Après la Grande-Île c’est au tour du quartier de la Neustadt de rejoindre le patrimoine mondial de l’humanité. Dès la première année, ce quartier construit par les Allemands de 1870 à 1918 est retenu par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
Le palais de justice tout juste rénové, la place de la République avec palais du Rhin, le théâtre national de Strasbourg et la bibliothèque universitaire, les bains municipaux ou l’Observatoire et son jardin botanique sont quelques uns des sites emblématiques de la Neustadt de Strasbourg. Plus au sud, dans le périmètre non-classé, le secteur comporte aussi de petites villas art nouveau et arts décoratifs.
Peu de changements visibles dans l’immédiat
Mais concrètement, quels changements à venir pour ce quartier ? Dans un premier temps, la signalétique sera améliorée, ainsi qu’un panneau mentionnera l’existence de la Neustadt sur l’autoroute.
De son côté, l’Unesco explique que ce label est surtout un engagement de la part du pays qui présente un dossier :
« Le patrimoine mondial vise à attirer l’œil de la communauté internationale sur la « valeur universelle exceptionnelle ». Les États doivent présenter tous les six ans un rapport sur l’état de conservation du site inscrit, mais à part ceci, toute la juridiction et changements lui incombent. C’est un engagement des États à protéger ce qu’ils ont demandé à inscrire. Ce n’est pas une fin en soi, mais plutôt le début de l’histoire. »
Notons que même si c’est la Ville de Strasbourg qui a préparé le dossier et en assure la communication, le référent officiel pour l’Unesco est bien l’État français. La Région Alsace puis Grand Est a aussi participé, en dressant un inventaire dès 2010 et organisé des « Rendez-vous de la Neustadt » alors que tout était mal parti (Strasbourg avait retiré son financement la deuxième année). Les sept ans d’études feront aussi l’objet d’une exposition du 29 septembre au 10 décembre 2017 dans l’Église Saint-Paul et d’un livre.
Pascal Mangin, président (LR) de la commission culture de la Région Grand Est revient sur ces années de collaboration étroite avec la Communauté urbaine de Strasbourg, devenu Eurométropole :
« Tout le travail scientifique, au-delà du périmètre présent, a été effectué par le service de l’inventaire patrimonial, ce qui n’avait jamais été fait sur ce territoire. Il y a en effet eu un accrochage en 2013 concernant la prise de parole d’une personne que nos services n’estimaient pas pertinente, mais en dehors de ça, tout s’est bien passé. C’est un enjeu qui dépasse le simple territoire et sur lequel il y a consensus. C’est désormais à Strasbourg de s’en saisir. Il y a un objectif d’apporter une dimension de redécouverte de cette partie de la ville. Le label Unesco est le plus reconnu et fiable, contrairement à d’autres qui parfois font payer de plus petites villes pour y figurer, avec des critères qui changent d’une année à l’autre. »
La protection des bâtiments mieux assurée par les lois nationales
L’inscription au patrimoine mondial n’empêche pas des constructions nouvelles, comme le montre le chantier Primark dans la Grande-île ou la possibilité d’implanter un marché couvert place Grimmeissen.
D’un point de vue légal, les protections liées à l’inscription à l’inventaire des monuments historiques sont bien plus contraignantes. Strasbourg avait aussi anticipé en étendant son PSMV (Plan de sauvegarde et de mise en valeur) sur un périmètre un peu plus large. Tout changement majeur devra néanmoins être apporté à la connaissance de l’Unesco.
Retombées touristiques et symboles espérés
Mais ces réglementations ne sont guère connues. Le label Unesco est en revanche devenu une référence mondiale, ce qui n’était guère le cas en 1988 pour la Grande-île, la première fois qu’un « périmètre » se voyait labellisé et non juste un bâtiment. Dans un article des DNA, plusieurs acteurs reconnaissent qu’à l’époque ce label était moins connu, et que peu d’actions avaient été menées.
D’ailleurs, personne ne se cache de l’objectif des retombées touristiques, à l’instar du premier adjoint au maire de Strasbourg, Alain Fontanel (LREM) :
« Le périmètre est doublé ce qui est rare dans un cœur de ville. Cette labellisation est un chapitre de plus dans les guides touristiques et donc une incitation à rester plus longtemps ou à revenir. »
La quarantaine de sites français labellisés ont souvent connu un « effet Unesco », au moins quelques années. Pour le premier adjoint, cette distinction est aussi un marqueur de l’histoire européenne de Strasbourg :
« La candidature fut un lent processus entre les municipalités successives et les habitats. Après-guerre, il y a eu des projets de destructions pour effacer le traumatisme. Les premières tentatives de classement du Palais du Rhin ont démarré en 1973 pour aboutir seulement en 1993. Au-delà du caractère architectural exceptionnel des bâtiments, c’est aussi deux composantes de la ville désormais classés en cohérence. Cette nouvelle ville a été construite sur les débris du siège de Strasbourg de 46 jours en 1870. L’électricité et l’eau courante dans les appartements, le tout à l’egout, la CTS ou encore les espaces verts sont apparus à cette époque, qui marque le début de l’aspect innovant de Strasbourg. Jusque là elle était enserrée dans ses fortifications. La population dans la capitale du Reichsland d’Alsace-Lorraine passe alors de 80 000 à 180 000 habitants en moins de cinquante ans. »
Une instance de saisie
Quant aux effets plus perceptibles, la principale nouveauté avec cette inscription est plutôt à regarder du côté d’une instance de saisine pour les citoyens, explique l’Unesco, par la voix d’une porte-parole :
« Si des ONG ou des citoyens perçoivent des menaces sur un site, ils peuvent directement saisir l’Unesco. Si le secrétariat intergouvernemental et indépendant constate des manquements, il propose un travail d’accompagnement aux États. Si la situation persiste, il peut demander des changements voire retirer l’inscription, même si cela n’est arrivé que deux fois depuis la création, sur plus de 1 000 sites. »
Sur un sujet comme la rénovation des Bains municipaux ou le projet de parking souterrain avenue de la Liberté, on peut imaginer que la question sera abordée par des Strasbourgeois.
Les paradoxes du label
La labellisation n’est pas exempte de de critiques. Dans un article sur le site The Conversation, Chloé Maurel, chercheuse associée à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (CNRS/Ecole NormaleSupérieure/Université Paris 1) pointe « les effets pervers du label Unesco« .
« Bien souvent, la notion de patrimoine culturel mondial a été détournée de son but officiel et a été utilisée comme un outil touristique, ou à des fins politiques et économiques. »
Résultat : plutôt que de protéger un site, c’est un tourisme de masse qui s’y développe… au détriment de la conservation du patrimoine classé. L’universitaire remarque aussi parfois une « mise en scène de traditions idéalisées et qui ne correspondent pas toujours à la réalité historique ».
Autre point noir, le classement peut avoir comme effet la relégation de populations modestes dans d’autres quartiers. La Neustadt étant déjà un secteur cossu de Strasbourg, ce risque est plus faible, en dehors peut-être de quelques colocations étudiantes. Dans l’hôtel des Postes, les facteurs seront prochainement remplacés par des logements, dont une partie du parc social d’Habitation moderne. Ces critiques visent davantage les pays moins développés.
Enfin les labellisations Unesco relèvent aussi d’enjeux politiques. Après la classification de lettres d’adieu de kamikazes japonais, la Chine avait demandé, et obtenu en retour, l’inscription sur le registre Mémoire du monde de documents sur le massacre de Nankin, perpétré en 1937 par les forces japonaises.
Illustration locale, les dirigeants strasbourgeois ont bien doublé leurs discours d’éléments de langage sur la réconciliation franco-allemande et européenne, à l’heure où l’Union européenne est parfois critiquée dans ses fondements.
Pas de financement en vue
Quant aux financement, il ne faut pas en attendre de l’Unesco. Ils ne sont pas automatiques et « quasi exclusivement » réservés aux pays en guerre (Syrie, Iraq, Yemen, RdC) et peu développés. L’inscription à l’Unesco n’a d’ailleurs pas pu empêcher les destructions des buddhas en Afghanistan pour Lens Talibans en 2001 ou de Palmyre en Syrie en 2015.
Un revanche, ce prestigieux label peut peut-être séduire l’un ou l’autre mécène dans un argumentaire. L’Unesco précise par ailleurs qu’elle peut « mobiliser des compétences extérieures » pour qu’un nouveau projet urbanistique ne défigure par un site inscrit.
Un troisième dossier strasbourgeois pour l’Unesco
Déjà entrée dans le cercle restreint des villes bi-classées, Strasbourg a un autre dossier en préparation pour les experts de l’Unesco : l’inscription de l’Œuvre Notre-Dame, à savoir l’entretien de la cathédrale avec les techniques d’époque. Il s’agirait là du patrimoine « immatériel » de l’humanité. Instaurée en 1995, cette classification vise à rééquilibrer les sites entre hémisphères nord et sud. Le dossier strasbourgeois serait présenté après 2020.
Le coût de la candidature de la Neustadt n’a pas été budgété, assure-t-on à l’Eurométropole. En plus des événements, il s’agit surtout d’innombrables heures de travail par les agents de la collectivité, de la Région Grand Est et de l’État français. Les sites présentés l’année prochaine par la France seront le centre romain de Nîmes et les volcans d’Auvergne. Metz présente également un projet assez similaire à la Neustadt sur son centre « impérial et royal ».
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