La Ville a-t-elle été contrainte par l’État d’assigner les sans-abris de la place de l’Étoile devant le tribunal administratif ? C’est en tout cas l’argumentaire déployé par son avocat à la barre. Saisie selon une procédure en référé, la juridiction administrative a décidé, jeudi 15 juin, de donner raison à la Ville. Les occupants ont huit jours pour libérer l’espace public. À défaut de quoi, la Ville pourra « faire procéder à leur expulsion […] au besoin avec le concours de la force publique ».
La veille, une trentaine de sans-abris ont patiemment attendu sur les bancs du tribunal administratif de Strasbourg. Après un courrier de la préfecture du Bas-Rhin aux services de la Ville, le 25 mai, cette dernière a saisi le juge administratif pour lui demander d’ordonner l’expulsion. Vendredi 9 juin, les habitants désignés par le terme « occupants sans droit ni titre » ont appris leur convocation.
Au cours des débats, une question revient perpétuellement, sur la responsabilité politique de l’expulsion : quelle institution est responsable pour les conditions de vie précaires de ces exilés ? Qui doit désormais s’occuper d’eux ?
Promesse de collaboration entre Ville et préfecture
À la barre du tribunal administratif, Me Olivier Maetz plaidait la contrainte : « La préfecture n’a pas laissé le choix aux élus, elle a rappelé le précédent de 2022 et invité à ce que la Ville saisisse le tribunal ». Avant d’étayer sa demande d’expulsion, le conseil de la collectivité revient sur les obligations de l’État, en matière d’hébergement d’urgence. Il précise que Strasbourg se prépare avec d’autres villes à attaquer l’État en justice pour son inaction en la matière – une annonce déjà brandie en décembre 2022, pas encore suivie d’action.
Comme pour justifier de son désir de bien faire, la Ville promet de se mettre en relation avec les services de l’État afin de trouver aux sans-abris des solutions d’hébergement. « La préfète du Bas-Rhin a garanti dans son courrier que ses services se chargeront de l’évaluation des situations et de proposer des toits », poursuit le conseil avant de détailler, en toute fin d’audience, les nombreuses actions effectuées par la Ville sur le camp en 2022. Elle vient par ailleurs d’y installer des toilettes et des points d’eau.
Urgente, nécessaire et utile, l’évacuation ?
Pendant ce temps, les familles sans-abri regardent les échanges dans une salle comble. Les enfants semblent trouver le temps long. Régulièrement, le président du tribunal administratif rappelle le but de l’audience du jour : est-il urgent, nécessaire et utile d’évacuer le camp de l’Étoile ? Tant Me Maetz que les quatre avocats chargés de la défense des occupants extrapolent pour y répondre, faisant référence à la Convention européenne des droits de l’homme, aux jurisprudences du Conseil d’État ou à des déclarations de Jeanne Barseghian sur son compte Twitter.
« C’est divertissant, mais je ne vois pas le rapport. Les droits de migrants sont effectivement fondamentaux, mais nous ne sommes pas là pour discuter de ça, et en plus que voulez-vous qu’on fasse ? Ce ne sont pas les compétences du tribunal aujourd’hui », tranche soudain le président.
Ironie du calendrier, l’audience a lieu en plein milieu des célébrations de la semaine des réfugiés, organisée par la Ville. Le même jour, Jeanne Barseghian et son adjointe aux solidarités Floriane Varieras célébraient l’ouverture de la première rencontre politique de l’accueil, organisée par l’Alliance nationale des villes et territoires accueillants (ANVITA) dont l’édile est co-présidente.
« La détention d’un titre de séjour ne doit pas conditionner l’accès à l’hébergement d’urgence. Mais son absence ne donne pas la permission d’occuper sans titre une partie de l’espace public », estime Me Maetz.
« Expulser revient à déplacer le problème, pas à le régler »
Si la joute verbale les concerne, Armant, Ahmad, Kledis et tous les autres écoutent incrédules les plaidoiries des avocats en robe. À aucun moment dans cette procédure, leur avis est demandé – une spécificité des procédures administratives, essentiellement basées sur des écrits produits par les parties. Pour les représenter, Me Léa Hebrard, Me Oriane Andreini, Me Steven Airiau et Me Gabriella Carraud ont passé 48 heures avec les familles.
« Ce qu’on essaye de vous dire, c’est que le délai de cinq jours (demandé par la Ville, ndlr) pour évacuer la place ne permettra pas de trouver des solutions adaptées pour ces personnes et aura un effet contre productif. S’ils sont expulsés comme ça, vous vous retrouverez avec la même audience, dans ce même tribunal, dans plusieurs semaines. Car ils reviendront Place de l’Étoile. Expulser d’ici cinq jours revient à déplacer le problème, pas à le régler. »
Non seulement les avocats des familles estiment qu’il n’y a pas d’urgence à évacuer la place, mais ils martèlent que la Ville a – en tant que commune et selon une disposition du droit local – une obligation de loger les « indigents ». Ils arguent que la municipalité aurait dû prévoir en amont avec la préfecture des solutions alternatives.
« Qui nous dit que vos services vont effectivement communiquer ? Nous n’avons aucune certitude ! Vous n’avez produit aucun élément en ce sens ! »
Éviter le ping-pong juridique
En sous-titre des tirades, on devine la teneur politique des débats. D’un côté, les avocats des occupants tentent de faire avouer à la Ville sa part de responsabilité. De l’autre, Me Maetz renvoie ce devoir sur l’État, piochant dans le code de l’action sociale et des familles.
En 2022, Jeanne Barseghian a été contrainte de demander l’expulsion du camp. Pendant plusieurs mois, la maire écologiste disait se refuser à une telle action. Pour elle, sa responsabilité n’étant pas selon elle, en tant que collectivité, d’héberger ces personnes. La préfecture a finalement gagné : le 6 décembre 2022, le tribunal administratif a obligé la maire à faire évacuer le camp.
Dans l’ordonnance rendue le 15 juin, Xavier Faessel précise qu’il n’a pas le pouvoir d’ordonner à l’administration d’héberger les personnes.
Subtilités juridiques et galipettes verbales n’auront pas réglé les lendemains des familles. Cette audience rapide semble plutôt signer le désir de ne pas reproduire un ping-pong juridique opposant la maire à l’État durant des mois. Au détriment, peut-être, des idéaux écolos.
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