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À Strasbourg, la lutte contre la réforme des retraites s’organise pour durer

Aide médicale et juridique des manifestants, soutien aux caisses de grève, rassemblements et assemblées générales régulières, communication sur les réseaux. À Strasbourg, la lutte contre la réforme des retraites s’est structurée au fil des semaines.

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À Strasbourg, la lutte contre la réforme des retraites s’organise pour durer

Les opposants Strasbourgeois à la réforme des retraites regorgent d’idées pour diversifier leurs actions. Au rythme des manifestations intersyndicales et de moments plus informels, la mobilisation perdure. Et s’amplifie. Le lycée Marie Curie est venu s’ajouter aux lieux de rencontre pour discuter de la réforme et se rassembler avant les manifestations. Mardi 28 mars ils sont une petite vingtaine dès la pause de 10 heures à s’installer dans le sas de la cour du lycée, à même le sol. L’opération création de banderoles et de panneaux est en cours. « Je suis contre la réforme depuis le début. Mais ça ne fait que deux semaines que je me mobilise activement », sourit Marion, lycéenne.

Mardi 28 mars, pour la deuxième fois depuis le début du mouvement social, les lycéens et lycéennes de Marie Curie (Esplanade) ont confectionné des banderoles et créé un espace de discussion autour de la réforme. À Pontonniers et Fustel, deux lycées du centre-ville, la mobilisation peine encore à fédérer les élèves. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

« La retraite c’est dans longtemps, on la vivra en même temps que tous les effets du réchauffement climatique, c’est pour ça qu’on est en colère », explique Charlotte, feutre à la main. Après l’atelier a lieu un temps d’échange où les lycéens sont invités à prendre la parole. « Ce sont les élèves qui s’organisent entre eux, sur les réseaux sociaux et qui appellent les personnels du lycée à les rejoindre », explique Jean-Luc, professeur. Sa classe de terminale lui a déjà annoncé qu’elle sècherait les cours pour battre le pavé.

Débats, discussions et organisation au jour le jour

En même temps à quelques centaines de mètres de là, les étudiants sont aussi mobilisés. Pour une fois, ils n’ont bloqué aucun bâtiment sur le campus central mais passent d’amphi en amphi, mégaphone en main, pour tracter et appeler leurs pairs à les rejoindre dans la mobilisation. La plupart des professeurs les laissent faire. « En même temps c’est plus rapide s’ils ne nous interdisent pas d’intervenir », sourit Emma, l’une des étudiantes mobilisées. De nombreuses actions ont été organisées depuis plusieurs semaines, après avoir été décidées en AG : blocages, occupations, opérations de tractage, barbecue militant, rassemblements pré-manifestation, kermesse footballistique…

Depuis le 3 février, un bâtiment à disposition des étudiants et baptisé Algecommune fait office de lieu de rassemblement et de stockage, sous la bibliothèque Alinéa. S’y tiennent les AG lorsqu’aucun amphi n’est disponible mais aussi des conférences autour de la mobilisation, ouvertes à tous. « Ce sont les collectifs ou les intervenants qui nous contactent pour proposer des évènements », précise Raphaël (le prénom a été modifié). De l’histoire du système des retraites en France à la sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles, ces évènements sont partagés par des comptes Instagram et Twitter créés par les étudiants mobilisés.

Dans l’algeco sous la bibliothèque Alinéa, ouvert jusqu’à 19h30, les étudiants et étudiantes peuvent se rassembler pour leurs AG, stocker le matériel, les flyers et organiser des conférences. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

C’est via ces réseaux que communiquent aussi les étudiants de Sciences Po, dont le bâtiment central est éloigné du campus de l’Esplanade. Les jours de manifs, ils organisent des moments de rencontre, des ateliers et des conférences. Mardi 28 mars, il s’agit de prises de paroles autour du thème « Réforme, répression, révolution » par exemple.

Des moments conviviaux en marge des manifs

Aux Arts Déco, les étudiants « occupent » leur école depuis presque un mois. Les cours ne sont pas suspendus mais certains sont dédiés à la création de pancartes, des AG quasi quotidiennes déterminent la suite des actions et des chars ont été confectionnés pour animer les cortèges. Des mouvements similaires s’organisent en philosophie, multipliant les moments festifs, de discussion ou d’information.

Mercredi 29 mars, les étudiants de la HEAR ont organisé une kermesse sur le campus central et ont invité les cheminots à s’y joindre. Au programme : musique festive, confection de panneaux, jeux de kermesse et vente d’affiches pour alimenter la caisse de lutte. « Ça fait du bien de se retrouver en dehors des manifs, c’est plus festif », estime Garance, lycéenne. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

En plein centre ville, plusieurs places font office d’agora publiques, à l’occasion de réunions joyeuses comme un barbecue organisé par l’intersyndicale des cheminots. Depuis le 7 mars et le blocage de l’entrepôt Amazon, le collectif « On crèvera pas au boulot » appelle régulièrement à des rassemblements citoyens place Kléber, place de la Gare ou place de la République, pour « discuter, s’organiser et agir ». Il regroupe à chaque fois plus d’une centaine de personnes aux profils divers, d’anciens gilets jaunes, des travailleurs, retraités, chômeurs, syndicalistes… 

Amplifiée par une grosse enceinte lundi 27 mars, une militante précise à l’assemblée place Kléber le but du collectif, sous les yeux d’une quarantaine de CRS mobilisés pour l’occasion. « Notre rassemblement est légal, vous n’avez rien à craindre », précise-t-elle aux manifestants. Au micro, les témoignages s’enchaînent. Une étudiante raconte la soirée du 20 mars où elle s’est retrouvée au milieu des gaz lacrymogènes, un intermittent du spectacle avoue son désarroi de n’avoir aucun impact lorsqu’il se met en grève, un député explique avoir fait un signalement au parquet et recueillir des témoignages sur les violences policières…

Lors du rassemblement place Kléber, lundi 27 mars, le député Nupes Emmanuel Fernandez s’est exprimé au micro face aux opposants à la réforme, sous le regard d’une quarantaine de CRS postés en ligne, dos à la Fnac. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Suite à chaque prise de parole, les applaudissements sont bruyants et des slogans de manif scandés, contre la réforme ou les violence policières parfois. À la fin, les participants décident de la date et du lieu de la prochaine réunion.

En marge du rassemblement, deux personnes aux casques et gilets blancs observent. Et pour cause. L’observatoire strasbourgeois des libertés publiques créé par la Ligue des Droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France est présent à presque toutes les manifestations pour prendre note de leur déroulement et documenter les évènements strasbourgeois. Ces deux structures cherchent des bénévoles pour participer aux missions d’observation.

Conseils légaux et street medics en mouvement

Tous les jours où Strasbourg est dans la rue, une équipe légale se mobilise pour assurer une permanence téléphonique. Les membres de ce « collectif autonome et spontané » souhaitent rester anonymes. Ils font circuler un tract sur lequel le contact de deux avocats sont précisés, ainsi que des conseils aux manifestants. Depuis courant mars, l’équipe est aussi joignable par mail. À travers sa mobilisation, le collectif espère assurer la « protection des manifestant·es face à la brutalité policière et à la justice complice ».

Extrait du tract distribué aux manifestants et confectionnés par la Legal Team 67, joignable à l’adresse mail legalteam67@proton.me Photo : document remis

Pour venir en soutien aux manifestants, les street medics sont eux aussi de plus en plus mobilisés. Jean (le prénom a été modifié), 30 ans, asperge de maalox dilué les manifestants pris dans les nuages de gaz lacrymogène sur le campus, mardi 28 mars. Avec son casque à croix rouge et son matériel, il est mobilisé depuis le 19 janvier. Seul street medic au début du mouvement, il constate qu’ils sont de plus en plus nombreux depuis le recours au 49-3 pour faire passer la réforme. « Depuis une semaine, j’ai un binôme avec lequel je reste en contact du début à la fin des manifs », illustre-t-il. Une structuration spontanée et construite au fil de la mobilisation. Jean est identifié par les militants qui sollicitent son aide et par les forces de l’ordre qui le laissent passer pour mener à bien sa mission.

« Les street medics, c’est une tactique d’auto-défense : tu es un militant qui dispose de matériel et de compétences pour aider les autres », résume Jean. Distribution de sérum physiologique, aide aux personnes prises dans les gaz, assistance à ceux qui se sentent mal… « Il n’y a pas besoin de beaucoup de savoir-faire pour s’entraider, simplement une notion de quelles armes de la police causent quels dommages », conclut-il.

Pour l’instant, aucun collectif actif ne réunit les street medics à Strasbourg, mais ils comptent s’organiser dans les semaines à venir et proposer des formations à toutes les personnes intéressées.

De l’art pour soutenir les grévistes

Pour alimenter les caisses de grève ou de lutte et permettre aux opposants de continuer à se mobiliser, certains vendent des t-shirts, des affiches ou encore des stickers colorés. Les chariots se baladent pendant les journées de grève et appellent les manifestants qui le peuvent au don.

Samedi 1er avril à 17 heures, le collectif On Crèvera Pas Au Boulot a organisé une projection de trois films à prix libre. À l’Algeocmmune aussi, les étudiants ont projeté un fil lundi 3 avril selon le même principe. Les bénéfices ont tous été reversés aux caisses de grève.

Sur sa page Facebook, l’illustratrice strasbourgeoise Ariane Pinel liste les illustrateurs et illustratrices engagés à reverser les recettes de leurs œuvres aux caisses de grève. Photo : capture d’écran

De nombreux artistes comme Ariane Pinel ou Victor Le Foll se sont engagés à reverser à ces mêmes caisses les recettes de leurs ventes. Après avoir choisi une œuvre et s’être assuré de sa disponibilité auprès de son auteur, le client est invité à faire un don du montant à une caisse de grève et à envoyer une preuve du don, en guise de paiement.


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