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Quinze CRS en plus par jour dans le quartier Gare : « Ce ne sont pas les policiers qui vont rétablir le lien social »

Mercredi 14 septembre, la préfecture du Bas-Rhin a annoncé avoir renforcé le dispositif policier dans le quartier gare de Strasbourg. Enclenché en août, ce renfort ponctuel répond à des plaintes exprimées par plusieurs collectifs d’habitants, qui alertent depuis 2021 sur des nuisances sonores, des bagarres ou des trafics.

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Quinze CRS en plus par jour dans le quartier Gare : « Ce ne sont pas les policiers qui vont rétablir le lien social »

Au croisement de la petite rue de la Course et de la ligne de tram, quatre policiers nationaux filent à vélo sur le bord de route. Quelques minutes plus tard, un fourgon se place au milieu de la rue piétonne, six autres policiers débarquent. Ils sont cette fois issus d’une compagnie républicaine de sécurité (CRS). Nous ne sommes pas au milieu d’un dispositif policier lors d’un samedi de manifestation, mais au cœur du quartier Gare de Strasbourg, dans l’après-midi du lundi 19 septembre.

Cinq jours plus tôt, la préfecture du Bas-Rhin avait annoncé un « plan de lutte contre l’insécurité » dans le quartier gare à Strasbourg. Sur BFM Alsace le même jour, la préfète du Bas-Rhin Josiane Chevalier a annoncé quinze policiers CRS supplémentaires par jour, « le temps qu’il faudra ». Si la préfecture n’a pas répondu à Rue89 Strasbourg sur la durée de mobilisation de ces effectifs, certains policiers interrogés indiquent revenir du quartier de La Guillotière à Lyon et estiment être à Strasbourg pour quinze jours.

Une situation plus tendue depuis le Covid-19

L’annonce de la préfecture répond à la demande de plusieurs collectifs d’habitants, constitués autour de la place Ferdinand-Braun, dont Rue89 Strasbourg a décrit la situation début août, la place Sainte-Aurélie, la rue du Faubourg-National, la petite rue de la Course et la rue de la Course. Ces habitants alertent les pouvoirs publics via des courriers et sur les réseaux sociaux depuis novembre 2021 pour des problèmes d’incivilités, de nuisances sonores nocturnes, de rassemblements qu’ils jugent suspects…

Baptiste – dont le prénom a été changé à sa demande, habitant de la rue du Faubourg-National et membre actif de l’un de ces collectifs, constate des « deals » et des « incivilités » :

« On ne peut pas parler d’insécurité, ce n’est pas le mot. Mais il suffit de regarder par la fenêtre, il y a des personnes qui squattent et qui font beaucoup de bruit. Pas besoin d’être inspecteur de police pour constater qu’il y a des trafics qui se font dans ce quartier. »

Sur la place Ferdinand Braun, en août, les habitants se plaignaient de nuisances sonores sous leurs immeubles. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Une réunion avec la préfète et l’opposition mais sans la Ville

Après plusieurs articles de médias nationaux (Le Figaro, Valeurs Actuelles), la préfète Josiane Chevalier a organisé une réunion mercredi 14 septembre en présence de la procureure de la République, Yolande Renzi, d’une dizaine d’habitants et de Pierre Jakubowicz, conseiller municipal d’opposition (Horizons). Ce dernier a été convié car, assure-t-il, il a écrit le 8 août au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour l’alerter sur « l’appel à l’aide des habitants du quartier Gare de Strasbourg ».

En revanche, aucun agent des services de la mairie ni élu de la municipalité n’a été invité à cette réunion. Nadia Zourgui, adjointe à la maire en charge de la sécurité, explique :

« Je ne peux pas me rendre à une réunion à laquelle je ne suis pas conviée. Nous n’avons d’ailleurs pas non plus été informés de la visite de la préfète et de la procureure de la République dans le quartier Gare jeudi 15 septembre. Cela me questionne car le ministre de l’Intérieur lui-même prône un continuum entre l’État et la Ville sur les questions de sécurité. »

« C’est pas un combat politique, on veut juste être peinards »

Baptiste était présent à cette réunion. S’il reconnaît que son mouvement est récupéré par la préfecture et par Pierre Jakubowicz, il ne s’en préoccupe pas :

« On s’est tourné vers la préfecture parce qu’on avait déjà fait des appels à la ville et à la maire mais que pour eux, la situation n’était pas vraiment problématique. Maintenant, c’est que de la politique et chacun agit pour ses intérêts. La majorité municipale se sent attaquée, avec tous les articles qui sortent sur les relations entre la préfète et la maire. On a même eu droit à un article dans Valeurs Actuelles ! Si on avait pu se passer de tout ça, on l’aurait fait. Ce n’est pas un combat politique pour nous, on veut juste être peinards. »

Dans le quartier Gare, ce lundi après-midi, une quinzaine de policiers CRS se sont ajoutés aux effectifs de la sécurité publique, à la demande de la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

23 caméras et six policiers municipaux dans le quartier

Dans son communiqué du 14 septembre, la préfète appelle la municipalité de Strasbourg à « utiliser tous les leviers nécessaires » pour améliorer la sécurité dans le quartier Gare. Nadia Zourgui y a répondu dans une publication sur Facebook du 16 septembre, dans laquelle elle affirme que des caméras de surveillance supplémentaires seront installées en 2023 ou 2024, contrairement à des déclarations précédentes des élus écologistes. Elle détaille ces mesures :

« Il y a déjà 23 caméras rien que dans le quartier gare, sur environ 300 à Strasbourg. Nous travaillons pour en installer d’autres à des endroits stratégiques. Nous ne sommes pas contre l’utilisation de la vidéosurveillance, mais pour que celle-ci soit régulée. »

Elle affirme aussi vouloir élargir le périmètre d’application d’un ancien arrêté d’interdiction d’alcool sur la voie publique, qui ne s’applique pas sur toute l’étendue du quartier Gare. Concernant les policiers municipaux, elle note que deux patrouilles de trois agents, soit six agents au total, sont déjà à l’œuvre dans le quartier depuis 2020, et qu’elle ne compte pas en ajouter d’autres.

« Les CRS, ça fait un peu hard »

Pour justifier le renfort de policiers, la préfecture du Bas-Rhin évoque dans son communiqué « plus d’une centaine d’interpellations par mois, dont 20% correspondent à des infractions sur des stupéfiants », sans préciser si cela concerne le quartier Gare. Elle estime aussi que les procédures en matière de stupéfiants ont presque doublé entre 2021 et 2022, passant de 70 à 132 procédures.

Depuis cette annonce, la police nationale communique ses actions de « sécurisation » dans le quartier Gare sur Twitter avec, par exemple, « 26 policiers mobilisés » le 20 septembre dans le quartier, ce qui a donné lieu au contrôle de 112 personnes et à trois interpellations.

Béatrice, qui habite un appartement à l’angle de la petite rue de la Course et de la rue du Faubourg-National depuis 40 ans, reconnaît que la situation s’est un peu calmée avec les passages plus fréquents de la police. Mais elle est surprise par la présence de CRS :

« Je les ai remarqués depuis quelques jours dans le quartier. Bon, ça fait un peu hard hein. C’est plus dans la logique des choses que la police municipale intervienne sur ces lieux. Pour moi les CRS, ça traduit quelque chose de plus grave. »

« Ils vont juste changer de quartier »

Florian traverse la petite rue de la Course pour rentrer dans son appartement près de la rue Kageneck. Lui se dit « dérangé » par la présence de policiers partout et la potentielle installation de nouvelles caméras :

« Les gens qui font du bruit tard le soir, moi je ne trouve pas cela grave. C’est un quartier cosmopolite comme on dit. Après les gens qui squattent, peut-être qu’il faudrait leur trouver un logement avant. Que les jeunes qui n’ont rien à faire et nulle part où aller se tournent vers la drogue, ce n’est pas nouveau. Mais ce n’est pas la répression qui va changer quoique ce soit, ils vont juste changer de quartier. Je crains que l’effet de ces patrouilles vise surtout à contrôler l’identité et arrêter des personnes en situation irrégulière. »

Le communiqué de la préfecture mentionne d’ailleurs que la police aux frontières a depuis le début de l’année interpellé plus de 300 citoyens en situation irrégulière, sans préciser si ces interpellations concernent le quartier Gare. Niabia, habitant de Strasbourg depuis 30 ans, pense aussi qu’il y a d’autres solutions :

« Ce sont souvent des gens qui ont du mal à s’intégrer. Puisqu’ils n’ont pas de travail, que certains ne le peuvent pas, ils traînent. Il faut des politiques sociales pour prendre ces gens-là en charge. Ce ne sont pas les policiers qui vont rétablir le lien social. »

Béatrice, comme d’autres habitants du quartier favorables à la présence policière, se pose quant à elle la question de la pérennité d’un tel dispositif, et de ce qui se passera une fois les CRS partis. Une question à laquelle Nadia Zourgui n’a pas de réponse :

« On est bien content d’avoir les CRS à la gare, mais c’est provisoire. On va continuer le très bon travail en équipe avec la police nationale, grâce au groupe de partenariat opérationnel (qui regroupe la Ville, la police municipale et des habitants, NDLR). Mais on continue de chercher les solutions, notamment par les arrêtés, et la mise en place de caméras. »


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