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Le mal-logement des étudiants à Strasbourg : « Ça me ronge de l’intérieur »

Appartements à la limite de la décence, locations en Airbnb, loyers élevés… Certains étudiants de Strasbourg se retrouvent dans des situations de mal-logement en cette nouvelle année universitaire 2021-2022. Des conditions de vie qui influent sur leurs études et leur moral.

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Le mal-logement des étudiants à Strasbourg : « Ça me ronge de l’intérieur »

Dégâts des eaux, moisissures, loyers au-dessus de 650 euros pour 15 mètres carrés, cambriolages ou lit qui s’effondre dès la première nuit… Les situations de mal-logement sont aussi diverses que variées. En témoignent les messages d’étudiants postés sur la page Facebook des Étudiants de Strasbourg à chaque nouvelle rentrée universitaire. Rue89 Strasbourg est allé à leur rencontre.

Porte d’entrée cassée et squat dans le hall

Dans son appartement situé quartier Gare, Emma (prénom modifié), 20 ans, est confrontée aux dégradations dès le pallier. L’imposante porte verte du hall de son immeuble ne se ferme pas et « tout le monde le sait ». Alors les gens squattent pour dormir au sec, fumer, fêter ou faire leurs besoins ! « Il est arrivé qu’une personne saoule s’endorme sur sa propre matière fécale. Il en a mis partout et malheureusement c’était juste en dessous de mon appartement. L’odeur était insoutenable pendant une semaine », raconte Emma, habituée à ces évènements improbables.

Les problèmes ne s’arrêtent pas là pour l’étudiante en troisième année de licence d’arts et sa colocataire. Leur propre porte d’entrée est longtemps restée défectueuse. Il suffisait de forcer un peu le verrou pour entrer. Au bout de deux cambriolages et un ordinateur volé, elles décident de changer de serrure. L’opération est prise en charge par l’assureur mais les deux amies doivent payer 150 euros de franchise.

Le salaire part dans le loyer… et les réparations

En septembre 2021, c’est le tuyau d’eau chaude de la baignoire qui cède. « Ça a coulé dans toute la salle de bain et chez les voisins de dessous par un spot lumineux », se souvient Emma. Les deux colocataires doivent encore régler 150 euros à leur assurance. Elles ne peuvent utiliser leur douche pendant deux semaines :

« Au total on a dû payer 300 euros pour résoudre des problèmes dont on n’est pas responsable. En parallèle de mes études, je travaille en tant que caissière à Carrefour à raison de 14 heures par semaine. J’ai le sentiment de mettre tout ce que je gagne dans mon loyer (395 euros chacune, NDLR) et les réparations. Le propriétaire ne fait rien pour nous aider. Je ne me sens pas respectée. Ça me ronge de l’intérieur ».

Emma, le vendredi 15 octobre
La fenêtre de la salle de bain est cassée.Photo : MB / Rue89 Strasbourg / cc

« On jette des litres d’eau mais ça n’inquiète pas le propriétaire »

L’appartement d’Emma et sa colocataire regorge de défauts. Dans la cuisine, le chauffe-eau fuit lorsqu’elles utilisent de l’eau chaude. « On a mis une grande poêle juste en dessous qu’on doit vider environ deux fois par jour. On jette des litres d’eau mais ça n’inquiète pas le propriétaire », lance Emma, qui n’est même plus étonnée. Sous l’évier, un trou dans le mur permet aux bêtes d’aller et venir. « Il y a du passage ! Juste avant que vous veniez, j’ai croisé une souris », indique Emma.

Dans la salle de bain, une fenêtre en simple vitrage, comme dans le reste de l’appartement, est cassée et donne directement sur l’extérieur. « Au moins ça nous fait une aération qui nous évite d’avoir des moisissures », ironise-t-elle. Et la liste des défauts de l’appartement est encore longue : impossibilité d’avoir accès à internet, fissures au plafond, installation électrique douteuse… Emma explique comment elle s’est retrouvée dans cette situation :

« J’ai quitté mon précédent appartement, quartier Neudorf, car je mettais ma santé en danger en tant qu’asthmatique. De la moisissure avait fait son apparition un peu partout. Mélangée avec la tapisserie, elle collait à mes meubles. Certains de mes vêtements ont pourri à cause de ça. J’ai même dû jeter un sac en cuir auquel je tenais beaucoup. Il faisait froid, ça sentait très mauvais. Je ne me sentais pas chez moi. Le matin je n’avais pas envie de me lever, pas envie de m’habiller car mes vêtements étaient froids et sentaient mauvais. Petit à petit, j’ai commencé à déprimer. J’étais fatiguée d’être coincée dans cette condition. Je suis partie en mars 2021. Pendant un mois, en attendant de retrouver un logement, je dormais chez des connaissances. Je me suis déjà retrouvée dans la chambre Crous d’une amie à devoir partager un bout de couette sur un lit simple, dans 9 m². J’étais dans l’urgence pour retrouver un appartement ».

Emma (prénom modifié) doit vider environ deux casseroles d’eau par jour à cause d’une fuite de son chauffe eau. Photo : MB / Rue89 Strasbourg / cc

« Je relativise quand je repense aux annonces à 1 100 euros »

Il existe d’autres situations de mal-logement. C’est le cas de Dominik, étudiant en troisième année de licence à Bielefeld, en Allemagne. Ce jeune de 21 ans est à Strasbourg depuis début octobre pour réaliser six mois de stage dans un laboratoire de biologie moléculaire. Il n’a pas trouvé d’appartement à louer, alors il vit en Airbnb :

« J’ai commencé mes recherches en juillet. J’ai cherché sur la carte des colocs, leboncoin… J’ai écrit plus de 50 messages pour 10 réponses. Parfois j’actualisais le site, je tombais sur une annonce qui venait d’être postée mais c’était déjà trop tard. Souvent le problème était de ne pas pouvoir faire de visite puisque j’étais en Allemagne. La durée de mon séjour ne correspond pas non plus aux critères des propriétaires. Par désespoir je me suis tournée vers Airbnb même si c’est cher. Celui dans lequel je loge actuellement, était le seul appartement « abordable » même si je me retrouve à 35 minutes en vélo de mon lieu de stage. Il est tout de même à 678 euros par mois mais je relativise quand je repense aux annonces à 1 100 euros par mois. Ça montre la folie de l’immobilier à Strasbourg ».

Dominik, rencontré le lundi 25 octobre

Lorsqu’il emménage dans son Airbnb, le jeune Allemand déchante rapidement :

« Le premier soir, mon lit s’est effondré alors que j’étais posé dessus. Il manquait des vis. J’ai dû bricoler une solution de secours. Les photos sur le site et la notation du logement m’avaient rassuré mais ça ne correspond pas à la réalité. Outre mon lit, il y avait des choses cassées comme ma chaise de bureau. Je ne passerai pas plus de six mois ici. »

Dominik montre les deux planches de bois qu’il a rafistolé pour que son lit ne s’écroule pas de nouveau. (Photo MB / Rue89 Strasbourg / cc)

« Le problème, c’est que seuls les arnaqueurs me répondaient »

Dominik sait qu’il n’a pas à se soucier de l’argent qu’il met dans son loyer. Ses parents l’aident et il gagne 400 euros par mois en tant que stagiaire. « Je suis conscient que je ne suis pas dans une situation précaire. Ça doit être vraiment compliqué pour les étudiants avec peu de ressources financières », ajoute-t-il.

En tant qu’étranger, Osman (prénom modifié) a rencontré les mêmes problèmes que Dominik. L’étudiant turc de 28 ans, en master 2 à la faculté de Sciences de l’Université de Strasbourg, a essayé de trouver un logement depuis Istanbul :

“J’ai commencé mes recherches le 9 juillet sans succès. Je contactais les propriétaires avec un numéro de téléphone turc, je pense qu’ils craignaient l’arnaque. Le problème c’est que seuls les arnaqueurs me répondaient… »

Osman, rencontré le 22 octobre

Faute de mieux, Osman se retrouve à loger en Airbnb comme Dominik. Une situation qui joue sur son moral et sur ses études :

« Je ne me sens pas chez moi dans ma chambre Airbnb de 12 mètres carrés que je paie 500 euros par mois. Pour sortir de cette situation, je recherche très activement un logement. Alors je regarde plusieurs fois par jour les annonces. Dès que je reçois une notification, même en cours, je la consulte. Ça me prend du temps et de l’énergie ».

Éviter les arnaques

Noalie a évité une arnaque de peu. L’étudiante en première année de licence art design cherchait un appartement plus grand pour entreposer ses œuvres. La jeune de 18 ans tombe trois fois sur le même type d’annonce, d’abord sur seloger.com puis sur Leboncoin. Le propriétaire est pressant, donne la raison de la location de son bien — une affectation à l’étranger — et demande un dépôt de garantie d’environ 800 euros en tickets Neosurf avant même la première visite. À chaque fois le nom du propriétaire est différent, tout comme les photos de l’appartement. A l’inverse, la façon de procéder reste la même, comme l’explique Noalie :

« J’avais déposé mon préavis, alors à la fin du mois je devais trouver un autre appartement. Lorsque j’échangeais avec eux, ils se mélangeaient les pinceaux. Le mari signait comme si c’était sa femme et inversement. Je leur proposais des visioconférences mais ils déclinaient à chaque fois. Et au fur et à mesure des demandes de précisions sur le logement, ils se mettaient à faire des fautes ».

Mail d’une arnaque type reçu par Noalie, étudiante de 18 ans en première année de licence art design. Photo : MB / Rue89 Strasbourg / cc

Précarité, charge mentale et mauvaises conditions de vie

Cela n’est pas le cas d’Emma. La jeune femme se mobilise avec sa colocataire et ses voisins pour obtenir des réparations de son propriétaire, Joseph Benamran, connu à Strasbourg pour ses logements dangereux et insalubres (lire notre enquête). Ils se réunissent le soir, après les cours pour certains, après le travail pour d’autres, afin de discuter de leurs problèmes dans leurs appartements respectifs et dans les lieux communs. Les deux amies ont également pris contact avec l’Adil (Association Département pour l’Information sur le Logement) pour connaître leurs droits en tant que locataires. Le service hygiène de la Ville de Strasbourg est même venue visiter l’immeuble jeudi 14 octobre pour observer les conditions de vie des habitants. Emma termine :

« On réclame des choses simples comme fermer la porte du hall d’entrée. Cela éviterait énormément de problèmes. On est en train de rédiger des mises en demeure pour officialiser nos demandes étant donné que les coups de téléphone, les messages et les mails restaient sans réponse ».

Emma (prénom modifié) est épuisée par sa situation de mal-logement. Photo : MB / Rue89 Strasbourg / cc

Mais entre les cours, son travail de caissière et sa mobilisation pour améliorer la situation, Emma est épuisée : « il m’est arrivé d’écrire des mises en demeure en cours. Les réunions d’immeubles m’ont fait annuler quelques sorties avec des amis. Lorsque j’ai du temps pour moi, je préfère me reposer. Cette situation joue sur mon moral et m’épuise. »


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