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Sonia Verguet façonne des œuvres d’art comestibles

Sonia Verguet est « designer culinaire », l’une des seules de la région. Rencontre avec une artiste strasbourgeoise enthousiaste à l’ère du « manger mieux ».

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Sonia Verguet façonne des œuvres d’art comestibles

Sonia Verguet donne rendez-vous sur son lieu de travail, le pôle Rotonde, qui abrite aussi « Accélérateur de particules » et d’autres designers, illustrateurs, photographes… Derrière le bâtiment, l’ombre d’un arbre et des chaises de récupération offrent une hospitalité suffisante pour parler avec l’artiste de ce qu’elle fait et de ce qui l’anime : le design d’objet et le design culinaire.

Rendre le kougelhopf cool

En ce moment, elle explore le kougelhopf, une brioche qu’elle trouve « sèche et ennuyante », pour en faire le sujet de son prochain livre (après Initiation au design culinaire, sorti aux éditions Eyrolles en 2015).

L’idée lui est venue en retrouvant un moule chez elle, avec lequel elle a voulu expérimenter :

« J’ai réalisé que tout le monde possède ce genre de moules chez lui, mais l’utilise peu. Je me suis demandée pourquoi on ne s’autorisait pas à en faire autre chose, à l’utiliser pour des cakes au citron ou aux olives. J’ai commencé à en faire plein de choses différentes, et en les postant sur les réseaux sociaux (voir son compte Instagram), j’ai compris que cela intéressait des gens, qui me réclamaient une suite ».

Intitulé “Coolglof”, l’ouvrage sera garni de 100 kougelhopfs revisités (le Kidsglof, le “Charpente”…), de 100 images donc, mais quasi sans recette. Le but est surtout de stimuler l’imagination par l’image.

Pour elle, cet ouvrage est le fruit d’un savant mélange de chance, de hasard et de réseautage. Pour Initiation au design culinaire, un éditeur chinois pour qui elle avait écrit un édito l’avait encouragé à présenter tout ce qu’elle avait déjà fait dans un livre. Même si elle “doutait un peu”, Sonia a envoyé un présentation de ses créations, et à sa grande surprise, s’est vue publiée. Elle a décidé de faire de même avec ses kougelhopfs et la maison Kéribus, rencontrée lors d’un salon du livre.

Arrivée il y a 15 ans en Alsace, Sonia Verguet compte encore mieux développer son activité dans son futur atelier de la Coop Photo : DL / Rue89 Strasbourg / cc

Strasbourg, « ville de vacances »

Avec ce travail sur le kougelhopf, elle se penche sur un symbole fort de sa région d’adoption, qu’elle ne quitterait pour rien au monde… pour l’instant. Après 3 ans de Beaux-Arts à Dijon, elle est venue finir ses études aux Arts déco à Strasbourg, section objet, en 2004. Elle est restée “parce [qu’elle] aimait la ville”, tout simplement :

« L’échelle de la ville me plaît, on en fait facilement un tour d’horizon, on est rapidement au courant des choses, on n’est pas noyé dans les infos ou les offres, en termes de travail notamment. »

Elle qui quitte souvent Strasbourg pour le travail pense que le secret pour ne pas se lasser de la ville, c’est la séparation :

« J’ai encore le même regard que celui que j’avais quand je suis venue pour la première fois, pour passer le concours. J’aime le fait qu’elle soit plutôt verte, et j’aime bien l’eau. Strasbourg me fait penser à une ville de vacances. »

Quel goût a le rock ? Quelle forme a le sucré ?

Ses débuts portent donc sur un travail plus courant, le design d’objet. Mais après avoir participé à une exposition pour les Journées de l’Architecture, dont le thème était « Le goût de l’architecture », elle s’associe au chef cuisinier et designer Olivier Meyer.

Avec lui, elle parcourt les expositions culinaires pendant 3 à 4 ans. Seule, elle continue à répondre à des commandes. Pour les 25 ans des Eurockéennes, elle présente un projet autour du « goût de la musique » : le public est invité à décrocher des notes de musique comestibles et à les tremper dans des sauces aux noms de musique. De quoi réfléchir au goût qu’aurait l’électro, le rap…

Pour le magazine Bubble Mag Paris, elle invente un « goûter ludique pour les petits », avec des morceaux de pâtisserie en formes géométriques, qui s’imbriquent et ont des goûts différents selon la couleur. Pour un repas à la Haute école des arts du Rhin (HEAR), elle réfléchit à la forme qu’auraient les saveurs et imagine des mets dont il faut deviner le goût en fonction de son apparence ou de son support. Pour le Musée d’art moderne du Luxembourg et son exposition « Damage Control », elle invite les visiteurs à détruire du biscuit au maillet pour créer son propre crumble…

Ce qui lui plaît dans tous ces projets, c’est de « créer du lien » :

« La nourriture est un plaisir gustatif, mais nourrit aussi les souvenirs d’être ensemble. »

L’importance de la Chine

Arrivée à Strasbourg, elle fonde l’association Rhénanie avec la dessinatrice Olivia Benveniste, pour inviter les designers et artistes à réfléchir ensemble à un sujet. Elles lancent alors un premier projet, qui dure trois ans, autour de l’Histoire du bleu dans la céramique, à l’occasion duquel Sonia Verguet expose au Musée alsacien et fait des ateliers à la HEAR.

Surtout, elle en profite pour aller en Chine, car « ce sont vraiment les Chinois qui ont démarré le bleu dans la céramique, et il fallait aller à la source. » C’est la deuxième fois qu’elle se rend là-bas. La première fois, elle assurait le vernissage de Food Design, une exposition itinérante organisée par le designer culinaire Marc Brétillot, qui présentait le travail de ses camarades français du secteur. Elle se rappelle d’ailleurs qu’ils n’étaient que 7. En Alsace, elle n’en connaît pas d’autres…

Sonia Verguet est une des seules designers du coin à explorer la matière comestible (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Elle retournera une troisième fois en Asie à titre personnel, à Jingdezhen, grâce à une bourse de la région Grand Est. De ces résidences, elle tire des objets qui revisitent des classiques, en créant d’abord un carnet de bord avec des peintures sur tasse en porcelaine, et en créant un vase et une théière dotés des images traditionnelles chinoises de la carpe et du dragon… qui n’apparaissent que si l’utilisateur relie les points entre eux.

Du Jura à l’Egypte en passant par les Philippines….

Sonia Verguet se nourrit de ces voyages, elle qui n’est jamais vraiment restée en place. Née à Saint-Claude, dans le Jura, elle déménage très vite avec sa famille à Manille, aux Philippines, au gré des mutations de son père. Elle revient faire une partie de son collège en France, et une autre en Egypte. Tout cela l’a rendue très ouverte aux changements :

« J’ai beaucoup voyagé donc je m’adapte, je ne me pose jamais trop de questions. J’ai l’impression que trop de gens réfléchissent et, du coup, ne font pas. Je me suis rendue compte que ça fonctionne bien quand je fais attention à mes intuitions. »

Elle constate que tout se fait plus rapidement aujourd’hui, que les gens la connaissent et viennent la voir. Le risque, c’est d’être un peu dépassée par les événements : elle est sa propre chargée de communication, son propre agent prospecteur, sa propre comptable. Cela l’a frappée quand un client lui a demandé au téléphone de « lui passer [son] attachée de presse » et qu’elle s’est regardée, toute seule dans son bureau :

« Entre les e-mails, les budgets, les demandes de subvention, je réalise que mes créations représentent 5% de mon travail. Du coup je ne fais que des petites choses, je suis limitée par mes propres capacités. »

Elle réfléchit à s’entourer de collaborateurs, à « travailler à plusieurs sous forme de studio », pour faire grossir son activité.

Elle déménagera bientôt dans les locaux du nouveau terrain de la Coop. Elle trouve cela « enthousiasmant d’arriver dans un endroit nouveau », car « le cerveau se met en reset ».

Sonia Verguet va quitter le Pôle Rotonde et son mini coin de nature pour la Coop (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

« Manger mieux », dans un monde de surconsommation

Surtout, elle aimerait que son lieu de travail puisse davantage servir de “showroom”. Alors que le déménagement a été repoussé en raison des retards de travaux, elle invitera à l’occasion de l’inauguration future les Strasbourgeois à réfléchir autour du “manger mieux”. Des artistes et designers étrangers du réseau de Rhénanie seront conviés. Cela pourrait être le projet Volumes, de Marije Vogelzang, sur notre rapport à la satiété, ou celui de Naoto Fukasawa, Packaging, qui valorise le contenu sans marketing ou slogans.

Car Sonia Verguet songe souvent à ce que cela signifie d’être designer, de créer de l’objet dans un monde de surconsommation. Avec le design culinaire, elle « le vit un peu mieux », car ce qu’elle produit est éphémère (et retourne à la terre, d’une manière ou d’une autre, rappelle-t-elle), mais « reste peut-être plus en tête ».

À terme, l’artiste espère un projet plus grand, quand elle aura davantage de subventions. Plusieurs initiatives strasbourgeoises ont attiré son attention, comme La Fabrique de l’Hospitalité à l’hôpital civil de Strasbourg, qui a entamé une démarche design pour améliorer certaines parties de l’hôpital, ainsi que les temps d’attente ou les séjours des patients.

En ce moment, ils réfléchissent aux repas à l’hôpital et se demandent pourquoi personne n’aime la nourriture à l’hôpital (“cela pourrait avoir trait aux barquettes, à la présentation du menu, aux odeurs, aux sons qui entourent les repas, etc”, avance Sonia). Une réflexion qu’elle aimerait beaucoup montrer, mais qui en est encore au stade de l’idée.

Sonia Verguet songe souvent à ce que cela signifie d’être designer, de créer de l’objet dans un monde de surconsommation (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

En attendant, son actu de l’été, ce sont des vidéos sur le design et pour les enfants, diffusées au Centre Pompidou. Il y en a deux qui sortent par mois à partir de juillet et jusqu’en octobre.

De quoi ajouter encore une corde à son arc, même si, pour elle, que ce soit à travers des objets, de la nourriture, des livres ou des vidéos, il s’agit toujours de la même chose : « améliorer le quotidien et créer du sens » .


Des Strasbourgeoises ou des Strasbourgeois mieux connus par leurs exploits ou leurs réalisations en dehors de l’Alsace que par leurs voisins. Et cette série d’articles est là pour changer ça !

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