Des files d’attente de dizaines d’étudiants dans la rue pour visiter des studios, des campements de sans-abris qui grossissent, 30 000 demandeurs de logements sociaux dans l’Eurométropole et des loyers qui ne cessent d’augmenter. Le manque d’appartements disponibles à Strasbourg a rarement été aussi grave qu’en cet automne 2024. Mais dans le même temps, des milliers de biens sont vides.
L’Eurométropole compte au total 3 800 logements privés vacants depuis au moins deux ans, dont 2 300 à Strasbourg. Un phénomène absurde qui ne profite même pas aux propriétaires de ces biens vu qu’ils payent des charges sans rentrée d’argent. En août 2019, Rue89 Strasbourg exposait déjà cette problématique : 2 000 logements vides étaient recensés dans la ville, 3 400 sur toute l’Eurométropole. La collectivité espérait alors que 100 logements par an seraient occupés à nouveau, un objectif ambitieux, loin d’être atteint cinq ans plus tard. Depuis 2016, 450 biens ont été remis en location pour des ménages modestes mais d’autres sont devenus vacants entre temps.
« Il y a un gros risque que le nombre de logements inoccupés continue à augmenter », affirme Suzanne Brolly, vice-présidente de l’Eurométropole (EMS) : « Beaucoup de propriétaires pourraient être interdits de louer suite aux diagnostics de performance énergétique (DPE). » Le DPE consiste à donner une note aux habitations, allant de A à F et basée sur des critères comme la consommation d’énergie ou l’isolation. Dans l’agglomération, « 13% des logements privés sont étiquetés F ou G » selon l’élue, notes qui correspondent à des « passoires énergétiques ». Les G ne pourront plus être mis en location à partir du 1er janvier 2025 et les F à partir du 1er janvier 2028.
Inciter les propriétaires à faire du locatif social
Une partie de ces habitations vides appartiennent à des propriétaires qui ont peu de ressources. Et donc, rarement les moyens de rénover leur bien pour le rendre habitable à nouveau lorsqu’il est dégradé – ces travaux peuvent atteindre des dizaines de milliers d’euros. Les services de l’EMS repèrent les logements vacants et contactent ces propriétaires, par courrier dans un premier temps. « Dès qu’on peut, on les rencontre pour comprendre le problème », explique Suzanne Brolly :
« Si c’est effectivement lié au coût de la rénovation, on leur présente notre dispositif afin d’inciter à faire du locatif social. Les propriétaires peuvent signer une convention Anah : ils s’engagent alors à proposer un loyer abordable et le revenu de leurs locataires ne doit pas dépasser un montant maximum. »
En contrepartie, ces propriétaires obtiennent une réduction de leur impôt sur le revenu et des aides pour financer différents types de travaux comme de la mise en sécurité et salubrité (35% du montant), de la réhabilitation après des dégradations (25%) ou de la rénovation énergétique (25%).
Sur ce dernier point, les communes, les Régions et les Départements peuvent aussi participer, pour atteindre des prises en charge maximum de plus de 80% des travaux en fonction des ressources des propriétaires. « Du côté de la Ville de Strasbourg et de l’Eurométropole, les aides sont bonifiées si c’est pour aboutir à du logement social », précise Suzanne Brolly.
Une proposition de loi pour faciliter les expropriations
« Nous avons créé un guichet unique à travers l’agence du climat. Elle fournit un accompagnement gratuit pour guider les propriétaires, leur dire à quelles aides ils ont droit et à qui ils doivent s’adresser », ajoute Suzanne Brolly. Mais elle concède que les démarches restent compliquées, avec un grand nombre d’interlocuteurs et des délais importants. La vice-présidente de l’Eurométropole aimerait une simplification du processus et davantage d’aides de l’État, notamment pour les « petits monopropriétaires » avec peu de ressources.
Dans une logique plus coercitive, pour des personnes refusant de remettre leurs biens en location, le député LIOT des Vosges (centre) Stéphane Viry a déposé une proposition de loi ce 17 septembre. Elle vise à « permettre aux communes d’exproprier les propriétaires d’une construction à usage d’habitation lorsque celle-ci est vacante et n’est pas remise sur le marché immobilier dans un délai d’un an ». Les syndicats de locataires demandent de longue date la réquisition de logements vacants par la force publique.
Une stratégie largement entendable puisque des bâtiments entiers peuvent rester inoccupés plusieurs années, par exemple le temps de régler des conflits de succession. C’était le cas d’une maison appartenant à une riche famille rue des Pigeons à Cronenbourg, vide depuis 2008 et squattée pour loger des sans-abris entre 2020 et 2024. Des propriétaires fortunés laissent parfois trainer ces situations par négligence.
De son côté, le député insoumis strasbourgeois Emmanuel Fernandes a interpellé la préfète du Bas-Rhin à ce sujet dans une lettre ouverte datée du 25 septembre. Dans un contexte où des étudiants sont toujours sans solution d’hébergement plusieurs semaines après la rentrée, il demande « que soit employée de toute urgence la réquisition préfectorale de logements vacants et tous les leviers juridiques à disposition des différents échelons institutionnels », avec une indemnisation des propriétaires concernés.
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