
Fin des années 2000, trois amis bas-rhinois ont construit un algorithme capable de jouer au poker en ligne. Ils ont d’abord rêvé d’une île et d’argent facile, avant d’abandonner le projet, trop chronophage et rendu impossible par la loi relative aux jeux d’argent et de hasard en ligne…
« Tout est parti d’une blague : on s’est dit, pour battre Stéphane au poker, il faudrait créer un robot ! » En 2007, Stéphane (les prénoms ont été modifiés) étudie les mathématiques. Il travaille à côté pour un site de conseils de stratégies de poker. Le jeune homme potasse les théories du jeu et aide les joueurs. Le samedi soir, il joue pour lui-même et sort souvent vainqueur de ses parties entre amis. Ses potes d’enfance, Paul et Arthur, connaissent mieux le langage informatique et le développement web que les cartes. La blague va donc devenir un projet très sérieux : il s’appellera Bender, le robot qui joue au poker… et qui triche.

Trois potes, toutes les compétences
La fine équipe dispose de toutes les compétences pour créer l’algorithme. Stéphane, c’est l’expert du poker. Arthur étudie l’informatique. Il traduit les stratégies de jeu de son acolyte en code. Paul travaille déjà dans l’entreprise de son père. Développeur autodidacte, il gère le réseau internet, le planning de jeu ou encore la mise à jour du robot. « Mais ce projet n’aurait jamais fonctionné si l’on ne se connaissait pas depuis qu’on a douze ans », ajoute Paul en tirant sur une cigarette.
Sur Rue89 Strasbourg
Pendant trois ans, la bande charbonne pour faire tourner le robot. Les trois compères mettent leurs activités entre parenthèse pour s’y consacrer quasiment à temps plein. L’organisation est huilée : l’ordinateur central contrôle 48 tours. Chacune est associée à une identité physique et peut donc s’inscrire sur un site de poker explique Stéphane :
« On représentait en tout cinquante personnes. Il y avait des membres de nos familles, des potes, des frères de potes, on leur filait chacun cinquante euros ou 10% de l’argent gagné sous leur identité. »

Robot vs. amateurs
L’objectif : « tout automatiser », de l’allumage, la connexion, la partie à l’éteignage. C’est face aux joueurs amateurs que Bender est le plus efficace. Avec une somme de départ limitée, le robot enchaîne les manches. C’est notamment le soir, lorsque beaucoup de joueurs se connectent qu’il amasse le plus. Lorsqu’un seuil de gain maximal est atteint, l’argent est directement transférée sur leur compte bancaire. Un niveau d’autonomie que Bender a atteint en six mois. Mais avec l’évolution du jeu en ligne, il faut le perfectionner.

Bender a un autre avantage énorme sur ses adversaires humains : « On pouvait anticiper le jeu de nos adversaires grâce au profiling (analyse de statistiques, ndlr) des autres joueurs, décrit Paul, donc on avait des statistiques énormes sur nos adversaires. » Les trois amis profitent aussi des offres faites aux nouveaux joueurs : « On s’est vraiment gavé sur les 50 ou 100 dollars offerts par les plateformes pour inciter au jeu », se souvient Stéphane.
« Les gens trouvaient ça cool mais… »
Torse nu sur sa terrasse, Stéphane se rappelle aussi du côté sexy de cette activité. « À la faculté, les gens trouvaient ça super cool mais ils ne savaient pas le temps que ça nous prenait en réalité… »

Comme n’importe quels gangsters, la bande doit tout faire pour ne pas être repérée. Les sites de poker ferment les comptes et saisissent les fonds en cas de comportement suspect. Il en va de leur réputation. Si un joueur apprend qu’un robot a joué sur sa plateforme, l’internaute risque d’aller voir ailleurs par peur d’être dépouillé par une intelligence artificielle. Paul et Arthur passent donc beaucoup de temps à construire un algorithme au comportement le plus humain possible.
Des contraintes chronophages
Pour rester caché, Stéphane fait des recherches sur des forums spécialisés :
« Ce sont des choses très simples qui pouvaient nous dénoncer. Un utilisateur humain, quand il joue, il déplace sa souris d’un point A à un point B. Un robot ne fait pas le déplacement. On a donc dû programmer la simulation du déplacement de la souris par exemple. »
Autre contrainte chronophage : la mise à jour régulière des sites de poker. Stéphane détaille une autre limite du robot : « Il suffisait que la plateforme change la forme de ses cartes pour que l’algorithme soit perdu. Il fallait constamment l’adapter aux nouvelles versions. »
D’un rêve d’île au SMIC
Au départ, les trois amis se voyaient déjà vivre sur une île en profitant de l’argent généré par Bender. Progressivement, la vision de plages de sable fin s’est dissipée : « Avec notre robot poker, on a gagné plus de cent mille balles en trois ans. Mais quand tu rapportes ça à un salaire horaire, on gagnait moins que le SMIC. Ce projet, c’était deux ans de travail », décrypte Stéphane.
En mai 2010, la nouvelle régulation des jeux d’argent en ligne limite les joueurs aux sites qui respectent la réglementation nationale. Une nouvelle autorité (l’Autorité pour la régulation des jeux en ligne) peut s’attaquer aux sites récalcitrants. Avec pour terrain de jeu la France uniquement, le robot perd de sa rentabilité. « Si on avait continué, on aurait enfreint la loi », souffle Stéphane. De plus, une taxe est mise en place sur les bénéfices des plateformes. « Cet impôt, c’était exactement notre marge. Ce n’était plus rentable », analyse Stéphane.
La fin de Bender
Dans la cave des parents d’Arthur, la cinquantaine de tours ne tournent plus depuis 2010. Les trois amis se sont repartis 20 000 euros avant d’éteindre Bender. Quelques potentiels investisseurs se sont manifestés… avant d’abandonner le projet. Tant pis. L’un des trois travaille aujourd’hui au Vietnam. Il y a développe des jeux pour smartphone à son compte. Multi-entrepreneur, Arthur assure avoir utilisé une partie de l’algorithme pour ses propres projets. Il ne regrette rien : « Je trouve ça cool de vivre ton rêve et de ne pas être tributaire du système. »
Sur sa terrasse, à quelques dizaines de kilomètres de Strasbourg, Stéphane est moins catégorique. Aucun remord face aux joueurs battus par un algorithme : « Notre robot avait ses failles. Il n’avait aucun bon sens humain comme pour anticiper le bluff. Il suffisait de l’exploiter pour le battre… » Mais un sorte de regret tout de même : « Quand je vois tout le temps qu’on a mis dans ce projet, je me dis que c’est dommage que la société ne pousse pas à des actions plus constructives… »
Ce message s'adresse à Bender. Je réalise un webdocumentaire sur l’industrie des jeux d’argent et je m’interroge plus particulièrement à la question de l’utilisation de bots lors de parties de poker en ligne. Seriez-vous d’accord pour me raconter votre histoire de vive-voix ? Vous pouvez me contacter directement par mail : manon.lombartbrunel@gmail.com
Je vous remercie,
https://www.chez-web.fr/bender-the-poker-bot/
Bonne lecture ;)
Aujourd'hui tu ne peux quasiment plus le faire car le temps entre un but et la fermeture du book est quasi immédiate.
J aime beaucoup ce genre d histoire en tout cas, c était tellement grisant à cette époque là.
La conso électrique de 48+1 tour avec la plus faible alim possible (ATX 300W) représente 14700W soit l'obligation de prendre un abonnement électrique de 15kva juste pour la cave des parents d'arthur... Soit avec un fonctionnement que de 6h/jour, 600€ d'électricité par mois avec l'abonnement.
Il était déjà possible à l'époque de faire des machines virtuelles à l'aide de VMware par exemple, ce qui facilitait largement la mise en place des bots. Il était déja possible de louer a bas cout des serveurs distant (meilleur connection, meilleur rendement, facilité de gestion, ...)
Si au moins un seul des 3 mecs en questions avaient à l'époque approché de près ou de loin une formation en informatique, ils l'auraient su et n'auraient jamais opté pour un roman ou l'intrigue se passe dans la cave des parents!
Alors non, l’elec coûtait dans les 150€ / mois. Les tours se mettaient en veille quand elles ne jouaient pas et non ,12kVA mono ça passait avec la machine à laver 😉
Ta solution VMware aurait été plus chère à long terme que des tours à 150 balles pièce, résolution forcée a 4000 par 1000 pour du 10 tabling.
Bref tu n’as pas idée de toutes les contraintes techniques.
On avait de bonnes raisons de faire comme ça, dépannage en local avec un KVM bien pratique par exemple.
Pose des questions plutôt que de prendre les gens de haut 🤫
LOL @ ton dernier paragraphe.
Alors qu'en 10-tablant sur 50 comptes (lol), 90k mains sont atteintes en... 2/3h 😂
J'ai du mal à croire aux 100k$ sachant :
- que la seule courbe de gains qu'ils nous proposent est de 538$...
- que les rooms n'autorisaient pas plusieurs comptes connectés sur la même ip en même temps, alors 50 bots c'est gros
La période 2006/2010 était vraiment incroyable pour le poker en ligne, le niveau global était pitoyable (merci les américains) et l'argent relativement facile.. Je suis nostalgique.
Les 3 protagonistes auraient gagné plus d'argent en jouant plutôt qu'en essayant de tricher !
C'est même encore plus facile avec l'IPv6 maintenant (une IP publique par machine, dont avec 50 machines virtuelles, 50 IPs différentes.
Après le plus intéressant c'est l'expérience gagné, devoir programmer ça tout en gardant un comportement "humain", ça doit être génial (mais difficile) à coder.
48 bots, c'était la capacité max, très rarement déployée car l'AI n'était pas gagnante au delà des limites min. et pour ne pas avoir des bots qui se retrouvait à jouer les uns contre les autres.
Max de 2/3 par table de 10.
D'ailleurs partager les infos des cartes, ou jouer différemment contre les autres bots était détectable par les sites (on s'est fait cramer des comptes pour collusion à un moment, mauvaise idée)
Le 10 tabling était possible mais pour plus de stabilité on faisait du 8 en général.
On évitait Stars, PartyPoker parce qu'ils étaient très fort en détection et envoyait parfois des captcha... bref on était sur everest, ongame et un court passage sur ipoker qui buggait beaucoup. Donc des trafics corrects à l'époque mais pas énormes Sauf en soirée ou weekend, on y déployait assez peu de joueurs.
Ensuite, on avait des plannings de jeu aléatoires pour paraître humain. Tu laisses tourner un joueur H24, tu te fais supprimer direct.
Vous n'avez aucune idée de la quantité de problématiques soulevées par un tel projet.
Au final nos joueurs jouaient environ 30 à 40k hand. mais tout ça a pris près d'un an de taf à être pleinement opérationnel avec 48 comptes, soit milieu / fin 2008. Pendant un an très peu de retraits aussi du coup, le temps d'alimenter tous les comptes. Puis pendant un an, ça a bien joué, et après on a laissé finir en roue libre avec des profits en baisse jusqu'à l'arrivée de l'ARJEL, merci au revoir.
Donc ouais, des millions de mains, mais un taux de gain hyper faible (bien moins que sur le graph là, plutôt 1 à 2bb/100) aux limites minimales, et merci le rakeback.
Donc 100k € de chiffre d'affaire environ sur l'ensemble de la période, sur lesquels il faut enlever les frais matériel et fonctionnement, au final un 1k€/tête pas de richesse, mais quand t'es étudiant entre ça et le macdo, c'était plus drôle.
Le graph là c'est le seul qu'on a retrouvé. Je me suis pas amusé à passer plus d'historiques dans PT. Assez rapidement on a mis en place notre propre système d'analyse pour débugger avec les logs du bot directement pour voir d'où venait les problèmes. Comme j'ai dit le winrate y est très élevé par rapport à ce qu'on a eu en moyenne.
C'est hyper dur de faire une AI gagnante en no limit quand t'es juste 3 connards à la maison.
On a fait ça du mieux qu'on pouvait et c'est déjà pas mal.
Je vais voir pour faire écrire l'histoire complète en détail, là le format de rue 89 ne permet qu'un teasing ;)
+ rakeback
estimation grossière qui a varié pas mal au fil du projet.
Les 100k €, je les sors de notre compta basée sur les retraits de cash.