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Marche pour la Santé, samedi 19 mars : « Comment voulez-vous que les soignants restent à l’hôpital ? »

Les organisateurs de la minute de silence en « hommage à la mort annoncée de l’hôpital public » appellent à manifester samedi 19 mars à 15h. Interview de l’une des coordinatrices du mouvement, Floriane Zeyons, cardiologue au Nouvel Hôpital Civil de Strasbourg.

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Marche pour la Santé, samedi 19 mars : « Comment voulez-vous que les soignants restent à l’hôpital ? »

Ils espéraient se faire entendre avec une minute de silence. Les organisateurs de l’hommage à la mort annoncée de l’hôpital public sont pour l’instant déçus. Malgré les actions hebdomadaires, malgré l’ampleur nationale du mouvement, malgré les annonces de Jean Castex en visite à Strasbourg en décembre, les soignants ne voient aucune amélioration de leurs conditions de travail, minées par le sous-effectif permanent, ou les rappels sur repos pour remplacer dans des services où ils n’ont jamais travaillé (voir notre série d’enquêtes – « La hess aux HUS »).

Pour participer au débat public dans le cadre de l’élection présidentielle à venir, des soignants appellent la population à participer à la marche pour la Santé ce samedi 19 mars à 15 heures au départ de la place Kléber. Cardiologue au Nouvel Hôpital Civil, Floriane Zeyons décrit les raisons de cette manifestation et les revendications des soignants, qui chaque semaine depuis le 10 décembre dénoncent en silence l’agonie de l’hôpital public.

Floriane Zeyons lors de la minute de silence sur le parvis du NHC le vendredi 11 mars 2022. Et à sa gauche, Sebastien Harscoat, médecin chef des urgences du NHC. Photo : Evan Lemoine / Rue89 Strasbourg / cc

Rue89 Strasbourg : Il y a trois mois, vous avez lancé une minute de silence hebdomadaire en hommage à la mort annoncée de l’hôpital public. Depuis, l’hôpital continue-t-il d’agoniser ou est-ce qu’il se rétablit ?

Floriane Zeyons : Malheureusement rien n’est réglé et on se rapproche de cette mort annoncée de l’hôpital public. Quand on crie, on n’est pas entendu. On s’est dit qu’en observant une minute de silence, ce serait plus efficace. Mais non. Certes, il y a eu la visite de Jean Castex le 10 décembre, le jour de la première minute de silence. Peut-être que notre action a été un argument de plus pour qu’il vienne et annonce une enveloppe supplémentaire de 20 millions d’euros d’investissement, mais ce n’est qu’une goutte dans l’énorme dette de l’hôpital (de plus de 450 millions d’euros, NDLR).

De plus, notre mouvement s’est étendu d’abord au niveau de l’Alsace puis au niveau national. Mais cette extension n’a pas suscité d’annonce importante. Cela a simplement permis aux médecins hospitaliers de se rendre compte que leur situation était commune partout en France. On s’est rendu compte que le mal est systémique et créé par le financement et la philosophie de gestion de l’hôpital public depuis 20 ans.

Concrètement, à quoi ressemble un hôpital public qui agonise, comme à Strasbourg ?

Dans le service de soins intensifs en cardiologie, une dizaine d’infirmières ont annoncé leur départ pour septembre de cette année. Elles voudraient partir avant, mais elles ne peuvent pas. La direction leur demande de rester jusqu’à ce qu’une nouvelle promotion d’infirmières sorte d’école. Mais quand des infirmières partent, on n’arrive jamais à compenser ces départs, d’autant qu’il faut de l’expérience pour prendre en charge des patients en soins intensifs. Donc même si on arrivait à remplacer les dix infirmières, vous imaginez former dix personnes en même temps ? C’est impossible.

Sur les 23 lits de notre service de soins intensifs de cardiologie, on en a quatre de fermés. L’hôpital attribue les nouveaux postes aux services à prioriser pour le besoin en renfort de personnel. Or tous les services ne demandent pas la même expérience de travail. Systématiquement et sans l’annoncer au préalable, les offres de poste orientent les nouveaux effectifs vers les services les plus en tension, comme la gériatrie, ça ne pose pas les bases pour qu’ils restent. Cela fait donc partie de nos revendications : que les offres de postes indiquent clairement les services concernés. C’est une condition importante pour que la confiance soit possible entre le soignant et l’employeur.

Le Ségur n’a vraiment rien changé pour vous ?

Je n’ai pas l’impression que le personnel veut rester à l’hôpital grâce aux annonces du Ségur. Mais je ne suis pas la mieux placée pour en parler. Certes, la prime d’exercice public exclusif a été revalorisée, elle est passée de 500 euros à 1 000 euros par mois pour les praticiens hospitaliers qui n’exercent pas dans le privé. Et les médecins des premiers et derniers échelons ont été revalorisés, mais pas ceux en milieu de carrière.

De plus, suite au Ségur, la Cour des comptes a annoncé que les hôpitaux devraient faire des économies pour l’appliquer. C’est le serpent qui se mord la queue. On va nous demander de faire des efforts pour être revalorisés. C’est ça qui fait fuir les gens finalement, les conditions de travail insupportables.

Vous avez décidé d’organiser une manifestation en plus de la minute de silence hebdomadaire. Pourquoi ce changement de format ?

Si vous faites une action toutes les semaines, mais qu’elle reste sans effet concret, les gens se démotivent. Aujourd’hui, après trois mois, on a atteint un noyau dur qui répond toujours présent. On a voulu manifester parce qu’on voit encore autour de nous des gens qui n’ont pas connaissance des problèmes de l’hôpital.

Tous les vendredis depuis le 10 décembre 2021, des soignants se retrouvent sur différents sites des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg pour une minute de silence « en hommage à la mort annoncée de l’hôpital public ». Photo : Evan Lemoine / Rue89 Strasbourg / cc

On observe aussi une faible couverture médiatique de nos minutes de silence au niveau national, alors que tous les vendredis, cette action a lieu dans plus d’une vingtaine de villes en France. L’enjeu pour nous, ce sont les élections donc il faut qu’on soit plus visible avec cette action complémentaire, d’où cette marche pour la Santé. C’était une demande de nos collègues lors d’une assemblée générale : une manifestation pour celles et ceux qui veulent des actions concrètes pour l’hôpital. L’objectif, c’est de montrer aux candidats qu’il y a des électeurs concernés par cette question de l’hôpital public et de sa mort annoncée.

Quelles sont les conditions sine qua none pour mettre fin au mouvement ?

Tout d’abord, nous souhaitons l’arrêt de la tarification à l’acte (critiquée pour la « course à la rentabilité » qu’elle occasionne, NDLR). Il faut aussi revaloriser l’objectif national de dépenses d’assurance maladie pour mieux ajuster les budgets par rapport aux besoins à partir de critères simples d’activité prévisible en fonction du bassin de population, son âge, sa précarité et autres.

On voudrait aussi établir une règle qui interdit de dépasser une infirmière pour huit patients. En général, on a plutôt une infirmière pour 15 patients. Bien sûr cette règle est à décliner selon les services. Le plus important niveau effectif aujourd’hui, c’est de remplacer les départs sans délai de carence. Car aujourd’hui, quand quelqu’un part à la retraite par exemple, on attend son remplaçant pendant trois mois. C’est une manière de faire des économies pour l’hôpital, mais ça déstabilise régulièrement les services.

Aujourd’hui, les HUS ont entre 150 et 200 postes d’infirmiers en soins généraux qui ne sont pas pourvus. Au niveau des médecins aussi nous avons des postes non-pourvus. Le déficit d’attractivité de l’hôpital touche toutes les professions. Donc une autre revendication, c’est un plan massif d’attractivité pour tout l’hôpital et une reprise de dette.

Il y a enfin des mesures simples à prendre. Il faut recréer un lien de confiance entre la direction et les agents. Il est actuellement perdu parce que les agents ont l’impression de faire face à un manque d’empathie de leur direction. Ils ont l’impression d’être pris pour des ressources et non des personnes. C’est ça le « new public management », on adapte les dépenses aux plus près des besoins. À force de chercher à éviter à tout prix le surnombre, tout est constamment à flux tendu. On cherche tellement à optimiser la ressource du personnel, qu’on oublie complètement son bien-être. C’est tellement ric rac qu’on peut plus respirer. Vous êtes un petit hamster dans une roue qui court qui court, sans aucune perspective. Comment voulez vous que les soignants restent dans ces conditions ?


#Hôpitaux universitaires de Strasbourg

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