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Le « rodéo urbain », la pratique impossible des passionnés de moto-cross

Entre arsenal juridique renforcé et faits-divers tragiques, la moto-cross est de plus en plus décriée. Rencontre avec un passionné strasbourgeois, qui rêve d’une pratique responsable dans un espace dédié.

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Le « rodéo urbain », la pratique impossible des passionnés de moto-cross

« Il y en a qui salissent ce sport et nous on subit. » Sébastien (le prénom a été modifié) vit pour la moto-cross, sa passion depuis ses 16 ans. Adepte des roues levées, avec ou sans les mains, le jeune électricien a toujours navigué au carrefour de plusieurs frontières : économiques, légales, culturelles…

Adolescent, il a galéré pour se payer neuve sa première Suzuki 85 RM à 800 euros. Il fallait aussi faire fi du regard des autres. Ses parents par exemple, qui voyaient en cette passion une dangereuse lubie adolescente.

Aujourd’hui, le principal obstacle à sa pratique est légal. Le Strasbourgeois et ses camarades ne disposent d’aucun lieu pour exercer. Depuis le 3 août 2018, le « rodéo urbain » est passible d’un an d’emprisonnement, de 15 000 euros d’amende, d’une saisie du véhicule ainsi qu’une suspension du permis de conduire pour trois ans.

Casque, gants, pare-pierre… Sébastien ne sort jamais sans son matériel de protection. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

« On fait ça dans les règles de l’art »

Sa pratique n’a rien à voir avec les conducteurs de scooter sans casque qui tuent le temps en levant leur bécane dans la rue. Le dimanche, le jeune Elsauvien sort du quartier. Il rejoint des potes pour pratiquer le plus discrètement possible, dans un champ, une zone industrielle ou une forêt. Mais il est toujours chassé par la police, un propriétaire agricole ou des riverains : « Avec la moto, tout de suite on nous traite de racaille, on nous dit de rentrer chez nous… », regrette le motard.

Il porte un casque, des gants et un pare-pierre, qui protège le haut du corps. « Pour nous, comme pour les autres, on ne veut pas de risque. On fait ça dans les règles de l’art », assure-t-il. Au-delà du danger, Sébastien n’a aucune envie de se faire saisir sa dernière moto, une Kawasaki 450 KXF achetée d’occasion à plus de 3 000 euros : « J’ai travaillé des mois pour l’avoir… »

Ces sorties entre fans de bécane, « c’est la bike life », décrit Sébastien. Le week-end, ils sont une dizaine à partir avec une camionnette pleine de motos. Les jeunes viennent de différents quartiers strasbourgeois, voire de villages bas-rhinois. Réunis par leur passion, ils s’échangent des conseils en mécanique, partagent un barbecue et se filment lorsqu’ils exécutent quelques figures. Pour des raisons de sécurité aussi, le motard préfère pratiquer en groupe. Mehmet (le prénom a été modifié) raconte avoir déjà récupéré son ami inconscient après une chute à moto sur un terrain vague : « Si je n’avais pas été là, il serait sûrement resté des heures par terre… »

« On est tombé, on s’est relevé, on a retenté »

Roue levée, une main derrière le dos, parfois sans même tenir son guidon, debout sur la moto… Les figures exécutées par les « cabreurs » sont aussi nombreuses que risquées. « Mais ce que les gens ne voient pas, ce sont les mois d’entraînement derrière cet art, regrette Sébastien, combien de fois on est tombé, on s’est fait mal, pour se relever et tenter à nouveau. » Le jeune passionné parle d’une sensation grisante : « Sur ma moto, j’oublie tout, je me sens libre. »

« Ce que les gens ne voient pas, ce sont les mois d’entraînement derrière cet art », regrette Sébastien.

Par tous les moyens, Sébastien prend ses précautions pour ne pas être verbalisé. Depuis l’adoption de la loi anti-rodéo urbain, le jeune a le sentiment que la répression s’est accrue contre sa pratique. Dans son quartier, les opérations policières à grand renfort d’hélicoptère se sont multipliées contre les motards dangereux. Mais le jeune Elsauvien trouve ça normal que des rodéos dans les rues soient interceptés : « Je me suis déjà fait attraper dans un champ. Les policiers ne m’ont pas verbalisé. On a même fini par discuter du modèle de la moto. »

« Il nous faudrait un espace »

L’adepte de la « bike life » aimerait se faire connaître dans sa discipline. Il cite des figures du quartier, comme Larry qui s’est fait connaître dans le rap, Michael Cuisance dans le foot, ou les frères El Jadeyaoui dans les commerces locaux. Mais les stéréotypes sont encore trop nombreux autour du « rodéo urbain », trop souvent réduit au wheeling en scooter. Pour mettre fin aux clichés, Sébastien a déjà son idée :

« Depuis que je lui ai montré des vidéos, depuis que je lui ai expliqué comment on se protège, ma mère ne s’inquiète plus pour moi. Il faudrait qu’on puisse avoir un espace et des journées pour montrer aux gens ce qu’on fait pour qu’il y ait moins de peur autour de la pratique. »

Les deux motards sont convaincus qu’une institutionnalisation de la pratique pourrait permettre à certains jeunes de quartier de s’en sortir. Souvent, Sébastien rappelle l’utilité de sa passion : « Sans ça, gamin, j’aurais peut-être traîné dans la rue et dealé… » Mehmet égrène les business possibles autour de la moto-cross : « Certains ouvrent des garages, d’autres font de l’achat et de la revente, j’ai même découvert une auto-école de moto-cross à Belfort. » Interrogé sur l’unique terrain de moto-cross ouvert à Strasbourg, le jeune Elsauvien estime que la licence est trop chère, « entre 200 et 300 euros l’année… », souffle-t-il.

Sébastien : « Sans ça, gamin, j’aurais peut-être traîné dans la rue et dealé… » (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Le rêve ? Un parcours à l’Elsau

Le rêve de Sébastien et Mehmet ? « Une dalle en bitume, une bonne ligne pour qu’on puisse pratiquer avec des motards d’autres quartiers et d’autres villages. » À défaut de plaque en béton, les deux motards ont une solution toute trouvée. De la rue Watteau, ils désignent l’autre côté du quartier. Sébastien se projette :

« Il y a un champ énorme dont personne ne prend soin. C’est dommage, on pourrait y construire un parcours pour faire quelques figures. Et je suis sûr que ça roulerait moins dans les rues si on avait cet espace. Mais bon tout ça, c’est qu’un rêve. On a aucun espoir qu’il se réalise. »


#Elsau

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