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Quand Hautepierre était construit dans les années 1970, un quartier moderne à l’ouest de Strasbourg

Archives vivantes – Le quartier de Hautepierre se construit dans les années 1970 à l’époque où le développement de Strasbourg ne doit pas se faire « sur place », mais à l’extérieur. Ses grands ensembles construits sur les champs à l’ouest de la ville sont considérés comme modernes et permettant de loger une population modeste au milieu de rues à sens unique et sans feu tricolores pour circuler facilement en voiture. Souvenirs.

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Si depuis les années 2010, le développement de Strasbourg passe par la construction de « la ville sur la ville », c’est une option différente qui est choisie dans les années 1970. « Le développement ne se fera pas sur place », affirme alors le maire Pierre Pfimlin (Centre démocrate), qui rêve d’un Strasbourg « de 800 000 habitants, du Rhin aux Vosges », allant jusqu’à Haguenau, Barr, Obernai, Molsheim ou Erstein (8ème vidéo, en 1973).

Ce thème est toujours d’actualité dans les débats sur la « bétonisation » : trouver un équilibre entre développement de la ville et préservation des forêts et des champs, à l’aide de vastes « schémas directeurs ».

Espaces verts et calme

Et dans cet essor, Hautepierre est la principale opération (253 hectares). Ce qui est censé faire sa modernité, c’est d’être entièrement pensé pour l’automobile, avec ses voies à sens unique. « Le système permet une circulation unidirectionnelle comme sur les autoroutes », se targue l’un des concepteurs (dont le nom n’est pas consigné dans les archives de l’Ina, mais qui semble être l’architecte Pierre Vivien, 1ère vidéo, en 1970). « Il n’y aura jamais de feu rouge dans l’ensemble de Hautepierre ! », insiste-t-il. La rénovation du quartier en 2014 lui donne tort.

Les 11 mailles hexagonales prévues, et non 8 comme finalement réalisées, doivent relier Cronenbourg au nord et Kœnigshoffen au sud. Ces « unités de résidences » servent à composer « un grand village » avec des mailles de 3 à 4 000 habitants, avec une dominante d’habitations à loyer modéré (HLM). Le but : être assez près « de la ville et de ses emplois ».

Aménagements en débat dès 1973

Dès l’origine ou presque, à la fin des années 1970, Hautepierre est qualifié de réalisation « très controversée » par le journaliste, lors d’un long sujet sur la politique foncière de Strasbourg (8e vidéo). D’un côté, le député Jean-Claude Burckel (Union des démocrates, droite) s’inquiète :

« Le développement d’un agglomération nécessite des surfaces de terrains absolument importantes et c’est là qu’est la difficulté, puisque inévitablement, lorsqu’une agglomération s’étend, elle va surtout prendre des terrains à l’agriculture. C’est là qu’il faut trouver un juste équilibre. »

Le maire répond que ce serait « une très grave erreur » d’abandonner la deuxième tranche, mais qu’une « conception architecturale différente » pourrait être retenue (ce que l’on entend parfois aussi de nos jours).

Espaces verts, calme, équipements adaptés… Certains commentaires demeurent élogieux. Une vie de quartier se développe, par exemple avec le carnaval (3e vidéo, 1977). Les enfants s’amusent autant « sur les parkings » que les espaces de jeux « imaginés par les adultes ».

« Les écoles au milieu du quartier, ça me plaisait beaucoup »

Enseignante et toujours habitante de Hautepierre, Edith Wilhelm a déménagé de la Meinau vers ce quartier dans les années 1970, attirée par le concept :

« Ce qui me plaisait beaucoup, c’est cette idée des écoles au cœur des mailles, fermées à la circulation. Au début, les habitants sont arrivés avant les écoles et une des premières rentrées s’est faite dans des bâtiments préfabriqués. Les mailles suivantes ont été moins denses qu’Éléonore. Et comme nos remarques étaient remontées, l’école Karine a été construite avant les logements (souvenir évoqué lorsque Pierre Pfimlin parle de « déphasages inévitables » entre logements et équipements – 8e vidéo, ndlr). »

Directeur de l’école Karine de son ouverture en 1975 jusqu’à sa retraite en 1994 Christian Bernon se rappelle avec précision de cette rentrée particulière :

« Il y avait un seul bâtiment mais une école avec 20 classes. A la rentrée, il y avait 5 élèves pour deux enseignants. Après 5 jours, un article des DNA avait relaté de cette situation et le Rectorat a affecté mon collègue à des remplacements jusqu’à qu’il y ait 35/40 enfants, seuil à partir duquel on ouvrait une classe à l’époque, ce qui a heureusement bien changé depuis. A la rentrée 1976, il y avait déjà une centaine d’enfants. On est monté jusqu’à 17 classes, atteintes en cinq ou six ans. »

Cette école a surtout une place particulière dans la vie d’Edith Wilhelm et Christian, car elle promeut les pédagogies dites Freinet, ainsi qu’institutionnelles. L’ancien directeur raconte :

« Nous étions quelques enseignants strasbourgeois à faire le constat que la pédagogie actuelle était dans une impasse, mais nous étions dispersés. Si bien que pour l’enfant c’était juste une année de parenthèse. On s’est dit que ce serait intéressant de partir d’un projet vierge. Dans les écoles françaises, on évalue les connaissances, mais on ne donne jamais d’importance à la relation d’un groupe. On voulait former des enfants responsables autour de valeurs comme l’engagement ou le partage des difficultés. Et même impliquer les parents. C’était aussi de longues réunions hebdomadaires en dehors du temps scolaire pour tous les enseignants. Si c’était à refaire, il y a peu de choses que je ferais différemment. »

Le samedi matin, des activités aussi variées que de la tapisserie, peinture, du sport, du jardinage, de la cuisine, travail du cuir ou du bois étaient proposées sur le temps scolaire. « On dit toujours à un enfant de ne pas se servir d’outils, mais on ne lui apprend jamais à s’en servir ». Cet habitant de l’Elsau n’a jamais habité le quartier. Mais par des collègues il sait qu’en partie « l’esprit est resté » à l’école Karine.

Un document de présentation de l'école Karine et le tableau des activités du samedi matin (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Un document de présentation de l’école Karine et le tableau des activités du samedi matin (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Daniel Gerber, habitant en 1973 et 1974 conserve moins de souvenirs, mais se rappelle de sa vie d’adolescent :

« En cinquième, j’allais encore au collège à Cronenbourg, car il n’y en avait pas encore à Hautepierre. En 4ème, le collège Truffaut avait ouvert. Le reste du temps, j’allais surtout en ville dans les nombreux cinémas. On y allait à vélo à une époque où il y avait beaucoup moins de voitures et de danger. À la place du Auchan, il y avait des champs où l’on jouait, ainsi que dans les forêts où j’essayais la chasse à l’arc, sans grand succès. Après notre déménagement, j’ai gardé des amis à Hautepierre mais je les voyais ailleurs, parce qu’il n’y avait pas grand choses à y faire.

Je garde surtout le souvenir d’un quartier où les petits fonctionnaires s’installaient. Profs, universitaires, agents de la mairie… D’un point de vue de l’urbanisme, c’est une époque où les nouveaux quartiers faisaient le lien entre les anciens. Alors qu’historiquement Strasbourg était une ville satellitaire. Même le Neuhof, était un village avant la cité. »

Contrairement à Édith, il ne garde pas tant le souvenir d’un « quartier vert » à l’origine. « Même la forme en alvéole évoque le béton, c’est la continuité de Le Corbusier. »

Stade d’athlé, Maillon, jardins partagés

L’installation du seul stade de France dédié à l’athlétisme (4e video, en 1978, avec Robert Grossmann, alors vice-président de la Communauté urbaine) ou le théâtre du Maillon (5e vidéo, aujourd’hui occupé par aucune structure) viennent équiper ce quartier, uniquement pensé pour l’habitat, la circulation et la détente familiale à l’origine.

Édith Wilhelm se souvient :

« La piste, j’y courais et les écoles y allaient. C’est un beau revêtement, très agréable pour les articulations. Ensuite elle a été réservée aux clubs, une autre piste en terre battue étant accessible mais moins agréable. Le Maillon avait une belle programmation et un directeur investi, mais peu de culture populaire. Si bien qu’il était peu fréquenté par les habitants du quartier. »

Les habitants se succèdent et la vie citoyenne s’organise. En 1984, un collectif d’habitants du Vert-Village, au nord, prône un boycott des charges des espaces verts (6e vidéo). La « taxe d’entretien spécifique » est vue comme un impôt supplémentaire, pas toujours justifié (à l’instar de la cotisation obligatoire à l’Asere dans le quartier de l’Esplanade, bâti à la même époque).

Mobilisation du Petit Bois

Celle qui a vécu dans trois mailles (Eleonore, Jacqueline et Brigitte) se rappelle aussi des questionnements autour du Petit Bois, au milieu du quartier, maille Brigitte :

« Il y avait déjà eu des pétitions et manifestations pour sauver le Petit Bois où un pépiniériste était installé par la passé. Lors de la rénovation j’étais inquiète, car beaucoup d’arbres ont été coupés et les espaces verts servent parfois de variable d’ajustement. Quand j’ai entendu un responsable dire que « toucher au Petit Bois serait criminel, » ce fut un vrai soulagement. »

À l’origine, les mailles de Hautepierre étaient reliés par des passerelles ou des souterrains sous les routes comme celui-ci. Il n’en reste que quelques uns dans les coins non rénovés. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Changement d’organisation avec la rénovation

Avec les années, le quartier vieillit et les immeubles sont peu entretenus. Dans ce quartier qui concentre les problèmes sociaux, la rénovation urbaine initiée en 2008 vise à contrecarrer l’urbanisme imaginé en 1970 et veut faire de Hautepierre « un quartier comme les autres ». Le tram sillonnent les mailles, mais surtout les voies unidirectionnelles sont remplacées par des rues classiques, avec des feux rouges, des pistes cyclables et de larges trottoirs. Les mailles, désormais au même niveau que les chaussées qui les contournent, sont « ouvertes » à la circulation. Les GPS, sont quant à eux un peu perdus suite à ces bouleversements.

Attirée par la conception originelle de Hautepierre, Édith Wilhelm a vu la philosophie du quartier remise en question :

« Ce qui me frappe en regardant ces vidéos, c’est qu’il n’y a plus de place pour les parkings, alors que de plus en plus de familles utilisent la voiture. La philosophie a été d’ouvrir les mailles, mais qui communiquaient déjà avec des passerelles et souterrains. Ces passages n’étaient pas toujours très empruntés, car tout le monde n’en avait pas le besoin. Il ne reste que très peu de souterrains d’autrefois désormais. Hautepierre est un quartier qui a des avantages et inconvénients et c’est dommage qu’on se focalise uniquement sur les points négatifs, même venant de ses d’habitants. »

Dans ces changements du cadre de vie (mais pas de la vie quotidienne), une dynamique inattendue émerge, celle des jardins partagés à la place de la terre, des gravats et d’arbres (7e vidéo, en 2008).


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