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Avec les punks à chien de Strasbourg, en quête de liberté

Anticapitalistes, attachés à la liberté et à la fête, les punks à chien, sont la cible de l’arrêté anti-mendicité agressive à Strasbourg. Mais cette communauté fait souvent office de refuge pour des personnes au parcours de vie brisé, en situation d’exclusion sociale. Nous avons passé un peu de temps avec eux et leurs chiens. Reportage.

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Avec les punks à chien de Strasbourg, en quête de liberté

Posés place Kléber, en plein centre-ville de Strasbourg, Bruno et Steve déconnent ensemble. Des potes doivent arriver. C’est un après-midi de juin, le soleil tape. La quarantaine passée pour tous les deux, ils se définissent comme punks à chien « depuis presque toujours. » Bruno, torse nu et tatouages apparents, le revendique :

« Moi je suis fier. Je ne reviendrai pas en arrière pour avoir une vie en mode métro-boulot-dodo. Je me suis toujours démerdé pour manger et dormir, j’ai voyagé en camion, j’ai trouvé du taf quand il fallait. Bref, je ne dépends de personne, je n’emmerde personne, je suis libre quoi. Pourquoi j’aurais pas le droit de vivre comme ça ? »

Bruno ne regrette pas d’être punk à chien. Le plus important pour lui : sa liberté. (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Les punks à chien sont apparus après le mouvement punk rock des années 70-80. Un style de musique rude, au rythme rapide, toujours chargé de messages politiques engagés, qui les influence encore aujourd’hui. Steve, qui va bientôt lâcher son appartement pour revenir à la rue, raconte ce lien à la musique :

« Je pense que ça parle à beaucoup d’entre nous qui n’acceptons pas la société telle qu’elle est. On développe une identité de groupe autour de paroles engagées et d’un style qui va avec. Tout ça nous permet de vivre notre rejet du système. On a une culture de la fête, qui veut aussi dire : non, on n’accepte pas d’être dociles. On va en Free Party, on kiffe l’électro, les trucs qui tabassent tu vois ? Cet été il n’y aura pas de festoch malheureusement à cause de la pandémie, mais sinon je serais bien allé à Aurillac, pour un festival d’art de rue qui est un grand rendez-vous de punks à chien. Sinon je vais souvent au festival Décibulles près de Sélestat. »

Steve et Bruno aiment refaire le monde. (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

« Je lis des bouquins, j’aime me cultiver »

Un pote à lui qui vient de débarquer, bouteille de Meteor à la main, demande : « La rue Ketanou tu connais ? J’écoute ça en ce moment. C’est un mix entre plusieurs styles : la musique tzigane, la folk et le reggae en gros. » Puis un autre, assis à côté, ajoute : « On est beaucoup à kiffer le rap style Keny Arkana ou Dooz Kawa aussi. » Bruno résume, « c’est quand-même presque toujours des sons pas commerciaux quoi. » Il ajoute :

« Moi je lis pas mal de bouquins, j’aime me cultiver. Faut pas croire que parce qu’on est à la rue, on n’a pas soif d’apprendre, au contraire ! Je pense qu’on est des personnes souvent assez ouvertes d’esprit. »

Être punk, c’est toute une culture. (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Antifascistes et anticapitalistes dans l’âme

À Strasbourg, d’après Steve, en tout, « il y a une centaine de personnes qui zonent de temps en temps au centre ville avec des chiens. Mais des punks à chien, des vrais, qui s’identifient comme tel, il n’y en a qu’une quarantaine ! » Parce que pour lui, être punk à chien, « c’est aussi, et surtout être engagé, antifasciste et anticapitaliste ! » Il participe à 3 maraudes par semaine pour aider les autres sans-abris. Avec Bruno, aujourd’hui, ils ont déjà refait le monde en discutant des Gilets jaunes, des soignants, des élections municipales à Strasbourg… Les deux sont de presque toutes les manifs. « Normal, c’est important », marmonne Bruno en haussant les épaules :

« Ce système, faut pas s’étonner qu’il y ait des gens qui le rejettent. Si t’es pas adapté, t’es dans la merde. C’est l’exclusion direct. Et justement, dans la rue, on est beaucoup à ne pas être adaptés. Mais on a trouvé autre chose, un autre mode de vie. Et on milite pour un monde meilleur. Certains d’entre nous sont proches d’AIM Strossburi, une association contre-culturelle. Il y avait des punks à chien dans la lutte contre le GCO aussi, notamment à la ZAD. Moi je vis en ce moment au nouveau squat Le Refuge des Oubliés au Port-du-Rhin, l’un des seuls hébergements où on peut dormir avec un chien. Bref, on est engagés, ça fait complètement partie du truc. »

Steve donne tout pour les chiens de la rue de Strasbourg. (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Les chiens, bien plus que des animaux domestiques

Trois chiens attendent à côté, en silence. L’un d’entre eux, un peu plus joueur, cherche à se faire caresser. « Ça c’est Django, il est déjà grand-père à 6 ans. Elle c’est Ganesha, elle est née dans un camion. Complètement punk. Et elle mange son poulet tous les dimanches midi, elle adore ça. » On voit la lumière dans les yeux de Steve lorsqu’il parle d’eux : « Avec nous, ils sont considérés comme des personnes à part entière, pas comme des animaux domestiques. » Et Bruno surenchérit :

« Ils ont le plus grand jardin du monde et ils voient toujours le ciel. Beaucoup d’entre nous donnent à manger à leur chien avant de se nourrir eux-mêmes. C’est un lien essentiel qui peut permettre de ne pas sombrer. Parfois, on se voit entre humains pour que nos chiens se voient en fait. À Strasbourg, ils forment une sorte de grande meute. Ils sont plus de 70. »

Django a « le monde entier comme jardin. » (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Steve rappelle Django qui s’est aventuré un peu trop loin. Le chien rapplique tout de suite. Le punk quadra fait partie de l’association Lianes, spécialisée dans l’aide aux personnes et aux animaux en grande précarité :

« Dès qu’on voit qu’un chien est maltraité dans la rue, on peut intervenir. On parle avec le maître. En dernier recours, on peut placer le chien dans une famille d’accueil. C’est dans notre culture de prendre soin des chiens. Les punks des pays de l’Est sont aussi très sensibilisés au bonheur de leurs animaux et beaucoup passent par Strasbourg. »

Les chiens de la rue de Strasbourg se connaissent presque tous. (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

« Là, on me comprend »

« Et c’est MichMich ! » Steve accoste un jeune habillé en treillis qui débarque sur la place. Pieds nus, veste ouverte sur son torse, il tient ses deux chiens en laisse. « C’est la relève », lance Steve, la voix rauque mais tendre, en lui tapant dans le dos. MichMich a passé son enfance et son adolescence en foyer, avant de fuguer à 15 ans. Depuis, « c’est à l’arrache. » Il s’est engagé 1 an et demi à l’armée en pensant que l’encadrement lui conviendrait, mais ça n’a pas fonctionné. Maintenant, il vit dehors et a trouvé refuge avec les punks à chien :

« C’est un peu le seul cadre où on me comprend et on m’accepte. On a presque tous des histoires très difficiles vous savez ? Mais on se soutient et on est tolérants. »

MichMich dévoile ses cheveux teints en rose pour la photo. (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Bruno aussi se souvient avoir été accepté par les punks à chien, « à un moment où il en avait besoin. » Métisse, il a passé son enfance en Argonne, où il était victime de discriminations à cause de sa couleur de peau. « Je me suis direct senti bien avec eux. » Mais MichMich précise quand même que la rue, « ça reste un endroit où beaucoup de personnes sont en souffrance. » Ça n’est pas facile pour lui non plus :

« Si je ne fume pas, je me sens trop mal en fait. C’est quand même dur d’être exclu. De voir les gens te regarder mal. Et la frontière est toujours mince pour ne pas tomber dans l’autodestruction avec la drogue et tout. Moi, pour tenir, j’essaye souvent de me projeter, par exemple en voyage. »

Dans le centre commerçant de Strasbourg, les punks à chien font partie du paysage. (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

« La rue est à tout le monde »

Steve propose de « bouger vers la rue des Grandes-Arcades. » C’est l’une des zones concernées par l’arrêté anti-mendicité agressive voté en avril 2019 à Strasbourg. Steve, lui même, a porté un recours devant le tribunal administratif contre cette mesure. Maintenant il en rigole, mais un peu jaune :

« Cet arrêté nous est spécialement dédicacé. Bien sûr que ça arrive que des gens soient agressifs, mais c’est très rare. Et l’agression est déjà répréhensible. Pourquoi stigmatiser ceux qui font la manche ? Cela montre surtout comment l’espace public est perçu par les politiques. On a juste le droit d’aller d’une boutique à l’autre et de consommer. Nous, on casse leur belle image de marque du centre ville. Mais la rue n’appartient pas qu’aux commerçants, elle est à tout le monde ! Et moi j’ai une bonne relation avec les commerçants devant chez qui je fais la manche, on peut cohabiter. »

Le prénom de Lilly s’écrit avec deux « l », sinon, « elle ne peut pas voler. » (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

« Strasbourg, on en part jamais vraiment »

Près de l’ancien magasin Adidas, on croise un groupe de cinq personnes entouré de chiens. Lilly est enjouée en voyant ses amis arriver. En ce moment elle habite à Perpignan, mais elle revient souvent à Strasbourg :

« Je suis très nomade mais c’est ici que j’ai grandi, que j’ai vécu le pire comme le meilleur. Je me suis retrouvée dans la rue à 16 ans. Maintenant j’ai la trentaine. J’adore cette ville parce que je sais que j’y trouve toujours pleins d’amis. Entre punks, on dit souvent qu’on ne part jamais vraiment d’ici. Et il faut dire qu’il y a un grand réseau associatif. C’est important quand on vit dehors. »

Thomas a une histoire de vie difficile, mais il va mieux maintenant. (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Le RSA, la manche et le travail saisonnier comme revenus

Elle semble proche de Thomas, un tchèque qui a aussi été « adopté » par Strasbourg, après avoir vécu des années très difficiles à Bruxelles. « On se connait depuis longtemps, mais là ça fait quelques jours qu’on s’est retrouvés, » confie Lilly. Thomas s’exprime dans un français presque parfait, « appris dans la rue. » Trentenaire également, il y est depuis qu’il a 17 ans. Les deux reprendront peut-être la route ensemble, comme ils l’ont déjà fait par le passé. Pour le moment, Lilly va essayer de trouver un travail saisonnier. « En plus du RSA et de la manche, c’est comme ça que les punks se débrouillent, » explique t-elle :

« J’aime mettre les mains dans la terre donc je vais voir si c’est possible de bosser dans une exploitation bio dans le coin. Je l’ai déjà fait dans le sud. J’aimerais mettre un peu d’argent de côté pour m’acheter un camion. »

La rue est un milieu difficile mais il s’y dégage une grande solidarité. (Photo Abdesslam Mirdass / Studio Hans Lucas)

Les éclats de rire et les discussions vont bon train. C’est l’apéro. Il est bientôt 19h. Thomas attire l’attention sur un mendiant allongé sur le sol et immobile à quelques mètres. Deux personnes du groupe se lèvent pour « voir s’il va bien. » Rapidement, ils reviennent rassurés. « Il dort. » Bruno s’exclame :

« C’est aussi ça l’esprit de la rue. On n’est pas si méchants hein ! Les gens qui ne sont pas d’accord, qu’ils viennent nous voir. On accepte tous ceux qui veulent prendre l’apéro avec nous, c’est pas prise de tête. »


#arrêté anti-mendicité

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