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Zéro déchet : pourquoi les grandes villes comme Strasbourg sont à la traîne

Tri des biodéchets, principe du « pollueur payeur » … La France sait réduire ses déchets, mais pas à l’échelle d’une métropole. Les exemples français mis en avant par les associations se trouvent encore dans les petites agglomérations.

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Zéro déchet : pourquoi les grandes villes comme Strasbourg sont à la traîne

Mercredi, 17h30. Zamaraï gare son vélo-cargo sur les pavés de la place Saint-Étienne. Il traîne derrière lui un conteneur divisé en trois bacs. Trois réceptacles prévus pour accueillir « l’or vert » du centre-ville. Virginie est la première arrivée. Elle présente son seau en plastique marron fourni par la ville et verse ses épluchures, coquilles d’œufs, et autres restes de repas. Cette habitante du quartier est l’une des cent volontaires qui expérimentent la collecte des biodéchets en centre-ville.

« Ce sont des amis qui m’ont parlé de cette solution quand je suis arrivée dans le quartier en juin. Avant j’avais mon propre composteur d’appartement, mais il était trop volumineux pour mon nouveau logement. Et puis ici, ils acceptent aussi les restes de repas, contrairement au compostage de proximité. »

Les déchets verts sont ensuite transformés en méthane et en compost par Recybio, une filiale du groupe Schroll, basé à Strasbourg. L’expérience dure depuis fin 2018. L’Eurométropole la reconduit pour une année de plus et l’étend à 200 personnes. L’occasion selon Françoise Bey (PS), vice-présidente en charge de la gestion des déchets à l’Eurométropole, de tester la viabilité du dispositif avec un rayon de captage plus étendu.

Virginie confie ses biodéchets de la semaine à Zamaraï. Ceux-ci seront ensuite compostés ou méthanisés (photo Pierre Pauma)

Multiplication des expériences

Alors que son usine d’incinération n’en finit plus d’enchaîner les déconvenues, Strasbourg cherche des solutions pour réduire le poids de la « poubelle bleue ». Le ramassage à vélo n’est qu’une seule tentative parmi l’éventail de solutions testées par l’Eurométropole. On connaissait déjà le compostage de proximité par les associations et la collecte de biodéchets à vélo pour les restaurateurs. Holtzheim vient d’inaugurer la première collecte de biodéchets en « apport volontaire » de l’Eurométropole : les cobayes se sont vus confier le même seau marron que les habitants de la place Saint-Étienne à Strasbourg, qu’ils viendront vider aux points de collecte prévus. Avantage sur le vélo : plus besoin de pointer avec son seau à épluchures à une heure précise, chacun vient déposer ses restes alimentaires quand bon lui semble. Une expérience similaire est prévue à la Montagne Verte avec des conteneurs semi-enterrés, toujours menée par Recybio.

Chaque solution a ses avantages et ses inconvénients. Pour faire court : l’apport volontaire sur site (comme pour le verre) a le mérite d’optimiser le parcours des éboueurs, mais demande un effort aux usagers (comme pour le verre, il faut faire la démarche d’apporter ses biodéchets sur place). Le compostage de proximité est la solution la plus économique, car il limite au maximum l’intervention de prestataires extérieurs, et permet de recycler les déchets sur place. Mais mal géré, il attire les rats. Et le « lien social » vanté par ce service de proximité cache parfois une lourde responsabilité et une charge de travail qui est exercée bénévolement.

Reste la collecte en « porte-à-porte », qui est la plus simple pour l’usager. Comme pour ses poubelles bleues et jaunes, il n’a qu’à verser ses déchets « fermentescibles » dans un bac qui est ensuite collecté par les éboueurs. Mais c’est aussi la solution la plus onéreuse. L’Eurométropole voulait tenter l’expérience sur la Presqu’Île Malraux d’ici mai 2020. Mais le projet devrait prendre du retard. « Nous avions créé un marché public pour un budget de 60 000 euros, mais nous n’avons pas eu d’offre satisfaisante avec ce budget », indique Françoise Bey.

Le compostage de proximité a l’énorme avantage d’être économique. Mais il demande beaucoup d’investissement de la part des habitants (photo Pierre Pauma)

Objectif pour 2021 : 30 000 personnes couvertes par le tri des biodéchets

Pour la vice-présidente en charge de la réduction des déchets, le but en cette fin de mandat est d’expérimenter un maximum, et d’avoir une solution adaptée aux différentes situations présentes sur l’Eurométropole :

« Nous attendons beaucoup de l’expérimentation à la Montagne Verte qui se fera sur des logements sociaux. D’une manière générale, la grande difficulté de l’Eurométropole est d’avoir des zones d’habitations très variables, avec parfois beaucoup de densité. Même en deuxième couronne où l’on avait essentiellement des habitations individuelles, on voit de plus en plus de petits habitats collectifs. »

Les expérimentations devraient se poursuivre jusque fin 2020. L’équipe qui sera élue en mars aura ainsi des éléments pour passer à une nouvelle expérimentation à plus grande échelle, pour 30 000 personnes.

Les objectifs européens devancent en partie ceux du Plan Climat

Quelle que soit la majorité à l’EMS, il faudra s’en tenir aux objectifs du Plan Climat : réduire de moitié le tonnage de la « poubelle bleue », destinée à l’incinération, et recycler, valoriser ou composter 50 % des déchets ménagers.

Problème sur ce dernier point, ces objectifs sont en partie déjà caducs. La directive déchets de l’Union Européenne adoptée en 2018, fixe pour 2030 le taux d’emploi et de recyclage à 60%. Le tout avec une définition plus restrictive du recyclage. En France, le recyclage était jusque-là inclus dans un agrégat plus large, la « valorisation matière ». Une définition pratique, qui permet de gonfler les chiffres, en y ajoutant par exemple la réutilisation de certains déchets dans le BTP. Ainsi en 2018, le « taux de valorisation matière » dans l’EMS était de 31,6%. Enfin, d’ici fin 2023, tous les États-membres devront proposer une solution de tri des déchets à la source.

Paquets de chips et épluchures dans la même poubelle, bientôt une relique du passée ? L’Europe veut imposer le tri d’ici fin 2023. (photo Pierre Pauma)

Biodéchets et tarification incitative : les petites villes pionnières…

La plupart des villes qui produisent le moins de déchets par habitant sont des agglomérations de taille plus modeste. Dans un classement des communautés de communes les plus vertueuses en la matière, Zéro Waste France met l’accent sur deux mesures : le tri des déchets et une tarification incitative selon le principe du « pollueur-payeur ».

La championne de France vient du Haut-Rhin : la communauté de Dannemarie ne comptait en 2017 que 64 kgs par habitant « d’ordures ménagères résiduelles » (la poubelle bleue à Strasbourg). Dans le palmarès, on trouve également Guebwiller (89 kilos par habitants, 40 000 habitants), ou Thann-Cernay (95 kilos en 2018) bien placés. Besançon, seule ancienne « capitale régionale » du tableau d’honneur, ferme la marche avec 150 kilos de déchets par habitant en 2017. Strasbourg est loin derrière, avec 252 kilos d’ordures ménagères résiduelles par habitant en 2018.

D’ordinaire, les petites agglomérations tendent à produire plus de déchets (toutes poubelles confondues plus apports en déchetterie) que les grandes métropoles. Mais avec ce régime draconien sur le sac poubelle non recyclé, les agglos modèles rivalisent avec les performances des grandes villes : 446 kilos de déchets par habitant pour Dannemarie, 526 kilos pour Thann Cernay, contre 456 kilos pour Strasbourg.

… Les grandes villes derrière

Avec ses 250 kilos d’ordures ménagères par habitant qui devraient bientôt être entièrement incinérées, Strasbourg n’est ni en retard, ni en avance. Elle se situe dans le peloton des « expérimentateurs à grande échelle ». Nantes planche elle aussi sur le compostage et le ramassage des déchets verts à vélo, tandis que Paris tente la collecte des biodéchets dans les 2e, 12e et 19e arrondissements. Sur la tarification incitative, Grenoble passera le cap en 2022, là où Strasbourg l’a ajournée.

Dans les moyennes et grandes villes, Besançon fait office de bon élève. Avec ses 190 000 habitants, la capitale franc-comtoise est passée à la tarification incitative en 2012. Résultat : Une baisse des ordures ménagères par habitant de 20%. Encourageant, même si la collecte des biodéchets reste à optimiser dans l’hypercentre. Élus comme professionnels s’accordent sur un point : l’anonymat de la ville ne favorise pas le tri. En immeuble, le citadin moyen a tendance à être peu regardant sur son propre tri, quand sa propre négligence est diluée dans des bacs collectifs.

Infographie : Pierre Pauma

La tarification incitative repoussée

Avec « deux à trois ans » de planification, Strasbourg aurait pu lancer le chantier avant la fin du mandat. Il est possible d’avoir une part de proportionnalité dans la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM, rebaptisée TEOMI si l’on ajoute une part « incitative ») depuis une loi de 2016. Mais la tarification incitative a été reportée à 2026 par l’Eurométropole, au grand regret de certaines associations comme Zéro Déchet Strasbourg. La future majorité aura la possibilité d’être plus ambitieuse, mais pour Françoise Bey, il faut y aller par étape :

« Il ne faut pas brusquer les habitants : en quelques années, il va falloir digérer la consigne pour le verre (et peut-être le plastique, selon l’évolution de la loi ndlr), l’extension du tri plastique, le tri des déchets verts, et la tarification incitative. Tout cela va prendre du temps. »

Les effets pervers de la redevance spéciale sur les déchets des professionnels

Le long terme dira si la stratégie des petits pas était la bonne. En attendant, les professionnels et établissements publics qui produisent plus de 770 litres de déchets par semaine goûteront dès 2020 à la redevance spéciale. Un avant-goût de la tarification incitative généralisée, qui cible les gros producteurs de déchets ménagers. Certains restaurateurs ont pris les devants en cofinançant Sikle, un service de collecte des biodéchets à vélo pour les restaurants volontaires. Une manière de réduire le volume de sa poubelle destinée à l’incinération, et qui devrait être plus lourdement taxée.

Sikle conseille aussi les restaurateurs, note son cofondateur Joakim Couchoud. Cependant, il avertit des effets pervers liés à la nature du mécanisme : en baissant leur quantité de déchets, certains risquent de changer de mode de tarification, et de voir leur taxe augmenter.

« Certains restaurateurs utilisent trois poubelles, ils peuvent en supprimer au moins une. Dans la moitié des cas, ils sont en redevance spéciale, et pour eux ça peut représenter une baisse des coûts. Mais s’ils repassent en dessous du seuil de la redevance spéciale, ils sont de nouveau considérés comme des ménages et paient de nouveau une taxe d’enlèvement des ordures basée sur leur taxe foncière. Au final, ils risquent de payer plus cher pour l’enlèvement de leurs déchets, alors qu’ils ont réduit le poids de leur poubelle bleue. »

Sikle ne se contente pas de collecter les biodéchets des restaurateurs. Le projet porté par Bretz’selle fait aussi de la prévention (photo Jean-François Gérard)

Le bac marron : une fausse bonne idée ?

Concernant l’obligation européenne de proposer une solution de tri des biodéchets, on est tenté de regarder ce qui se fait de l’autre côté du Rhin et de généraliser comme en Allemagne la bonne vieille poubelle marron, ramassée une à deux fois par quinzaine.

Pourtant, même les professionnels du secteur restent prudents. À Recybio, Jérémie Friedrich met également en avant les alternatives au ramassage des biodéchets :

« Si vous compostez déjà, ne vous arrêtez surtout pas. La collecte des biodéchets doit être pensée comme un complément à d’autres outils comme la lutte contre le gaspillage, la sensibilisation au tri, ou la gestion des biodéchets in situ. »

La Maison du compost ne dit pas mieux. Depuis 2012, celle-ci initie les Strasbourgeois aux joies du compostage individuel ou collectif à l’échelle d’un immeuble, voire d’un quartier. Pour Elsa Distel et Jean-Yves Brockers, le ramassage des biodéchets doit être pensé comme un complément, et non comme une solution de facilité :

« Il y a toujours le risque de déresponsabiliser les usagers. Certains feront le tri, mais n’iront pas jusqu’au bout de la démarche qui consiste à produire moins de déchets. Ce qui est quand même le but. De plus, sans un minimum d’entretien, la poubelle des biodéchets finit par sentir. Certains prennent sur eux de la laver régulièrement, d’autres non. »

Message de service de Jean-Yves Brockers et Elsa Distel : contrairement à une croyance répandue, les agrumes sont compostables. Il suffit de varier le mélange et de les débiter. (photo Pierre Pauma)

« On sait bien qu’on ne fera pas du compost partout »

Depuis sa création, la maison du compost a accompagné 150 projets collectifs dans l’agglomération. Cela va du projet d’immeuble pour une dizaine de ménages à des institutions telle la maison d’arrêt. En 2018, elle estimait avoir composté 279 tonnes de déchets, pour environ 4 500 personnes. Un joli score obtenu par trois salariés, deux services civiques, et des dizaines de bénévoles. Ils ont accompagné plus de la moitié des 260 sites de compostage recensés par l’Eurométropole. Mais cela reste une goutte d’eau à l’échelle d’un territoire de 490 000 habitants. Jean-Yves Brockers en a conscience, mais il veut tout de même pousser la logique le plus loin possible.

« On sait bien qu’on ne pourra pas faire du compost partout. Mais il faut avancer au maximum. On a quand même eu de belles réussites. Au quartier des Généraux à Schiltigheim dans des logements sociaux, les gens jouent le jeu, il n’y a pas plus d’erreur de tri qu’ailleurs. »

Comme toutes les grandes métropoles, Strasbourg cherche la formule pour alléger les poubelles. Reste à voir si la stratégie des petits pas permettra de suivre le rythme imposé par l’Europe.


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