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Pierre Brossolet, P-DG d’Arverne : « Il faut tourner la page Fonroche, qui a écorné l’image de la géothermie »

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« Nuit pour le sang » : un festival néonazi prévu près de Saint-Dié-des-Vosges samedi 25 février

« Nuit pour le sang » : un festival néonazi prévu près de Saint-Dié-des-Vosges samedi 25 février

Quatre groupes de « black metal national-socialiste » sont programmés pour un festival néonazi à 50 kilomètres de Saint-Dié-des-Vosges samedi 25 février. Il y a moins d’un an, un autre rassemblement était organisé par des nostalgiques du Troisième reich à une trentaine de kilomètres.

Moins d’un an après un rassemblement en hommage à une division de Waffen SS à Sainte-Croix-aux-Mines, la mouvance néonazie organise cette fois un festival près de Saint-Dié-des-Vosges samedi 25 février. Au programme de cette soirée « Night for the blood » (Nuit pour le sang), quatre groupes de « black metal national-socialiste » : deux groupes français Todesschwadron et LeibStandarte, Eidkameraden de Suisse et le groupe allemand Stahlfront. L’affiche en noir et blanc multiplie les références néonazies : le soleil noir représente la force chez les SS, la Leibstandarte était la première division SS en charge de la protection d’Hitler, la tête de mort était l’icône de la troisième division SS Totenkopf…

Affiche du festival de black metal national socialiste près de Saint-Dié-des-Vosges.

La stratégie simple des néonazis

Le lieu précis de ce festival n’est pas indiqué. Tout l’enjeu pour les organisateurs de ces rassemblements néonazis, c’est de maintenir l’adresse de l’événement secrète jusqu’au jour de l’événement. En écrivant à l’adresse mail au bas de l’affiche, on reçoit une réponse automatique avec quelques précisions :

« Le concert se tiendra dans le nord-est de la France, à environ une heure de Strasbourg. L’une des villes les plus proches du site est Saint-Dié-des-Vosges. Cette ville sera à 50 kilomètres maximum du lieu du concert.

L’entrée est à 20 euros par personne. Pour réserver, il suffit de faire un transfert Paypal (paiement à un proche). Dans la description du virement, indiquez votre adresse mail. Une fois le transfert réalisé, vous recevrez les billets de concert par mail. (…)

Des informations plus précises sur le lieu du concert vous parviendront au fur et à mesure par mail pour faciliter votre voyage. »

Photo du rassemblement du samedi 14 mai, lors duquel une soixantaine de personnes ont rendu hommage à des SS français tués par l’armée française en 1945.

La stratégie est simple… mais efficace. Les organisateurs demandent à louer un terrain ou une salle sans mentionner l’objet de la réunion. Souvent, ils changent de lieux de rassemblement pour éviter de susciter la méfiance. La méthode avait aussi permis à des néonazis de fêter l’anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler dans la salle municipale de Sexey-les-Forges (Meurthe-et-Moselle) en avril 2019. En l’apprenant des gendarmes le lendemain de la fête, le maire de la commune s’était dit « estomaqué ».

« Faire le salut hitlérien, c’est un délit en Allemagne »

Les journalistes Olivier Vogel et Robert Schmidt l’écrivaient dès 2019 : les néonazis d’Allemagne aiment organiser leurs événements en Alsace et en Lorraine. Une stratégie qui leur permet de s’éloigner de la police et de la législation allemande, comme l’explique pour France Bleu Alsace le politologue et membre du réseau contre l’extrémisme de droite en pays de Sarre Uwe Albrecht :

« Il y a en Allemagne des choses qui tombent sous le coup de la loi et pour lesquelles la situation juridique est différente en France. Faire le salut hitlérien, c’est un délit en Allemagne et si ça se passe pendant un concert, il peut-être interrompu. »

Série brune dans le centre de l’Alsace

Dans cette série brune, le centre de l’Alsace semble marqué par un dynamisme particulier. Au-delà du festival à venir à Saint-Dié-des-Vosges et du rassemblement néonazi de Saint-Croix-aux-Mines de mai 2022, une perquisition dans le cadre d’une enquête pour trafic d’armes dans la mouvance néonazie a eu lieu dans la commune de Villé fin mai 2022. Trois ans plus tôt, la mouvance Hammerskin avait organisé un concert à Plaine (Bas-Rhin). Environ 250 skinheads avaient ainsi pu écouter le groupe « Kraft durch Froide », dont les paroles oscillent entre racisme et apologie de certains dirigeants du IIIe Reich…

Selon Donatien Huet, journaliste de Mediapart, « si cette soirée a bien lieu, il s’agirait du premier événement majeur de ce genre en France depuis quelques années. Le dernier “Call of Terror” a eu lieu en février 2019 près de Lyon ; le dernier “Night of Honour” s’est tenu en février 2018 dans le local de Serge Ayoub en Picardie. »

Immersion dans la « P’tite Cafète » d’un hôpital psychiatrique : une exposition de Frédéric Stucin à Stimultania

Immersion dans la « P’tite Cafète » d’un hôpital psychiatrique : une exposition de Frédéric Stucin à Stimultania

Jusqu’au 15 avril 2023, Stimultania expose le projet « Les interstices » de Frédéric Stucin. Pendant un an, le photographe s’est installé dans une cafétéria accolée au service psychiatrique de l’hôpital de Niort. En résultent 82 photographies, dont de nombreux portraits, sans aucun cliché.

Au numéro 33 de la rue Kageneck, au pôle photographie Stimultania, la porte s’ouvre toujours sur un autre monde. Jusqu’au 15 avril, l’espace d’exposition nous immerge dans la P’tite Cafète, la cafétéria voisine du pôle psychiatrie de l’hôpital de Niort. Le photographe Frédéric Stucin s’y est installé un an, au milieu des patients qui viennent passer un moment, boire un café, manger une glace, discuter entre eux ou avec les soignants. Le regard de l’artiste ici n’a rien de voyeuriste. Le texte introductif de l’exposition précise sa démarche :

« Une semaine par mois, le photographe va proposer aux patients ou aux soignants de créer, ensemble, de « vrais portraits rêvés ». Une photographie qui les raconte, qui dit ce que l’on a envie de dire de soi, à ce moment-là. Le pari de ce projet est que le regard extérieur ne soit plus un empêchement, mais au contraire l’occasion d’un partage. »

L’autre, c’est nous

La première pièce de l’exposition installe le décor de cette cafétéria grise, ses rideaux jaunes et sa végétation. Quelques courts textes de la journaliste Ondine Millot suffisent à décrire par leurs phrases courtes et simples, par les détails qui disent beaucoup, l’atmosphère du lieu qu’on visite :

« Sur les baies vitrées en rotonde de La P’tite Cafète, les visages pâles du matin se reflètent. La nuit d’hiver, encore noire, a changé les vitres en miroirs, enfermé dans un cocon hors du temps le bar et ses occupants. S’y réverbèrent aussi le comptoir, le ventre rond d’Éric L., son sourire, sa casquette, Martin qui s’affaire, ses mouvements concentrés pour vider le lave-vaisselle, remplir le percolateur. Il est huit heures, infirmiers et patients se lèvent avant le soleil. Le petit-déjeuner le moins cher de France – un euro les tartines, jus d’orange et boisson chaude – a ses habitués que ni le froid bruineux du dehors, ni le labyrinthe des bâtiments massifs de l’hôpital n’arrête. Au contraire, ils en connaissent le moindre recoin, empruntent machinalement le chemin jusqu’ici. Ils viennent même lorsque c’est fermé, le week-end. Les infirmiers Éric L. et Éric B. laissent des chaises dehors, on partage une clope à défaut d’un café. »

Extrait du livre « Les interstices », avec les photos de Frédéric Stucin et les textes d’Ondine Millot
La Ptite Cafète, Centre Hospitalier de Niort, pôle psychiatrie. Août 2021. Photo : Frédéric Stucin

Puis l’exposition s’ouvre sur une immense série de portraits. Les premiers, en grand format, montrent des visages, dont certains s’effacent presque sous une sorte de filtre, ici terreux, là d’acier. Un peu plus loin, une succession de plus petites photographies au fond noir. Une jeune femme au visage fin, un élégant collier autour du cou, fixe le spectateur dans les yeux. A côté, un homme tatoué regarde en biais, les cheveux grisonnants, l’air désabusé. Plus loin, une dame porte chapeau de paille. Ses yeux comme embués se perdent dans le vide. Autant de visages de cet autre monde, souvent fantasmé, de l’hôpital psychiatrique, « l’asile ». Certains regards peuvent sembler énigmatiques, étranges, d’autres paraissent plus familiers. En passant face à chacun de ces visages, on finit par se rendre compte que nous ne sommes jamais loin d’être « l’autre ».

« Comme tu me veux » au TNS : une quête d’identité en temps de guerre

« Comme tu me veux » au TNS : une quête d’identité en temps de guerre

La pièce Comme tu me veux interroge la perte de sa propre identité et sa reconstruction dans un contexte de changements radicaux. Ce drame existentiel écrit par le prix Nobel de littérature Luigi Pirandello est mis en scène par Stéphane Braunschweig. À découvrir au TNS du 27 février au 4 mars. 

Un drame existentiel et une quête d’identité. Du 27 février au 4 mars, le Théâtre national de Strasbourg invite à une aventure initiatique en salle Koltès. Dans la pièce Comme tu me veux, de l’auteur et prix Nobel de littérature Luigi Pirandello, l’héroïne commence comme danseuse dans un cabaret de Berlin. Traumatisée par un viol, elle cherche à retrouver celle qu’elle était avant de fuir l’Italie en prise à la guerre.

Du 27 février au 4 mars, le Théâtre National de Strasbourg invite à une aventure initiatique en salle Koltès. Photo : Document remis

Un périple intime entre l’Allemagne et la Vénétie 

Berlin, 1927. Elma, aussi appelée l’Inconnue, danse la nuit dans des cabarets. Suivie par ses admirateurs, elle rentre chez son amant, un auteur manipulateur qui la tient sous son emprise. Chez lui se déroulent les fêtes les plus luxurieuses et débauchées. Un soir, un photographe italien suit Elma, persuadé de reconnaître Lucia, la femme d’un de ses amis. Cette dernière a disparu dix ans plus tôt suite à l’invasion du nord de l’Italie par des soldats autrichiens. Seule chez elle, Elma est victime de viol et sa maison réduite en cendres.

Berlin, 1927. Elma, aussi appelée l’Inconnue, danse la nuit dans des cabarets. Photo : Document remis

Quatre mois plus tard, de retour en Italie, Elma retrouve Bruno Pietri, son mari. Mais le conjoint semble plus préoccupé par la crainte de perdre la demeure familiale obtenue en l’épousant que par l’envie de retrouver l’être aimé. Le couple est entouré de membres de leurs familles, à l’hypocrisie à peine voilée. Elma se laisse remplir par les souvenirs de Bruno, s’offrant à lui et cherchant à devenir la Lucia qu’il avait connu autrefois.

Mais, peu de temps après, Bruno Pietri rentre accompagné d’une femme qu’il a trouvé dans un asile en Autriche. Selon lui, elle serait la vraie Lucia. Laquelle est une imposture ? Nul n’aura la réponse. Ce n’est pas l’enjeu pour l’auteur de la pièce Luigi Pirandello.

Vivre l’expérience de l’entre deux guerres

L’ambiance est oppressante pour le spectateur. Le décor se compose de quelques canapés et des vases à la disposition millimétrée, à la mode dans les années 1920. À partir du deuxième acte, un tableau est placé au centre de la scène. Il représente Lucia dans sa jeunesse et participe à créer le doute autour de l’Inconnue. La projection d’archives historiques, relatant la montée du nazisme et le triomphe du fascisme en Italie, ancre le spectateur dans ce climat angoissant. 

Une mise en scène millimétrée Photo : doc remis

Le choix des tentures vertes autour de la scène n’est pas anodin. C’est une couleur qui porte malheur au théâtre. Une façon subtile de rappeler le désir de l’Inconnue d’ôter les masques et de lever le voile sur les simulacres. La création lumière de Marion Hewlett et son travail sur les ombres créent un rappel à l’expressionnisme allemand. Ce mouvement artistique a pour vocation de déformer la réalité pour exacerber un sentiment, souvent négatif.

Le pouvoir de la subjectivité dans la quête de liberté

La pièce prend pour toile de fond les traumatismes laissés par la première guerre mondiale et cette époque marquée par des crises économiques et sociales et la montée du populisme partout en Europe. Cette société au bord du gouffre rappelle la nôtre, fragilisée suite à la pandémie, la guerre en Ukraine et la crise sociale. De plus, la reconstruction suite à des traumatismes causés par le viol est une problématique contemporaine qui fait écho aux souffrances de nombreuses femmes à travers le monde.

Chloé Réjon brille dans son interprétation de l’Inconnue Photo : doc remis

La comédienne Chloé Réjon brille dans son interprétation de l’Inconnue, un rôle aux multiples facettes. Elle incarne l’envie de Pirandello de créer le doute chez le spectateur. Stéphane Braunschweig donne sa vision du personnage dans un entretien avec Anne-Françoise Benhamou pour le théâtre de l’Odéon :

« Il ne s’agit pas, ou pas seulement, d’une femme qui ne pourrait exister qu’à travers le désir ou le fantasme de l’homme. C’est surtout quelqu’un qui dit : je ne peux exister que si je me reconstruis complètement à partir de rien, ou que si je me fais – littéralement – une autre. »

Si L’Inconnue mène cette quête d’identité, c’est pour trouver sa liberté. Une raison suffisante pour s’essayer à toutes les identités, renonçant à la précédente ou à certains de ses désirs. Elle a l’espoir de conquérir cette liberté, par corps puis par conscience. 

De Pirandello à Braunschweig

Né en 1867, Luigi Pirandello a une relation ambiguë au fascisme. Il rencontre plusieurs fois Benito  Mussolini. L’auteur sicilien est déçu par la politique artistique en Italie, qui préfère la propagande à l’avant-garde. En 1929, l’auteur s’exile quelques mois en Allemagne en compagnie de sa muse et amante, la comédienne Marta Abba.

Ensemble, ils découvrent les cabarets berlinois de l’entre-deux-guerres, en totale contradiction avec la rigueur qui règne alors en Italie. Cette expérience lui inspire l’écriture de Comme tu me veux. Marta Abba et sa compagnie monteront la pièce au théâtre pour la première fois à Milan en 1930, avec la comédienne et compagne de Luigi Pirandello dans le premier rôle.

Stéphane Braunschweig est un adepte de l’auteur italien. Le metteur en scène a dirigé le TNS jusqu’en juin 2008, période durant laquelle il a monté pour la première fois une pièce de Pirandello, Vêtir ceux qui sont nus. Il prend par la suite la direction du théâtre de la Colline avant de prendre la direction du théâtre de l’Odéon en 2016. Avec Comme tu me veux, il met en scène pour la quatrième fois une œuvre de l’auteur italien.

La police municipale de Strasbourg en grève contre la réforme des retraites samedi 25 février

La police municipale de Strasbourg en grève contre la réforme des retraites samedi 25 février

Pour protester contre la réforme des retraites, cinq syndicats de la police municipale de Strasbourg ont déposé un préavis de grève pour la journée du 25 février 2023.

« Grands oubliés de la réforme des retraites, les policiers municipaux sont aujourd’hui lassés d’être les parents pauvres de la sécurité. » Dans un tract revendicatif, cinq syndicats de la police municipale (CGT-Unsa-FO-CFDT-CFTC) appellent à une journée de grève le samedi 25 février 2023. Les organisations syndicales déplorent l’absence de prise en compte de la pénibilité du métier  : « Plutôt que de réduire l’âge de départ à la retraite pour ces fonctionnaires, le gouvernement veut le rallonger de 2 ans ! Trop c’est trop ! Stop au mépris ! » Quelques lignes plus loin, le collectif syndical appelle les Strasbourgeois à appeler la police nationale lors de cette journée de mobilisation.

Opposés à la réforme des retraites, les syndicats profitent aussi de l’événement pour défendre des intérêts spécifiques à leur fonction, comme l’intégration de la prime de fonction dans le calcul des droits à la retraite.

Le recrutement de policiers municipaux expérimenté est très compliqué selon le maire de Bischheim (Photo Damien Roué / Flickr / cc)
Les syndicats souhaitent l’obtention de la bonification spéciale des fonctionnaires de police, dont bénéficie déjà la police nationale. Photo : Damien Roué / Flickr / cc

« Nos représentants n’en font pas assez »

Au niveau national, l’union n’est pas de mise entre les syndicats de policiers municipaux CGT, Unsa, FO, CFDT et CFTC. En dehors de quelques échanges ministériels sur la réforme des retraites, « rien de concrets », juge l’un des porte-parole du mouvement, le responsable syndical CFTC Thiebault Parre :

« Que font nos syndicats au niveau national ? Nous, policiers municipaux, avons le sentiment que nos représentants n’en font pas assez. C’est le ressenti de beaucoup de collègues. À part quelques rencontres ministériel, et la promesse d’une commission consultative assez vague, c’est le néant. »

Le policier espère que l’exemple d’unité à Strasbourg pourra inciter les instances nationales à mieux s’entendre. L’intersyndicale strasbourgeoise appelle « l’ensemble des polices municipales de France à porter ces revendications communes par l’organisation d’actions locales ».

Christophe, 56 ans : « Pourquoi nous ? Pourquoi moi ? C’est injuste »

Christophe, 56 ans : « Pourquoi nous ? Pourquoi moi ? C’est injuste »

« Les perdants de la réforme » – Épisode 4. Laurent, Marie, Christophe, sont tous les trois nés en 1966. Cette génération de Français, avec ceux nés en 1965, devra travailler trois trimestres de plus qu’avant. Une augmentation supérieure à toutes les autres tranches d’âge.

Il marche fièrement, avec son clairon dans sa main droite et sa banderole CFDT dans la gauche. Christophe Hils, 56 ans (bientôt 57), cariste dans une entreprise qui vend des cuisines, participe bruyamment à la cinquième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. « C’est la première fois de ma vie que je manifeste ! », hurle le quinquagénaire, entre les mégaphones des uns, et la sono des camarades de devant. « Je me bats pour moi, mais aussi pour mes enfants, parce que cette réforme est injuste. »

Départ de la manifestation, place de la République, jeudi 16 février. Photo MdC / Rue89 Strasbourg.

« Pourquoi nous ? C’est injuste »

Pour Christophe Hils, né en 1966, la durée de cotisation s’allonge plus que pour les autres Français. Car la réforme de la retraite d’Elisabeth Borne relève non seulement l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, mais elle augmente également la durée de cotisation. Ainsi, ceux qui sont nés en 1961 et 1962, devront cotiser un trimestre de plus. C’est la première génération impactée. Ceux qui sont nés en 1963-64, doivent cotiser deux trimestres de plus. Enfin, pour les Français nés en 1965-66, il faudra cotiser 3 trimestres de plus. Une inégalité de plus, selon Christophe Hils.

« Pourquoi nous ? Pourquoi moi ? C’est injuste. On a commencé à bosser tôt, je devais m’arrêter de travailler à 60 ans parce que j’ai commencé quand j’avais 16 ans. J’étais teinturier chez Labonal, puis charpentier, et maintenant je suis cariste depuis 33 ans ! J’ai travaillé toute ma vie, j’ai jamais été au chômage, et là, il faudrait que je continue deux ans de plus que prévu ? Pas question. »

Christophe Hils est carriste. Né en 1966, il va devoir cotiser trois trimestres de plus que prévu. Photo : MdC / Rue89 Strasbourg

Le cariste, aux mains usées par les meubles qu’il charge chaque jour, raconte sa fatigue : « On fait un métier physique, je suis déjà à moitié cassé. Je n’ai que 56 ans, mais je me vois mal continuer encore six ans. » Depuis le début du mouvement, Christophe Hils n’a pas hésité à poser des journées sans solde pour aller crier sa colère, avec son vieux clairon. « C’est pour qu’ils m’entendent ! », lance-t-il en riant. « Pour sonner la charge aussi. »

« Ils n’auraient pas dû toucher à ceux qui sont nés dans les années 60 »

Le cortège avance doucement, sous un soleil presque printanier. Entre les chanteurs de la CGT sur leur camion, et les groupes épars de manifestants, venus parfois protester en famille – boules Quies de rigueur dans les oreilles des enfants – il y a la bande de Marie. L’infirmière en psychiatrie à l’Epsan de Brumath a tenu à changer son prénom, et ne souhaite pas apparaître en photo. « Le climat est trop compliqué là-bas », glisse la maman de deux enfants, aux traits marqués par la fatigue d’un métier difficile.

Marie (prénom modifié) est infirmière à l’Epsan de Brumath. Elle devait partir à la retraite à 60 ans, mais craint de voir reculer son départ à 62, voire peut être 64 ans. Aujourd’hui, la soignante est épuisée. Photo MdC / Rue89 Strasbourg.

En tant que fonctionnaire hospitalier, Marie fait partie des « agents publics en catégorie B active ». Elle devait donc normalement partir à la retraite à 60 ans. Mais comme tous les fonctionnaires, elle va voir elle aussi, sa durée de cotisation s’allonger et son âge de départ reculer à 62 ans. Voire plus, car la mère de famille a également travaillé dans le privé. Elle aussi, elle est de la génération 66. « Tout ça c’est tellement compliqué, je suis complètement perdue. »

Surtout, Marie est épuisée et ne s’imagine pas travailler encore quatre ans.

« Il y a de plus en plus de pression au travail, je ne m’y retrouve plus en tant que soignante. L’hôpital est géré comme une entreprise. Il y a des burn-out, des suicides. Je travaille en psychiatrie, et il y a une hyper-vigilance dans mon métier qui m’épuise. Moi j’ai commencé à travailler à 19 ans en tant que secrétaire médicale, puis chauffeur-brancardière. Ça va faire 40 ans que je bosse ! Il ne fallait pas toucher aux gens nés dans les années 60. On est fatigués, on a commencé il y a longtemps. Ça suffit ! »

Alors que le cortège entame sa dernière ligne droite, en revenant à son point de départ Avenue de la Liberté, la presque sexagénaire rejoint ses collègues, venues marcher sous les banderoles bleues du syndicat Unsa.

La cinquième journée de mobilisation contre les retraites a rassemblé 3 200 personnes selon la police, 10 000 selon les syndicats. Photo MdC / Rue89 Strasbourg.

Le gouvernement ne respecte plus « la clause du grand-père »

Laurent Feisthauer est le secrétaire départemental de la CGT du Bas-Rhin. Lui aussi est né en 1966. Avant d’être détaché pour le syndicat il y a deux ans, il était enseignant en histoire-géographie et lettres dans un lycée professionnel, à Saverne. Le concernant, la réforme va donc avoir un impact fort, avec trois trimestres de plus à cotiser.

« On se prend la réforme en pleine tête. On est la génération cobaye. Avant, le gouvernement avait une sorte de ”clause du grand-père”, c’est-à-dire qu’on ne s’attaquait pas à ceux qui étaient encore en poste et qui étaient proches de la retraite. On s’attaquait aux jeunes générations, parce que lorsqu’on a 30 ou 40 ans, on ne pense pas trop à sa retraite. Là, ils s’en prennent à ceux qui avaient déjà fait leur calcul de départ. Moi, je savais qu’il me restait cinq ans. Avec cette réforme, je passe à sept ans et ça change tout. »

Laurent Feisthauer est le secrétaire départemental de la CGT du Bas-Rhin. Mais il est lui aussi né en 1966, et va voir son âge de départ reculer, et les trimestres à cotiser, augmenter. Photo MdC / Rue89 Strasbourg.

Pour le représentant de la CGT, c’est d’autant plus difficile à digérer, que les conditions de travail dans l’enseignement sont de plus en plus dures. Laurent Feisthauer parle de ses collègues, qui, il y a quelques années encore, « partaient heureux à la retraite, et revenaient voir leurs anciens élèves ». Aujourd’hui, le syndicaliste l’assure, « les collègues sont cassés, épuisés ». L’enseignant dénonce « une double-peine » pour les profs, qui doivent « travailler plus, et dans de mauvaises conditions ».

« On a des soucis avec la hiérarchie qui nous en veut de ne pas être à la page des méthodes pédagogiques. On est aussi en porte-à-faux avec les parents d’élèves, qui nous en veulent parce qu’on est moins dynamiques que nos collègues plus jeunes, on n’a plus la motivation pour emmener toute une classe en voyage scolaire par exemple. Et puis à 60 ans, on n’est plus en phase avec les ados d’aujourd’hui ! C’est un public très exigeant, qui nous fait payer notre âge. »

La manifestation de ce jeudi 16 février a rassemblé de nombreux syndicats, mais aussi des étudiants, des familles, des salariés du public et du privé. Tous unis contre la réforme des retraites. Photo MdC / Rue89 Strasbourg.

Dans les flammes rouges des fumigènes, le cortège termine doucement sa cinquième journée de mobilisation, place de la République. Certains, motivés, proposent au mégaphone de voter pour une AG. Mais en quelques minutes, la foule s’est déjà dissipée. Selon la police, 3 200 personnes se sont déplacées pour protester ce jeudi. 10 000 selon les syndicats. C’est deux fois moins que lors de la deuxième journée de mobilisation, le 31 janvier.

À l’Université de Strasbourg, une sobriété énergétique à géométrie variable

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Au Pays de Bitche, la situation se dégrade pour le Syndicat des eaux d’Alsace-Moselle

Au Pays de Bitche, la situation se dégrade pour le Syndicat des eaux d’Alsace-Moselle

Invoquant une perte de confiance, le Syndicat des eaux d’Alsace – Moselle (SDEA) a notifié la Communauté de communes du Pays de Bitche (CCPB) de sa volonté de sortir de l’assainissement et de la distribution d’eau pour ce territoire. Mais le président de la CCPB, David Suck, n’entend pas laisser partir le SDEA…

Joseph Hermal est désemparé. Directeur du Syndicat des eaux et d’assainissement (SDEA), un organisme public qui intervient dans la gestion de l’eau pour plus de 700 de communes en Alsace et en Moselle, il ne s’attendait pas à devoir gérer un dossier éruptif mêlant conflits d’intérêts, menaces et bagarres.

Tout commence en 2015, lorsque le SDEA obtient un contrat d’assainissement pour la Communauté de communes du Pays de Bitche (CCPB). Auparavant, c’était la société Véolia qui tenait cette charge. Tout se passe bien jusqu’en 2020, lorsque David Suck devient président de la CCPB.

Soudain, changement d’ambiance. Le nouveau président remet en question les contrats avec le SDEA et prend parti pour Véolia dans deux litiges (voir nos articles précédents). Toute concertation semblant impossible, le SDEA en vient à soupçonner David Suck de préparer le terrain pour un retour du concurrent Véolia dans le secteur.

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La réforme des retraites provoque des frictions entre les communistes et le reste de la majorité

La réforme des retraites provoque des frictions entre les communistes et le reste de la majorité

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Plainte déposée, bagagerie et démolition… Le point sur l’avenir de la maison Mimir

Plainte déposée, bagagerie et démolition… Le point sur l’avenir de la maison Mimir

Peu après l’incendie de la maison Mimir, une plainte a été déposée par l’association le 9 février. Les Mimiriens espèrent pouvoir maintenir leurs activités sur site.

« On veut garder cet endroit et garder notre activité. » Coprésident de l’association de la maison Mimir, Rémi garde le cap malgré l’incendie qui a ravagé ce lieu unique du centre-ville strasbourgeois. Lundi 13 février, il s’active avec ses camarades pour redonner de l’élan à ce projet de solidarité.

Une partie de la maison Mimir a brûlé jeudi 9 février. Une enquête est ouverte. (Document remis)Photo : Document remis

Quatre jours après l’incendie, une première solution a été proposée par la Ville de Strasbourg pour déménager la bagagerie de la rue Prechter. Le lieu, qui permettait notamment aux sans-abris de déposer leurs affaires, pourrait être déplacé dans les locaux du centre d’accueil de jour T’rêve de Koenigshoffen. Mais la solution n’est pas encore satisfaisante pour les membres de la maison Mimir, qui s’inquiètent d’un nombre insuffisant de casiers à la T’rêve et se demandent toujours quand les affaires entreposées rue Prechter pourront être récupérées. Le coprésident de l’association explique :

« On voudrait garder notre parcelle rue Prechter, ainsi que notre bagagerie. Les gens qui ont leurs habitudes ici, ils se douchent à la Bulle, rue Fritz Kiener juste à côté. Ils ne vont pas partir à l’autre bout de Strasbourg pour chercher leurs affaires… »

L’association Mimir rappelle aussi qu’une partie de leurs locaux est restée intacte. Tout le bâtiment de la bagagerie peut encore être remis en état : « On a une salle polyvalente qui a surtout été dégradée au niveau du toit. Donc on peut réparer ça. Et avec du soutien, on peut installer un conteneur dans la grande cour qu’on va avoir après la démolition. Ça nous permettrait de relancer le bar. »

Une plainte et des doutes sur l’enquête

Pour le reste, Mimir reste dans l’expectative. Aucune nouvelle de la plainte déposée par l’association le jeudi 9 février pour « destruction involontaire du bien d’autrui par explosion ou incendie, du à la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence ». Une procédure lancée à la fois par nécessité pour l’assurance, mais aussi pour qu’une enquête de police puisse avoir lieu, comme l’explique Tony, membre du comité de l’association Mimir :

« Il y a eu des intrusions dans le bâtiment les dernières semaines. On l’a constaté en voyant des fenêtres et des barrières cassées. Or il ne devait y avoir personne la nuit dans le bâtiment, qui n’était pas prévu pour loger des gens. On n’avait pas porté plainte à l’époque mais vu la situation actuelle, on aimerait qu’il y ait une enquête avant la destruction complète du bâtiment. Malheureusement, les choses se sont précipitées et ils sont déjà en train de démolir la maison. Donc on se demande comment ils enquêteront… »

L’association a porté plainte pour « destruction involontaire du bien d’autrui par explosion ou incendie, du à la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence », mais les bénévoles se demandent comment l’enquête peut avancer, si une partie du bâtiment est détruite / Photo GK / Rue89 Strasbourg.

Contactée, la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Bas-Rhin assure que l’état du bâtiment représentait un danger imminent pour les autres constructions. Mais la démolition n’empêcherait pas l’enquête, toujours selon la communication de la DDSP :

« Les collègues de la police technique et scientifique étaient sur les lieux avant la démolition. Et la police judiciaire mènera son enquête par d’autres moyens, il y aura le visionnage de la vidéoprotection et des enquêtes de voisinage. »

Une réunion est prévue mardi 14 février pour échanger sur l’avenir de la maison Mimir. C’est aussi l’occasion de définir une stratégie face au silence des pouvoirs publics :

« On n’a toujours pas de réponse de la Ville de Strasbourg ni de la préfecture sur la date à laquelle on peut récupérer les affaires à la bagagerie. Et on n’a aucune solution pour les associations qui faisaient leurs réunions chez nous. »

Guillaume Libsig : « On est ouvert à tout »

Par la voix de son adjoint en charge de la vie associative, Guillaume Libsig, la municipalité temporise, après avoir « pallié dans l’urgence à la disparition du bâtiment en transférant la bagagerie sur le site de la T’rêve à Koenigshoffen ». Guillaume Libsig est bien conscient de l’intention des Mimiriens de maintenir leurs activités sur site :

« On est ouvert à tout et on ne veut rien imposer. On apprécie Mimir et leurs engagements. Mais pour nous, l’envie de rester sur site pose des questions techniques, de sécurité et de police du bâtiment. La question, c’est : est-ce que l’association est prête à partir vers de nouveaux sites ? »

Pour le reste, Guillaume Libsig évoque un « besoin de se rencontrer et d’envisager les différentes problématiques à plus long terme ». Entre les congés scolaires, l’organisation de l’aide à la Turquie et la Syrie meurtries par un terrible séisme et la problématique du manque de locaux pour les associations strasbourgeoises, Guillaume Libsig espère qu’une telle rencontre pourra avoir lieu d’ici la fin du mois de février.

Cinquième manifestation contre la réforme des retraites jeudi 16 février

Cinquième manifestation contre la réforme des retraites jeudi 16 février

Après une manifestation familiale samedi dernier, les syndicats programment une nouvelle journée de grève ce jeudi 16 février à Strasbourg et en Alsace.

Alors que l’examen du projet de loi de réforme des retraites se poursuit à l’Assemblée, les opposants espèrent maintenir la pression dans la rue. Les huit principaux syndicats s’accordent pour une cinquième journée de manifestation ensemble, le jeudi 16 février. À Strasbourg, le cortège partira de l’avenue de la Liberté, à 14h.

Son parcours sera similaire aux précédentes marches. En passant par la place de la République, puis la place Broglie et la place de L’Homme-de-Fer, le cortège s’avancera ensuite vers la Krutenau, en longeant la rue de la Division Leclerc. Finalement, le défilé finira sa boucle en passant de la place de Zurich, jusqu’à l’avenue de la Liberté.

Maintenir la pression sur l’Assemblée

La précédente marche, le samedi 11 février, avait voulu s’ouvrir à un éventail d’opposants plus large. Reste que le chiffre de la participation était en deçà des chiffres de la première journée de mobilisation, particulièrement réussie. Le rebond de la mobilisation pourrait être crucial pour maintenir la pression sur l’Assemblée, qui devrait examiner cette semaine l’article 7 du projet de loi ; celui-ci consacre le recul de l’âge de départ légal à 64 ans.

Droit de réponse de Michaël Langlois

Droit de réponse de Michaël Langlois
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La course de fond de Leila Ouadah pour les droits des livreurs à vélo

La course de fond de Leila Ouadah pour les droits des livreurs à vélo

Avec d’autres travailleurs de plateforme, la Mulhousienne a contribué à faire adopter la présomption de salariat au Parlement européen. Mais le chemin reste encore long pour faire appliquer les droits des livreurs ubérisés. Portrait d’une livreuse en lutte.

Dans un petit café cozy de Mulhouse, Leila Ouadah n’hésite pas longtemps sur sa tisane. Ni verveine, ni tilleul, « Rien que pour le nom, ce sera « Des lendemains qui chantent » », sourit-elle en pointant la carte. C’est peut-être trop espérer que d’imaginer une résonance avec l’avenir des livreurs à vélo. Mais c’est bel et bien une victoire qui vient d’être obtenue au Parlement européen, selon la jeune femme de 32 ans mobilisée depuis plusieurs années pour la cause des livreurs ubérisés. 

Leila représente les livreurs Deliveroo depuis 3 ans au sein de la plateforme. Photo : SW / Rue89 Strasbourg

En octobre 2022, avec le soutien de l’eurodéputée de la France Insoumise Leïla Chaibi, la livreuse s’invite à une réunion de lobbyistes organisée au Parlement de Strasbourg. Elle est accompagnée de Brahim Ben Ali, représentant des chauffeurs VTC. Le texte est alors en discussion et les défenseurs des travailleurs craignent que les plateformes vident la directive de sa substance. Leila Ouadah s’exprime alors en tenue de livreuse en face de représentants d’Uber et Deliveroo :

« On a jamais été convié pour discuter de notre travail et de nos conditions de travail. Ce serait bien qu’on soit convié parce qu’on investit 70 heures par semaine de notre temps. Moi je suis mère de famille j’ai quatre enfants. Mon travail je l’ai choisi . Mais les conditions de travail on ne les a pas dit dès le départ. S’il y a un lien de subordination, alors il y a présomption de salariat et dans ce cas on aimerait récupérer tout ce qu’il y a derrière, les avantages comme les inconvénients. Mais si on reste indépendants, alors on aimerait pouvoir facturer nos services avec nos tarifs et pas des tarifs imposés. »

Les eurodéputés ont décidé de voter (à 376 voix pour et 212 contre) une directive de la commission qui présume la relation de salariat entre les plateformes (Uber, Deliveroo, Bolt…) et leurs employés. Le texte approuvé le 2 février 2023 va plus loin que celui proposé par la Commission grâce à l’implication du groupe de La Gauche au Parlement européen (GUE/NGL). En effet, les critères établis par Bruxelles pour établir le salariat ont disparu du texte final. Dans le texte adopté par le Parlement, la relation de salariat est présumée sans condition. C’est désormais à la plateforme de prouver le contraire. Leila savoure cette victoire : 

« Le Parlement a ouvert une porte immense. On peut maintenant demander nos droits. Et on est loin de les avoir tous. On espère que les plateformes seront condamnées à requalifier nos contrats pour les années passées car si on est bien indépendant, c’est à nous de fixer librement nos tarifs. Un long combat s’annonce. »

Pouvoir de négociation

La livreuse qui pédale dans les rues de Mulhouse sous casaque Deliveroo est représentante de ses collègues depuis trois ans. Une représentation devenue obligatoire depuis 2022 avec la loi mobilités. Mais ce n’est pas un dialogue qui s’est instauré avec les plateformes comme Deliveroo, selon Leïla Ouadah : « On peut s’exprimer, oui. Mais il n’y a toujours pas de négociations. » La militante s’estime plus efficace au niveau de sa participation à l’autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) mise en place cette année par le ministère du travail : 

« On avance plus lentement qu’un escargot. Actuellement, on est encore en train de fixer le cadre du dialogue. Mais la présence de responsables du ministère du travail change beaucoup de choses. On sent qu’on a plus de pouvoir. » 

Leila dans les rues de Mulhouse. Il reste encore beaucoup de travail à accomplir pour garantir des droits aux travailleurs des plateformes Photo : SW / Rue89 Strasbourg

Née à Hautepierre, où elle a grandi, Leila Ouadah vient plaider la cause des livreurs au parlement européen et n’hésite pas à s’exprimer sur les réseaux sociaux. Elle raconte cette position parfois difficile :

« Ce n’était pas donné pour moi de m’adresser à tous ces responsables politiques de la bonne manière.  Je suis issue d’une famille pauvre de neuf enfants. Je suis pas de ceux qu’on écoute. Et dans la profession, nombreux sont ceux qui ont peur d’être déconnectés de l’appli s’ils parlent. »  

Un job de « repenti »

Son diplôme et son expérience de plusieurs années en hôtellerie restauration ont forgé son caractère. Certainement aussi le fait d’avoir dû jongler très tôt entre sa vie professionnelle et sa vie de maman solo : Leila Ouadah a quatre enfants, le plus âgé a 16 ans et le plus jeune a neuf ans. Invisibles, les travailleurs des plateformes (ils sont estimés à 100 000 en France) ont encore du mal à s’organiser et à se faire entendre :

« Il y a ce cliché du livreur, soi-disant un étudiant qui fait ça pour gagner de l’argent de poche… Mais non, c’est en majorité un job de repenti, de ceux qui sont hors de la société, exclus du marché de l’emploi, soit parce qu’ils n’ont pas de papiers, soit parce qu’ils sortent de prison. Beaucoup de livreurs ne revendiquent pas à cause de cela, car ils risquent de perdre le peu qu’ils ont… Et même plus. D’autres collègues sont aussi désabusés. »

Le déclic : la mort de Mourad, un collègue

Leila a les idées claires et le débit rapide quand elle pointe ce qui ne va pas dans les relations avec les plateformes qui elles ont leurs entrées dans les cercles de pouvoir. Le déclic de son engagement ? C’est la mort de Mourad, un collègue livreur Deliveroo qui a chuté dans les rues de Mulhouse à l’été 2019. Il est décédé quelques mois plus tard. Mais c’est aussi la dégradation importante de leur rémunération en période de pandémie que dénonce Leila : 

« Le nombre de créneaux de livraison ont augmenté. Deliveroo a « recruté » un max. Ca a augmenté la concurrence et nos tarifs ont baissé. En moyenne on a perdu 30 à 50 % de nos revenus par rapport à l’avant covid. »  

Sur son appli, Leila peut remonter jusqu’à avant 2020 et fait constater la baisse des revenus Photo : SW / Rue89 Strasbourg

Les pièges du statut de salarié

Les tarifs ne sont pas remontés depuis. Pour preuve Leila ouvre son appli : le mois dernier pour 28 jours de travail, elle a gagné 1 003 euros. En mai 2020 : pour 27 jours de travail, elle a engrangé 1 600 euros. Pour rappel, une journée de travail équivaut à pédaler plus de dix heures. Il y a quelques jours, pour avoir travaillé de midi à 22 heures, Leila a gagné 58 euros, une somme à laquelle il faudra retrancher 22% de cotisations sociales.

« Le salariat n’est pas non plus la panacée, il faut regarder d’assez près les conditions », insiste Leila qui cite Just Eat, la plateforme de livraison française qui se vantait d’avoir embauché ses livreurs. Depuis cette décision, l’entreprise a évincé un tiers de ses effectifs et ce modèle de salariat ne s’applique plus que dans sept villes françaises. Leila ajoute : « Ce sont des contrats de quinze heures. Les livreurs n’ont pas d’endroit pour se changer ou manger. Ils n’ont pas de prime de risque, d’intempérie ou d’intéressement. Où sont donc les avantages du salariat ? »

« Les droits des femmes livreuses, ce sera le combat d’après »

Attachée à sa liberté, la Mulhousienne préférerait être « vraiment indépendante mais véritablement libre de fixer ses tarifs ». D’autant que des droits restent à conquérir pour les travailleurs des plateformes : ces derniers ne cotisent pas automatiquement pour leur retraite, ni pour le chômage. Seule livreuse à Mulhouse, Leila ronge son frein sur l’absence de congés maternités : 

« Les droits des femmes livreuses, ce sera le combat d’après. Pour nous, la pénibilité et le danger ne sont ni reconnus, ni prévenus. On subit du harcèlement. J’ai déjà failli me faire séquestrer dans une chambre d’hôtel. Mais je n’ai pas le choix d’éviter les horaires nocturnes, à cause des enfants, je bosse de nuit. Mais certaines de mes collègues s’y refusent. Elles ont trop peur. »

Sur ce point, Uber a mis en place pour ses chauffeurs VTC un bouton d’alerte. Leila aimerait que les applis qui pistent facilement les livreurs pour des raisons de rentabilité se préoccupe des indices qui pourraient indiquer une situation de danger ou un accident : 

« Mon collègue Mourad est resté connecté au même endroit pendant 18 heures. En fait il était à l’hôpital en réanimation. C’est moi qui ai dû prévenir la plateforme. »

Leila Ouadah : « Les droits des femmes livreuses, ce sera le combat d’après. » Photo : SW / Rue89 Strasbourg

« Aujourd’hui, mes enfants sont fiers de moi »

Les travailleurs de plateforme, quel que soit leur statut, aimerait accéder aux mêmes possibilités que les salariés : un crédit immobilier, ou un accès à la location d’un appartement. Leila insiste aussi sur les livreurs sans papier qui sous-louent des comptes : selon elle, ils constituent la moitié des livreurs, alors que les plateformes estiment qu’ils constituent 12 %, des effectifs.

Pendant le Covid, Leila, comme les travailleuses de la « deuxième ligne », n’a pas pu mettre ses enfants à l’école. Elle a dû se débrouiller pour compenser les pertes de revenu tout en s’engageant de plus en plus pour faire reconnaître ses droits : « Aujourd’hui mes enfants sont fiers de moi, ils comprennent pourquoi je me suis battue ».

Pour « mettre la direction de Heineken sous pression », l’intersyndicale de l’Espérance appelle à manifester

Pour « mettre la direction de Heineken sous pression », l’intersyndicale de l’Espérance appelle à manifester

Les syndicats CGT, CFDT et FO de la brasserie de l’Espérance à Schiltigheim ne sont toujours pas satisfaits des conditions de départ proposées par la direction de Heineken. Ils appellent à manifester en partant de l’usine schilikoise mardi 14 février.

« La quatrième réunion de négociation a été très décevante », affirme Didier Deregnaucourt, délégué du personnel CGT de l’usine Heineken à Schiltigheim. Depuis l’annonce de la fermeture du site de production schilikois le 14 novembre 2022, le cégétiste est au front avec les syndicalistes de la CFDT et de FO pour négocier des conditions de départ protectrices pour les 220 salariés de l’entreprise. Le cégétiste s’oppose notamment à une mesure mise en place par la direction pour « diviser les salariés » :

« Une prime de 400 euros a été mise en place, mais elle n’est accordée que si l’usine a un fonctionnement ‘normal’. Or on ne sait pas ce que ça veut dire un fonctionnement normal. On craint que la prime soit utilisée pour briser la grève. En plus, la direction compte cette prime dans le calcul de l’indemnité de départ. Nous ne sommes pas d’accords avec ces méthodes. »

Les salariés d’Heineken estiment être trahis par leur direction, qui décide de fermer le site de Schiltigheim malgré de gros bénéfices. Photo : Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg / cc

« Heineken doit accepter les départs anticipés »

Didier Deregnaucourt espère aussi obtenir une prime de licenciement au montant indépendant de l’ancienneté des salariés. Un combat mené pour les jeunes salariés, comme l’explique le syndicaliste : « Heineken a beaucoup embauché les derniers temps, il y a donc une majorité de jeunes avec moins de cinq ans d’ancienneté. Ils vont se retrouver sur le marché du travail et leur indemnité sera faible. »

Vania Brouillard, du syndicat Force Ouvrière, rappelle que l’intersyndicale se bat toujours pour maintenir l’activité du site schilikois :

« On conteste toujours la fermeture du site et on cherche le soutien populaire pour démontrer l’attachement à ce site. Notre deuxième revendication porte sur les départs anticipés. L’entreprise Heineken veut nous faire travailler trois ans et nous licencier. Or nous nous voulons nous reconstruire le plus rapidement possible. Il faut que la direction de Heineken cesse de refuser les départs anticipés en nous disant qu’on qu’à démissionner… »

Manifestation prévue mardi 14 février à 11 heures

L’intersyndicale a lancé une grève illimité depuis le vendredi 10 février. Une cagnotte en ligne a été lancée pour soutenir les grévistes dans leur combat.

Lundi 13 février, en début d’après-midi, un rassemblement de salariés, de leurs proches et de leurs soutiens a eu lieu devant l’usine Heineken de Schiltigheim. L’intersyndicale en a profité pour appeler à manifester pour « mettre la direction sous pression en leur faisant une mauvaise publicité », indique le syndicaliste CGT Didier Deregnaucourt. La manifestation partira de la brasserie schilikoise mardi 14 février à 11 heures pour rejoindre le Parlement européen.

Après le fiasco de Fonroche, une nouvelle entreprise pour relancer la géothermie dans l’Eurométropole

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Tommy, 29 ans : « Sur les chantiers, je vois des travailleurs âgés, toujours en intérim »

Tommy, 29 ans : « Sur les chantiers, je vois des travailleurs âgés, toujours en intérim »

« Les perdants de la réforme » – Épisode 3. Aurélie, Tommy et Joëlle ont manifesté contre la réforme des retraites, samedi 11 février. Tous les trois partagent des parcours professionnels sinueux, ponctués de petits boulots, d’intérims et de périodes d’arrêt. Pour eux, comme pour beaucoup de précaires, les 43 annuités sont inatteignables.

Place Kléber, deux foules cohabitent. La première, désarticulée, agrège un peuple de promeneurs tranquilles, consommateurs bardés de sacs, parfois en quête de brunchs. L’autre forme une colonne gueularde, œuvrant à bousculer les consciences flemmardes et les résignés. Samedi 11 février, pour la quatrième fois, les opposants à la réforme des retraites veulent faire entendre leur colère contre un projet de loi qu’ils jugent inique et cruel. Notamment à l’égard des travailleurs précaires, ceux pour qui la carrière et les annuités ne se suivent pas en ligne droite jusqu’à la retraite.

« Quand j’étais petit, je pensais que c’était simple, qu’on faisait des études et qu’on avait un travail », commence Tommy en trifouillant ses souvenirs. « Mais  mon parcours scolaire est devenu chaotique, et dès le début ma carrière a été hachurée. » Avec un BTS électrotechnique en poche, obtenu en 2017, il entame une série de petits contrats à durée déterminée comme électricien, entrecoupés par des périodes de chômage plus ou moins longues. D’un chantier à l’autre, il additionne les contrats d’intérim :

« Pendant longtemps je ne travaillais qu’avec des boîtes d’intérim. Elles me prenaient pour deux mois, puis me jetaient, avant de me reprendre un mois plus tard. Entre les deux, j’étais au chômage, mais c’était un peu angoissant. Je ne me sens jamais assez serein pour faire des plans à long terme, pour prévoir un achat important par exemple. »

Tommy a 29 ans. Actuellement, il travaille en CDD auprès d’une collectivité. Photo : RG / Rue89 Strasbourg/ cc

En 2022, Tommy a connu une période de chômage de six mois ; dans son parcours, son plus long contrat n’a duré qu’un an. S’il n’ose pas calculer sa retraite, la question le taraude quand même : « Sur les chantiers où je travaille, je vois beaucoup de collègues âgés, fatigués, obligés de bosser encore en intérim. Ça me fait mal au cœur. »

« À part un CDD de six mois, je n’ai connu que du travail alimentaire »

À mesure que le cortège avance, les amplis syndicaux se lancent dans une lutte féroce, à qui crachera le tube de manif le plus ringard. Duel éternel entre Zebda et Trust, sans vainqueur. Derrière le boucan, Aurélie tente désespérément d’entendre la question. «  » »Quoi ? Ma retraite ? C’est simple, ça va être la misère ! » Dans un grand rire, la manifestante désamorce toute gravité. Avant d’avoir son poste de responsable vente dans une boutique de chocolat – en CDD – elle a connu un itinéraire complexe. Après un DUT et une licence, elle finit par obtenir un master marketing-communication à 24 ans, dans une école onéreuse : 

« J’ai payé près de 11 000 euros pour ces deux années, mais je n’ai presque jamais pu travailler dans la branche pour laquelle j’étais formée. À part un CDD de six mois, je n’ai connu que du travail alimentaire, dans la vente et le service. Et du chômage, entre deux boulots. »

Depuis sa sortie d’école, Aurélie a connu trois longues périodes de chômage Photo : rg / rue89Strasbourg / cc

Régulièrement, elle tempère, précisant « qu’il y a pire », pour ne pas s’étendre sur sa situation. Et pourtant, elle ne s’imagine pas travailler jusqu’à 67 ans pour éviter une décote :

« On ne s’en rend pas compte, mais ces métiers demandent aussi de l’énergie physique et mentale. Il faut être toujours là pour les clients, toujours disponible et on finit la journée éreintée. »

Courir derrière les annuités

Vers la fin de cortège, alors que les rangs commencent doucement à désépaissir, un bloc de manifestantes reste soudé. Au centre, Joëlle, 62 ans, flanquée de ses deux filles et de sa sœur, a des airs de cheffe de troupe. « J’ai moi-même eu une carrière hachurée, mais je viens pour mes filles, et pour les autres. » Née dans une famille modeste du Ried, elle a commencé à travailler à 17 ans, après avoir obtenu un diplôme de sténographe.

Joëlle a enchainé les petits boulots pour s’occuper seule de ses trois filles. Photo : RG / Rue89Strasbourg / cc

Jusqu’à ses 38 ans, elle n’aura connu qu’une succession de petits jobs, les vignes l’été ou l’intérim le reste de l’année. Avec des périodes de chômage, notamment pour s’occuper de ses trois filles. À partir de ses 38 ans, elle trouve un travail pérenne et travaille désormais comme assistante médicale dans un service de médecine du travail :

« De là où je suis, je vois arriver de plus en plus de vieux travailleurs. Certains sont plus jeunes que moi, et paraissent déjà plus vieux. On voit que le travail les use, ce n’est pas possible de travailler plus longtemps. »