, ce sont bien les poules qui en profitent et s’en repaissent à l’envie. « Elle nous ont littéralement retourné le jardin », regrette Dorian jalousant celui du boulanger resté impeccable. À l’arrivée du printemps, le terrain plein de promesses n’est plus que terre battue. Pas un brin d’herbe n’a résisté. Pas un pot de fleur. Seuls les rosiers ont survécu, tels les vestiges d’un rêve lointain de nature.

C’en est trop. Dorian abdique. Parce qu’il souhaite « un jardin potable ». Parce qu’il préfère prévenir avant que les voisins ne se plaignent du bruit. Et aussi parce que les poules ne sont pas des chats ou des chiens que l’on peut emmener en vacances, souffle son épouse…

Pousser « l’expérience » jusqu’au bout

Mais que faire des poules ? « Je n’avais encore jamais mangé un animal que j’aurais élevé, tué, et même vidé moi-même, explique Dorian. Donc je me suis dit, je vais essayer d’en cuisiner une. » Pour le père de famille, la démarche a du sens : « Elles ont bien vécu, elles se sont régalées de vers de terre et de graines, elles n’étaient pas dans des batteries à ne pas sortir. »

Dorian ne s’attarde pas sur le sort des volatiles auprès des enfants. « Nous étions à la sortie de l’hiver, les poules n’allaient plus trop dans le jardin. À cette période, les enfants n’avaient pas beaucoup de rapports avec elles. » Les parents les consulte quand même sur celle qui atterrira dans leurs assiettes :

« Nous leur avons expliqué que nous voulions faire un essai avec une des poules, et nous leur avons demandé, parce que c’était quand même les leurs, si ça ne les dérangeait pas qu’on en tue une et qu’on la mange. »

Pas de drame. L’aînée se porte volontaire sans réserve pour mettre Rose à contribution. Quant à Pat Papoule et Elsa, le mystère plane. « Nous nous en sommes séparés aussi », élude Dorian, à côté des enfants. « Nous ne les avons pas mangées… », tente-t-il encore. « Nous les avons données à un paysan », lâche-t-il finalement devant la curiosité insistante des bambins.

La fibre de la campagne

Pour abattre Rose, Dorian peut compter sur le savoir-faire d’une grand-mère de sa connaissance, originaire de la campagne. Elle vient lui enseigner les gestes et l’accompagner. « Il a fallu la plumer, enlever la tête, les pattes, la vider… », raconte Dorian dans un mélange de pudeur et de fierté. Rose passe au four un dimanche. La famille la déguste dans son plus simple appareil, rôtie. Et c’est un bide.

« Ça n’a pas du tout fonctionné », reconnaît Dorian :

« C’était une poule pondeuse et ça n’a rien à voir avec du poulet. C’est tout en muscle. La chair n’est pas du tout faite pour être mangée, un peu comme une vache à lait qui n’est pas du bœuf. Donc c’était très sec. Nous avons appris par la suite qu’il aurait fallu la faire bouillir longtemps. »

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Les poules sont meilleures bouillies. Photo : Jeanne Menjoulet / Flickr / cc

Depuis, Dorian et Marine ont planté dans tout le jardin un gazon, devenu bien vert, et ont agrémenté le terrain d’un petit potager ordonné. « Je suis déçu de ne pas avoir pu les garder. Mais c’était une bonne expérience », conclut Dorian. « Elles nous ont bien rendu service, en nous donnant des œufs et en mangeant les déchets de toute la famille », reconnaît-il. Cette expérience initiatique lui a ouvert des horizons. Le pur citadin s’est découvert une fibre qu’il n’oubliera pas :

« Si un jour nous avons une autre maison avec un plus grand jardin, j’aimerais y élever quelques animaux comme des lapins ou des poulets, pour pouvoir les manger. C’est locavore et écologique. »


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