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Cachez ce sein que je ne saurais voir

Peut-on encore allaiter en public ? Dans nos sociétés dénudées, le sein érotique semble avoir pris le pas sur le sein nourricier. Pourtant, l’acte d’allaitement, librement choisi par les mères, doit être encouragé et on ne devrait pas culpabiliser ces femmes, même lorsqu’elles nourrissent leur bébé en public.

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Cachez ce sein que je ne saurais voir

(Photo GDM / FlickR / CC)
(Photo GDM / FlickR / CC)

BlogEntendre à la radio à plusieurs reprises que des femmes qui allaitaient dans un magasin en avaient été virées m’a fait réfléchir au comportement des patientes allaitantes de mon cabinet. Cela fait 18 ans que des femmes consultent chez moi après avoir eu un bébé et il est évident et c’est tant mieux, que de plus en plus de femmes allaitent. J’ai l’impression pourtant que de moins en moins de femmes allaitent dans ma salle d’attente.

L’autre jour j’ai vu Myriam,  une maman avec son bébé qui attendaient alors qu’il hurlait. A la question est-il malade, elle m’a juste dit qu’il avait faim. J’ai dû lui proposer de s’isoler dans une autre pièce pour qu’elle nourrisse son petit au sein.

Lors de la consultation qui a suivi, elle m’a expliqué ne jamais allaiter en public même quand son bébé avait très faim. J’avoue avoir été interloquée. J’imagine pourtant que ce type de comportement n’est pas rare. Il est pourtant si naturel de donner le sein et surtout si pratique.

J’ai allaité mes 2 enfants, peu de temps pour des raisons malheureusement professionnelles. Comme interne,  je travaillais en réanimation après la naissance de mon premier avec une moyenne de 80 heures par semaine. Mon allaitement a été complètement raté et j’en ai gardé une amertume telle que j’ai décidé de  recommencer quand j’ai eu mon deuxième fils. A ce moment là,  j’avais  de meilleures conditions de travail. Inutile de dire que cela a été le jour et la nuit. J’allaitais absolument n’importe où. C’était  il y a déjà plus de 20 ans et je n’ai jamais eu de réflexion désagréable.

Pourquoi cette pudeur ?

Je suis frappée par le fait que l’on puisse associer l’idée d’exhibition sexuelle a une femme qui découvre un sein pour nourrir son enfant alors que les images de femmes dénudées nous entourent dans le moindre abris bus avec des pubs osées et très sexy de sous vêtements par exemple. L’idée d’associer un éventuel plaisir sexuel à l’allaitement me dépasse totalement.

J’ai vu aussi des femmes « oser »  allaiter dans ma salle d’attente,  mais en cachant la scène sous un grand foulard comme s’il fallait en avoir honte, j’en suis désolée pour elles. J’imagine qu’il faut être très très motivée pour ne pas passer au biberon dans ces conditions.

Il y a aussi malheureusement des professionnels de santé qui font tout pour culpabiliser les femmes dont le bébé ne prend pas assez vite du poids et qui dès la première difficulté incitent fortement ces femmes à passer au biberon de  lait de vache. J’ai vu ce comportement chez des généralistes, des sage-femmes et des pédiatres. Allaiter devient presque un acte militant parfois, il faut presque se battre pour continuer après un certain âge de l’enfant pour ne pas passer pour une dingue ou une névrosée,  et je trouve cela juste attristant.

Aude qui est mère de 2 enfants m’expliquait avoir du affronter le jugement négatif de sa propre famille lorsque, allaitant sa fille de 2 ans,  elle a débuté une deuxième grossesse. Elle me disait qu’elle n’a pu continuer à allaiter son aînée qu’à l’abri des regards pour ne pas avoir de réflexion désagréable.

Allaiter n’est pas une régression des droits des femmes

Je n’ai eu aucune formation sur l’allaitement dans mon cursus, et mon expérience n’étant absolument pas transposable, je me suis mise à lire sur le sujet. J’ai également lu l’interview d’Elisabeth Badinter dans Elle qui m’a sidérée. Pour moi allaiter ne va pas de pair avec une régression des droits des femmes. Elle y fait un amalgame : allaiter c’est arrêter de travailler et rester à la maison. J’imagine qu’il y a des femmes qui préfèrent rester chez elles pour cela, mais cela dépend beaucoup du métier exercé et de la rémunération perçue. Il est évident qu’une femme qui gagne un SMIC et qui travaille à l’usine peut avoir un choix différent qu’une femme cadre supérieur ou médecin.

Conseiller une femme qui allaite et qui a des difficultés prend du temps et il ne faut pas hésiter à la revoir assez rapidement pour vérifier que les choses s’améliorent. Je fais appel aussi aux sage-femmes qui ont de très bons conseils en la matière. Leur proposer un petit bouquin comme le Guide de l’allaitement de Pascale Walter, par exemple peut aider aussi à soutenir un projet d’allaitement et à faire un sevrage lorsque le temps est venu. La Leache Ligue (association de promotion de l’allaitement) propose même des conseillères en cas de difficulté.

Dois-je préciser que je respecte absolument les femmes qui ont décidé de ne pas allaiter ? Et que lors d’une série de reportages télé dans une maternité, j’ai été assez choquée par la méthode consistant à proposer avec insistance la tétée de « bienvenue » au bébé pour les femmes qui avaient décidé de ne pas allaiter. J’ai trouvé cela infantilisant et culpabilisant pour ces femmes qui avaient quand même  eu neuf mois pour y réfléchir avant.

Le sein symbolique a une grande part dans l’imaginaire. Que le sein érotisé se revête de pudeur et qu’il reste dans l’intimité est normal, mais le sein nourricier est surtout amour et bien-être pour l’enfant allaité, la pudeur alors n’a plus vraiment sa place.

Aller plus loin

Pendant que j’écrivais  ce  billet une twitteuse maman de 4 enfants (@MamanDeTriples) a mis en ligne un article de blog sur son expérience de l’allaitement et sa pudeur, pile poil le sujet de ce billet.

Sur 3 mousquetaires.fr : Allaitement et pudeur, cachez ce sein que je ne saurais voir !


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