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Entre angoisses et créativité, comment les personnes handicapées et leur entourage s’adaptent au confinement

Les mesures de confinement ont pris de court les personnes handicapées accueillies en établissements : certaines sont coupées de leur famille et d’autres les ont rejointes. Dans les deux cas, l’entourage essaye de gérer les changements d’habitudes parfois soudains pour des individus potentiellement fragiles.

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Entre angoisses et créativité, comment les personnes handicapées et leur entourage s’adaptent au confinement

Nathalie (le prénom a été changé) n’a pas vu son fils depuis plus de 15 jours et n’a pas eu le temps de se préparer à cette séparation. Nicolas (le prénom a été changé) a 30 ans et souffre d’un handicap mental à tendance autistique. Il vit dans un foyer d’accueil spécialisé près de Strasbourg, mais passe tous les week-ends dans sa famille. Or, peu avant vendredi 13 mars, celle-ci reçoit un appel de l’éducatrice référente, lui indiquant qu’elle ne pourrait pas le prendre.

« J’étais soufflée », raconte Nathalie. En fait, les parents ont eu la possibilité de prendre leur enfant chez eux mais avec l’interdiction de revenir, confinement oblige. Nathalie fait le choix de laisser son fils au foyer, « la mort dans l’âme ». D’autant que les équipes travaillent en personnel réduit en raison de quelques arrêts maladies, « mais ils sont présents, très professionnels et d’un soutien inestimable. »

Les résidents confinés dans leur chambre de deux

N’ayant aucune idée de la situation quotidienne au foyer au bout de quelques jours, elle rappelle l’établissement et c’est là qu’elle apprend que les résidents sont tous confinés dans leur chambre, où ils prennent également leur repas. Nathalie se dit choquée de les savoir enfermés (« c’est un peu violent de l’apprendre comme ça »), même s’ils peuvent faire des balades individuelles dans le jardin. Par contre, elle craint pour sa santé qui comporte des fragilités. Sa principale inquiétude est que son fils soit touché par le virus et qu’elle doive se battre pour l’emmener à l’hôpital :

« Quand je l’accompagne, je suis plutôt un soutien pour les équipes. Je sais qu’en ce moment les malades sont pris en charge seuls, mais si ça arrivait à mon fils, je ferais des pieds et des mains pour être là. »

Handicap mental et confinement ne font pas bon ménage

Aussi, la capacité mentale et émotionnelle de Nicolas à supporter le confinement et cette situation exceptionnelle l’inquiète, même si, pour l’instant, il « le vit bien ».

Les personnes handicapées accueillies en établissement sont séparées de leurs familles, si elles ne sont pas rentrées à la maison (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Rémy Welschinger, directeur de la SEI (Santé-Education-Insertion) du Ried, un ensemble de structures accueillants des jeunes (à Diebolsheim et Huttenheim, notamment), a constaté qu’il est « effectivement très difficile de concilier troubles du comportement et confinement ».

En plus, l’un des services de la SEI du Ried, « L’Escale vacances et week-ends » héberge une vingtaine de jeunes qui relèvent également de la protection de l’enfance. Alors, pour gérer des groupes de jeunes « particulièrement difficiles », la structure a renforcé le nombre d’éducateurs.

C’est tout le quotidien qui doit être réaménagé pour des adolescents qui, d’habitude, passent leurs journées dans des instituts médico-éducatifs (IME) ou médico-professionnels (IMPro). Or, tous ces établissements ont été fermés dès le 16 mars. Les éducateurs doivent alors redoubler d’inventivité, « trouver des astuces, des activités », raconte Rémy Welschinger. Heureusement, ils peuvent profiter du parc de 4 hectares.

À la SEI du Ried, seuls trois résidents qui présentaient des symptômes du Covid-19 ont été confinés dans leur chambre. Mais dans les établissements gérés par l’AAPEI (une association de « parents, de personnes handicapées mentales et leurs amis »), tous les résidents le sont, car « plusieurs symptômes grippaux sont apparus », indique le directeur général, Jean-David Meugé. Il précise que ce confinement sera bientôt levé et que des activités collectives ont été organisées « avec tous les gestes barrières ». Des moments bienvenus pour un public à besoins spécifiques :

« Certains résidents ont du mal à comprendre ce qui se passe, il faut utiliser des pictogrammes, des gestes pour leur expliquer. »

À l’Arche, des résidents heureux de ne pas être seuls

Dans les maisons de l’Arche, à Strasbourg, qui accueillent principalement des porteurs de trisomie 21, on demande « quand le virus va s’en aller ». La structure au nombre réduit de résidents s’adapte plutôt bien. Veronika Ottrubay, la directrice, se dit « agréablement surprise de leur créativité et inventivité ». Ils ont rapidement organisé des plannings : yoga, jeux, ménage de printemps, tout y passe. Dans ces deux maisons du quartier Danube, 4 professionnels vivent sur place avec 12 adultes handicapés. Ils ont chacun leur propre studio. Comme les ESAT (Etablissement et Service d’Aide par le Travail) ont également fermé, ils sont dès lors en « vacances », profitent de la terrasse et du jardin, cuisinent, et continuent à faire des activités en collectif. Ils sont « bien contents de ne pas être seuls », d’après la directrice. L’Arche a eu un seul cas suspect et la personne a été isolée. La vigilance est de mise pour ces personnes à la santé fragile :

« Heureusement, c’est un profil qui a pu supporter l’isolement. Je ne sais pas comment on aurait fait dans un autre cas de figure. Pour l’instant, il n’y a pas d’autre cas et c’est un soulagement, car les personnes porteuses de trisomie 21 ont souvent des malformations cardiaques ».

Veronika Ottrubay, directrice de l’Arche à Strasbourg
Il y a deux petites maisons dans la communauté de Strasbourg, chacune dotée d'une cuisine moderne où tout le monde peut faire à manger ensemble (Photo DL / Rue 89 Strasbourg / cc)
À l’Arche à Strasbourg, les résidents cuisinent plus que d’habitude, et continuent à faire des activités en commun (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

En attendant, les résidents communiquent avec leurs familles par appels vidéos, « comme tout le monde », indique Veronika Ottrubay. Elle ajoute que les parents ont été plutôt compréhensifs sur la suspension des visites. Une famille a tout de même choisi de prendre son enfant chez elle.

Des enfants autistes à la maison, 24h / 24

Les enfants qui n’étaient pas en internat, eux, n’ont pas eu le choix. C’est le cas d’Esteban, 10 ans, habituellement pris en charge tous les jours à l’IME de Cronenbourg, où il suit des activités et une scolarité adaptée. Dès le jeudi 12 mars, ses parents, divorcés, ont dû s’organiser avant la fermeture des établissements le lundi 16. Sa mère, Maryline, est soignante, alors c’est chez son père qu’il a passé ses deux premières semaines. Maintenant qu’il est de retour chez sa mère, son beau-père prend le relais. La famille estime qu’elle a eu de la chance, car les modes de gardes prévus pour les enfants de soignants ne sont pas adaptés aux enfants handicapés. Pour autant, il n’est pas facile d’occuper un enfant autiste à la maison :

« La continuité pédagogique est assurée par les professeurs en télé-travail. Mais le reste du temps, il faut pouvoir remplacer les promenades, qu’Esteban affectionne beaucoup, sans savoir combien de temps cela va durer. L’idée, c’est d’éviter qu’il passe des heures sur un écran. »

Maryline, Maman d’Esteban

Elle raconte qu’il est particulièrement difficile pour les jeunes autistes comme son fils de changer aussi brutalement de lieu, d’habitudes, de rituels. Surtout qu’il ne peut pas mettre en mots ce qui le chiffonerait :

« D’habitude, quand les vacances arrivent, nous le prévenons plusieurs jours avant. Nous lui avons expliqué la situation avec des mots simples, mais nous ne pouvons pas savoir s’il en a compris l’ampleur, car il ne parle pas. »

A l’Arche de Strasbourg, les résidents font aussi des « apéros visio » avec les autres maisons de l’Arche en France (doc remis)

Jean-David Meugé rapporte que les enfants autistes qui vont habituellement dans les structures de jour de l’AAPEI « ont beaucoup de mal à comprendre pourquoi ils ne vont plus en établissement » :

« Les familles ont demandé à pouvoir montrer à leur enfant que l’établissement est fermé. Elles souhaitent que cela puisse être considéré comme un motif dérogatoire pour pouvoir sortir. »

Il ajoute que chaque famille est suivie quotidiennement par un professionnel, de manière à s’adapter à toutes les situations au cas par cas. Une activité restreinte d’IME va être ré-ouverte avec un éducateur, pour offrir une « soupape » aux jeunes et aux familles.

Dans cette même perspective, le secrétariat d’Etat chargé des personnes handicapées a mis en ligne un site de ressources et de solidarité. Les parents peuvent trouver des réponses à leurs besoins de modes de garde, de « temps de répit » ou encore d’aide pour faire les courses. Le site autismeinfoservice se propose également d’accompagner les familles pendant cette période de confinement.


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