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Climat : ce que 1,5 degré de réchauffement en Alsace a déjà changé

Alors que les chefs d’États négocient pour limiter la hausse de la température mondiale lors de la COP26 à Glasgow, la température moyenne mesurée à Strasbourg a augmenté de 1,5 degré depuis 1990. Les premiers impacts notables concernent l’agriculture, en plus des pics de canicule. Compte-tenu des records de chaleurs enregistrés depuis 2015, ces moyennes vont encore augmenter dans les prochaines années.

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Climat : ce que 1,5 degré de réchauffement en Alsace a déjà changé

Limiter le réchauffement mondial à 2 degrés celsius (°C) et si possible à 1,5°C. C’était l’engagement des accords de Paris en 2015. Les négociations de la COP26 à Glasgow en Écosse devraient également aboutir à un objectif comparable. Des bonnes intentions qui n’engagent à pas grand chose, puisque ces accords sont non-contraignants. Deux degrés, d’accord, mais depuis quand ? Les accords mondiaux se comparent avec les températures d’avant « l’ère industrielle » soit 1850-1900.

Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), ce réchauffement est déjà de 1,1°C. Mais il s’agit d’une moyenne mondiale. « La planète est recouverte à 75% par des océans, qui se réchauffent moins. Sur les continents ce réchauffement est de 1,6° et plus précisément de 1,8° en France », détaille Jean-Michel Soubeyroux directeur adjoint scientifique au siège de Météo France à Toulouse.

En Alsace, quatre stations permettent de mesurer les températures avec fiabilité et continuité depuis les années 1950, aux aéroports de Strasbourg, Colmar et Bâle-Mulhouse, ainsi qu’au jardin botanique de Strasbourg. D’autres ont été installées dans les Vosges il y a une vingtaine d’années. Pour les climatologues, elles n’ont pas encore assez de recul pour mesurer le changement climatique. Météo France utilise des moyennes sur 30 ans, pour ne pas être impacté par les aléas des années chaudes et froides. « On entend souvent parler de températures au-dessus ou en dessous des normales saisonnières sans vraiment savoir ce que c’est. Il s’agit d’une comparaison avec la moyenne des températures sur 30 ans à la même date », détaille Yves Hauss, responsable de la climatologie pour la région Nord Est à Météo France.

Mais les Vosges pourraient être un peu plus impactées que la plaine d’Alsace. À défaut de données scientifiques précises, Jean-Michel Soubeyroux compare avec d’autres massifs montagneux :

« On constate un réchauffement accru sur les sommets. La neige provoque un effet albédo, c’est-à-dire la réverbération des rayonnements du soleil. Ainsi les surfaces désormais sans neige se réchauffent plus vite, c’est notamment visible lors des intersaisons. »

Les effets continus du réchauffement depuis 30 ans ont déjà eu beaucoup d’impact en Alsace Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc

Par période de 10 ou 30 ans, le même réchauffement

Sur la station strasbourgeoise à Entzheim, c’est à partir des années 1990 (c’est-à-dire en fait à la fin de la période 1960-1990) que les débuts du réchauffement général sont perceptibles.

D’autres moyennes sont établies sur dix ans. Pour observer le début des années 2000, elles ont l’avantage de ne pas être nivelées par le bas par les années 1970 ou 1980, décennies où le climat changeait encore peu. Mais elles sont plus exposée aux variations de quelques années froides ou chaudes, là où la moyenne sur 30 ans est plus lisse.

Une limite importante détaille Yves Hauss :

« Les climatosceptiques font parfois référence aux années cinquante qui étaient assez chaudes, surtout par rapport à la décennie 1960-1970. Mais ce ne sont pas des périodes assez longues pour être des références en matière de climat ».

À partir des années 1990, aléas ou non, on retrouve une nette augmentation, d’environ 1,5° en moyenne à Strasbourg, que ce soient avec des moyennes sur 10 ou 30 ans. La température strasbourgeoise est désormais équivalente à celle de Lyon dans les années 1950. Ces moyennes vont forcément augmenter car beaucoup de records de chaleur ont été enregistrés entre 2015 et 2020.

La moyenne sur 30 ans est plus lisse que celles, mais les deux courbes attestent du même réchauffement depuis les années 1990. (Source Météo France)

Ce réchauffement s’explique par différents facteurs, parfois contradictoires. Jean-Michel Soubeyroux détaille le tournant des années 1970, à la fin des Trente Glorieuses :

« C’est une période où l’on commence à dépolluer l’industrie. À l’époque, c’était surtout pour éviter les pluies acides, qui détruisaient les forêts via le souffre émis par les usines. Mais on s’est aussi rendu compte que ces aérosols, des poussières, avaient un effet refroidissant qui filtrait le rayonnement du soleil. Son impact sur le réchauffement est estimé à -0,4° (pour +1,5° d’augmentation via les gaz à effet de serre), ce qui peut paraître paradoxal. Au milieu des années 1980, le réchauffement commence à être plus rapide, car dans le même temps, les émissions de gaz à effet de serre (le CO2) ont continué à augmenter. L’année 2021 devrait à nouveau battre le nouveau record de 2019, après la parenthèse de 2020 due au Covid. »

Et puis il y a les délocalisations, qui font aussi partir cette pollution vers d’autres continents. Avec la fermeture de mines ou la fin de la sidérurgie, l’Alsace et de manière générale cette partie de l’Europe, de l’Allemagne à la Lorraine est particulièrement concernée.

Davantage de jours très chauds

Le Climat n’est pas qu’une affaire de moyenne. L’un des phénomène les plus palpables, et pénible, est l’augmentation du nombre de jours de canicule (plus de 34° le jour et 19° la nuit suivante). À Strasbourg, on en compte 35 entre 2015 et 2019. C’est plus du double par rapport aux précédents dans les années 2000. Avant le XXIe siècle, ce total n’avait jamais atteint les 10 jours.

Pour cet aspect spécifique, il est pertinent de comparer la station de Entzheim et du jardin botanique. La station près de l’aéroport en mesure systématiquement moins.

Photo : graphique Météo France

Ces hausses vers des températures très chaudes forment l’un des effets marquant de la hausse des moyennes, selon Jean-Michel Soubeyroux :

« Avec le réchauffement, les extrêmes chauds vont comparativement encore plus haut que par le passé. C’est aussi ce que l’on retient le plus et ce qui a le plus d’impact sur notre environnement, comme avec les feux de forêts. En revanche, on ne retrouve pas ce phénomène d’amplification pour les extrêmes froids. »

Pas de mois le plus froid depuis 1990

Depuis le début des années 2000, Strasbourg a connu des mois records où ses moyennes étaient comparables aux « normales saisonnières » de Marseille (août 2003 et juillet 2006), d’Alger (avril 2007), voire de Tunis (juin 2003). Par ailleurs, 5 des 12 mois les plus chauds depuis un siècle ont été mesurés entre 2015 et 2020. Les 7 autres depuis 1990. En revanche, les mois les plus froids semblent désormais appartenir aux livres d’histoire. Aucun record n’a été battu depuis juillet 1980. Les trois-quarts l’ont été entre les années 1920 et 1940.

Photo : graphique Météo France

Moins de gel

Conséquence inverse, les jours de froids diminuent drastiquement. En moyenne, on ne compte désormais que 10 jours par an sans dégel, « c’est-à-dire où le thermomètre ne repasse pas au-dessus de 0° pendant 24 heures », précise Yves Hauss, contre 22 moyenne dans les années 1950. On n’en compte même aucun en 2015 ou 2018.

Photo : graphique Météo France

Une saison froide amputée d’un mois et demi

La saison froide raccourcit. Au début des années 1920, la station de Strasbourg pouvait connaître des températures négatives dès le 13 octobre et jusqu’au 1er mai. Contrairement aux températures, on ne détecte pas de changement subit, mais une tendance au resserrement de ces dates.

Désormais, cette moyenne est restreinte du 2 novembre au 6 avril, soit un mois et demi de moins. Ce qui n’empêche pas que les gelées vers les 8 et 9 avril en 2021 aient pu paraître surprenantes… Les « records » de dégel précoce ou tardif dans l’année remontent d’ailleurs à 1984 et 1990.

Photo : graphique Météo France

L’agriculture premier secteur exposé

Ces variations impactent d’abord la nature, qu’elle soit à l’état sauvage ou exploitée par l’homme. « Les vignerons et les producteurs de fruits sont les plus touchés. L’agriculture intensive et extensive est moins exposée car elle peut changer de culture d’une année sur l’autre », détaille Yves Hauss.

En 2020, les vendanges ont débuté le 3 septembre en Alsace, un record de précocité. La date la plus tardive pour récolter du Riesling était le 19 octobre en 1987 et 1988. Au-delà de l’organisation pratique et économique, cela aussi un impact sur le produit. Le taux moyen d’alcoolémie des Riesling est passé de 9 à 11 degrés d’alcool entre les années 1970 et le début des années 2000. L’année 2021, plus froide et avec du gel tardif, a également provoqué une baisse de 80% de la production de miel en Alsace.

Sur la végétation, l’impact est également perceptible. Yves Hauss a repéré, entres autres arbres, que le Mélèze voit ses aiguilles pousser 33 jours plus tôt qu’en 1958 en se basant sur des observations faites en Suisse.

Des prédictions

Basé sur ces relevés et cette expérience, les climatologue de Météo France se disent désormais plus à l’aise pour produire des prédictions, y compris pour les zones où il n’y a pas de stations depuis des décennies. Une récente projection permet d’écrire un scénario pessimiste, intermédiaire et optimiste pour chaque commune. À Strasbourg, le réchauffement serait compris entre 1,8° et 3° à la fin du siècle, par rapport à la période 1976-2005, c’est à dire le début du réchauffement tel qu’on le connait. Les effets sont déjà connus, mais leur ampleur dépendra des efforts faits pour limiter les émissions de gaz à effets de serre.


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