Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« Il appelait son chauffeur tonton » : l’opposition presse la Collectivité d’Alsace à restaurer le transport des élèves handicapés

« Il appelait son chauffeur tonton » : l’opposition presse la Collectivité d’Alsace à restaurer le transport des élèves handicapés
Naïm, 10 ans, atteint de la myopathie de Duchêne, est transporté dans le véhicule que sa mère a acheté.

La rentrée a eu lieu sans eux. En Alsace, des enfants en situation de handicap attendent toujours un transport scolaire adapté, supprimé ou retardé par la Collectivité européenne d’Alsace. Trois élus d’opposition lancent un appel pour soutenir la mobilisation des familles révoltées.

Naïm a fait sa rentrée en sixième lundi 13 octobre 2025. Un mois et demi après ses camarades de classe. Atteint d’une myopathie de Duchenne (une maladie dégénérative qui entraîne un affaiblissement progressif des muscles et une fatigue extrême), le jeune garçon attendait un transport scolaire adapté à son handicap pour aller au collège. Sa mère, Nassera, s’est battue pendant des mois pour obtenir cette autorisation de la Collectivité européenne Alsacienne (CeA).

« Nous lançons un appel pour le respect du droit à l’éducation des enfants en situation de handicap. La CeA se désengage de ses obligations de leur fournir un transport scolaire adapté », commence Fleur Laronze, élue communiste d’opposition, lors d’une conférence de presse organisée vendredi 17 octobre. Autour de la table, trois mères de famille sont venues témoigner du combat qu’elles mènent contre le barrage administratif érigé par la Collectivité d’Alsace. L’appel à soutenir la mobilisation de ces familles a recueilli 323 signatures d’élus, d’enseignants, de représentants associatifs et syndicaux ou bien de transporteurs.

La charge du transport laissée parents

La Collectivité d’Alsace a voté un nouveau règlement sur le transport scolaire des enfants handicapés, entré en vigueur le 1er septembre 2025. L’administration a décidé de prioriser le remboursement des frais kilométriques des trajets plutôt que le transport individualisé des enfants avec taxi et chauffeur. Considérant ainsi que la charge du transport repose sur les parents. Une décision qui révolte Ludivine Quintallet, élue écologiste d’opposition :

« La CeA fragilise volontairement les familles déjà fragiles ce qui provoque des situations de perte d’emploi, de dépression et de déscolarisation des enfants. Pourquoi quand vous êtes mère d’un enfant handicapé, vous devriez l’emmener tous les jours à l’école alors que les autres familles utilisent les transports scolaires ? C’est la compétence sociale de la CeA, c’est elle qui en a la responsabilité. »

En 2024, en Alsace, 1 780 jeunes étaient concernés par le dispositif. Parmi eux, 1 300 disposaient de transports individualisés. À la rentrée 2025, ils ne sont plus que 350 à avoir accès à un taxi et un chauffeur.

« Autonomie dans les transports en commun », voilà la justification donnée par la CeA pour le refus de transport scolaire pour Youssef, le fils d’Imanne.

Imanne habite à Ostwald et a dû scolariser son fils au collège privé Notre-Dame de Sion à l’Orangerie puisqu’aucun autre établissement ne pouvait lui fournir d’enseignement adapté. À 14 ans, Youssef est atteint de dysphasie sévère. Il connaît des difficultés pour se repérer dans l’espace, pour écrire ou pour lire les panneaux. Prendre les transports en commun pour aller en cours est donc impensable. Mais la CeA n’a pas accepté sa demande de transport individualisé. Imanne a dû quitter son travail d’assistante administrative pour emmener son fils au collège. Les larmes aux yeux elle raconte son quotidien :

« Je dépose Youssef à 6h40 le matin et je viens le chercher à 16h30. La journée est trop longue pour lui, il est rapidement fatigué. Mais je ne peux pas venir le chercher pendant la journée, j’ai un petit de 4 ans dont je dois aussi m’occuper. Je ne travaille plus et j’ai été obligée de payer un collège privé donc financièrement, ça devient très difficile. Avant, on partait en vacances chaque année mais là ça fait 4 ans qu’on n’est pas partis. »

« Faire baisser la facture »

Pour les trois élus d’opposition à la CeA à l’origine de l’appel à soutenir la mobilisation des familles, le nouveau dispositif mis en place par l’administration a pour objectif de « faire baisser la facture ». Pour faire des économies, la CeA fait désormais appel à des sociétés de transport moins coûteuses. « La plupart sont parisiennes et ne connaissent ni la géographie alsacienne, ni les familles contrairement aux transporteurs locaux », explique l’élue communiste Fleur Laronze. Deux chaises plus loin, Nassera ne cache pas sa colère : « Faire des économies sur le dos des enfants en situation de handicap ça me dégoûte. »

La priorisation de sociétés de transport nationales précarise les salariés des sociétés locales comme Christophe Mouaki.

Assis aux côtés des mères de famille, Christophe Mouaki apporte son témoignage en tant que transporteur. Lui qui a noué des liens avec ces enfants en situation de handicap, regrette cette nouvelle prise en charge du transport :

« Le règlement d’avant était humain : les rotations méridiennes étaient possibles, on s’adaptait au planning de l’enfant et ça soulageait les parents. Désormais, ce sont aux familles de s’habituer aux transporteurs. Le taxi vient les chercher à 8h et les ramène à 17h alors que certains jeunes n’assistent parfois qu’à deux heures de cours en raison de leur handicap et devraient pouvoir rentrer chez eux dès 10h. Ils errent dans l’établissement en attendant qu’on vienne les chercher. Ça n’a plus aucun sens. »

Nassera, la mère du jeune Naïm regrette la situation de l’année passée : « On avait des transporteurs et ça marchait très bien. Ils m’aidaient au quotidien et mon fils appelait son chauffeur tonton. Il y avait un lien humain et la CeA nous a retiré ce lien », s’exclame-t-elle. Si la mère du jeune Naïm a finalement obtenu un taxi pour son fils, de nombreuses familles luttent encore.

L’élue communiste Fleur Laronze et les élus écologistes Ludivine Quintallet et Damien Fremont accusent l’exécutif de la CeA de fuir ses responsabilités auprès des enfants handicapés.

Un barrage administratif

Afin d’obtenir une autorisation de transport, les familles doivent faire un recours auprès de la Collectivité d’Alsace. Une charge administrative importante, difficilement surmontable pour certains parents, qui ne parlent ou n’écrivent pas toujours très bien le français. Nassera explique avoir reçu des appels de mères de famille désemparées devant la paperasse à remplir. Pour l’élue communiste Fleur Laronze, ce barrage administratif est volontaire de la part de l’exécutif de la CeA :

« Les familles ont été mises devant le fait accompli, le nouveau règlement a été pensé sans concertations avec les familles. Plusieurs d’entre elles ne sont toujours pas au courant qu’elles doivent faire un recours pour espérer obtenir un transport pour leurs enfants. La CeA compte sur le fait que les familles ne fassent pas les démarches administratives pour obtenir un transport ou un remboursement et faire des économies. Ils ont volontairement rendu la demande de transport plus contraignante. »

Sur le fil – Reunalla : trois regards sur la Finlande à La Chambre

Sur le fil – Reunalla : trois regards sur la Finlande à La Chambre
Aino Väänänen et Kemijoen jäällä sur la rivière Kemijoki

La galerie La Chambre expose trois jeunes photographes finlandais, qui emmènent le public dans ce pays nordique « sur le fil » des enjeux géopolitiques entre l’Europe et la Russie.

La Chambre a réuni trois jeunes photographes finlandais pour la première exposition de la saison 2025 – 2026, intitulée Sur le fil – Reunalla, visible jusqu’au dimanche 16 novembre. Leurs images forment un récit personnel et singulier de leur pays avec des langages visuels différents. En partant des terres boisées, le public s’acclimate à l’austérité des lieux mais également à la communion de leurs histoires. Tour à tour, les artistes révèlent une Finlande différente, construite tel un puzzle dont les pièces sont assemblées les unes aux autres au moyen des photographies de Venla Kaasinen, Aino Väänänen et Henri Airo.

Venla Kaasinen – Récits enchantés

Le long d’un cours d’eau, à l’orée d’un bois, dans les herbes hautes d’une prairie – un à un, ces milieux deviennent les gardiens des récits intimes d’inconnus, dont Venla Kaasinen s’inspire. La série photo This place is many, murmure les souvenirs partagés de leurs hôtes. L’artiste ne les soustrait pas de ces précieux moments, elle redonne vie à leurs histoires en les ramenant dans l’environnement qui les a vu naître.

Dès l’entrée dans la première salle, la douceur des images ralentit les mouvements, entraînant dans une lente déambulation. Le rationnel se mêle au mystique dans une agitation sans pareille, transformant les espaces capturés par l’objectif en refuges d’instants secrets. Lors du tirage, les prises de vue sont altérées par l’usage d’éléments végétaux prélevés dans les zones photographiées. L’eau et la matière organique récoltées se changent en support d’impression faisant émaner des couleurs dissous, un nouvel écosystème. Ainsi, les œuvres de Venla Kaasinen deviennent les vestiges de poésies tant physiques que psychiques, et diffusent la présence de leurs orateurs au sein de la galerie.

Kätkössä, Tässä paikassa on monia, 2023.Photo : Venla Kaasinen, série This place is many

Aino Väänänen – Pour une double temporalité

L’île d’Hailuoto, située au nord de la Finlande, modèle les paysages d’enfance d’Aino Väänänen. In Shallow Waters I Walked est un retour à son histoire personnelle dans laquelle la décomposition des décors présentés fait frémir. Dans cette série photographique, l’artiste se confronte aux rapports de coexistence entre les habitants et la nature environnante. Scindés en deux formats de présentation, les tirages noir et blanc se dispersent sur les panoramas aux couleurs ternes, nous laissant seuls face à la rudesse de ces prises de vues.

Tantôt, à la verticale, tantôt à l’horizontale, les cadres s’intervertissent et créent un mouvement decrescendo de par ces orientations variées. L’angle adopté par la photographe procure un balancement entre les souvenirs féeriques qu’elle gardait et ce qu’elle tente de nous montrer maintenant : la persistance de relations ténues entre les insulaires et le caractère impétueux d’une nature aride. 

Sur les murs, se poursuit la seconde série intitulée Vanishing Point. Dans une exploration du grand Nord, Aino Vänäänen se rend au cercle polaire arctique afin de sauvegarder les changements drastiques d’un écosystème fragile. Baignés d’une lumière évanescente, les paysages s’harmonisent sous les tonalités d’une palette chromatique aux tons pastels. Derrière ce semblant de prospérité, se dissimule l’épuisement des trois aspects de la vie : humaine, industrielle et naturelle. Armée de son appareil comme unique compagnon de route, l’artiste tente de faire perdurer les instants éphémères d’une région en péril.

Photo : Aino Väänänen, Vanishing Point, 2020

Henri Airo – Archivage coloré

La traversée de la galerie s’achève auprès d’Henri Airo et de son ensemble War is a disaster. Par le médium photographique, l’artiste dresse des portraits, des paysages et des intérieurs qu’il accompagne de textes dans une composition murale diffractée. La mise en scène nous rappelle les installations sophistiquées des institutions culturelles, notamment par la présence de vitrines suspendues et d’écrits tapuscrits. De cela découle un accrochage aux allures d’inventaire au sein duquel l’artiste met en relation son expérience militaire personnelle avec les mémoires collectives finlandaises. 

Auparavant habitué à une sobriété des affichages, le public se retrouve face à une source d’informations dense tant par l’éclatement des tirages dans l’espace que par leurs encadrements colorés. L’artiste dévoile une Finlande attachée à la forte présence militaire sur son territoire, coutume partagée et transmise de génération en génération. Lui-même engagé dans un service obligatoire durant sa jeunesse, Henri Airo montre la persistance de ces images de guerre dans un environnement cérémonial et intime. Le jaune, le vert, le rouge, le bleu s’organisent dans un mélange ordonné, désorientant notre contemplation habituellement linéaire des photographies. Le travail de l’artiste permet au regard de serpenter entre les lignes écrites et les surfaces imprimées dans un geste frénétique auquel nous prenons goût.

Photo : Henri Airo, War is a Disaster
#Finlande

La suspension du congé de santé gynécologique confirmée en appel

La suspension du congé de santé gynécologique confirmée en appel
L’entrée de la cour administrative d’appel à Nancy.

La cour administrative d’appel de Nancy a confirmé la suspension du congé gynécologique de la Ville de Strasbourg. Une décision au fond est toujours attendue mais les agentes victimes de règles douloureuses ne peuvent plus en bénéficier.

Comme c’était prévisible, la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé mercredi 16 octobre la suspension du congé de santé gynécologique mis en place par la Ville de Strasbourg. Cette suspension avait été ordonnée en juin par le tribunal administratif de Strasbourg, à la demande de la préfecture du Bas-Rhin.

La Ville et l’Eurométropole de Strasbourg avaient demandé un sursis à exécution, afin de permettre aux agentes victimes de règles douloureuses de continuer de bénéficier d’autorisations spéciales d’absence. Mais la cour administrative d’appel estime qu’il n’y a pas lieu de douter des jugements du tribunal administratif en l’état de l’instruction. « Ces deux arrêts présentent un caractère provisoire », précise la cour dans son communiqué, « la cour se prononcera ultérieurement au fond sur les appels de la Ville de Strasbourg et de l’Eurométropole ».

Au Auchan d’Illkirch, deux heures de grève pour des années de pression

Au Auchan d’Illkirch, deux heures de grève pour des années de pression
Ils ne sont qu’une vingtaine devant le Auchan d’Illkirch pour dénoncer des conditions de travail de plus en plus difficiles.

Jeudi 16 octobre, une vingtaine de salariés d’Auchan Illkirch ont débrayé deux heures pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Ils décrivent un quotidien sous pression, la santé qui lâche et des fins de mois difficiles.

Il est 10h, une vingtaine de salariés en grève se tiennent au pied de la façade vitrée d’Auchan d’Illkirch. Les caddies des clients défilent devant les drapeaux de la CGT. Cette grève, ou plutôt ce débrayage, ne dure que deux heures, pas plus. Pour ces employés, chaque heure payée compte à la fin du mois. 

« On se mobilise contre les licenciements, les salaires toujours en berne et une pression systématique exercée sur les salariés », résume Frédéric, délégué syndical CGT et gestionnaire du rayon vin depuis 27 ans. Sur le site d’Illkirch, 5 000 m² vont disparaître avec les travaux en cours, passant de 14 000 à 9 000 m². « Qui dit surface en moins dit salariés en moins. Par exemple, le rayon hi-fi sera supprimé et une partie des salariés ne sera pas remplacée », explique Frédéric. 

Frédéric : « Avant, chacun avait son poste, maintenant tout le monde doit savoir tout faire. C’est un vrai stress en plus pour les salariés. »

Alors que des dizaines d’employés travaillent de l’autre côté des portes automatiques, ils sont bien peu à dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail et le climat délétère qui s’est installé au sein du magasin. À quelques dizaines de mètres du rassemblement, la direction est elle aussi de sortie. Elle scrute la scène sans un mot.

2 389 licenciements

S’ils se sont réunis le jeudi 16 octobre, c’est aussi pour dénoncer le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) lancé depuis quelques mois par Auchan, menaçant les emplois de 2 389 salariés à travers le pays. Si le tribunal administratif de Lille a rejeté le PSE le 23 septembre 2025, après un recours de la CGT, le groupe Auchan a fait appel.

À cette incertitude s’ajoute la volonté de l’entreprise de franchiser ses magasins. Une perte de pouvoir supplémentaire pour les salariés, comme l’explique Christophe, élu CGT et employé de l’hypermarché depuis 30 ans :

« Les accords de travail seront alors faits magasin par magasin, selon le bon vouloir des nouveaux propriétaires. Ce fonctionnement isole les salariés des magasins les uns des autres. Tout cela réduit la force syndicale. »

En deux ans, le regroupement Auchan Strasbourg sud est passé de 504 à 437 salariés.

Quelques collègues profitent de leur pause pour apporter un bref soutien au groupe. Ils n’ont le droit qu’à 3 minutes de pause par heure travaillée, soit 21 minutes pour souffler dans leur journée de sept heures.

« C’est la pression sur le long terme qui fait craquer »

Chez Auchan, un bon salarié doit être « polycompétent », rappelle Christophe :

« Les salariés doivent être en mesure de tout faire. Avant, on avait le temps de bosser et d’entretenir correctement notre poste. Maintenant on court partout. Par exemple, moi qui bosse au rayon liquides, je dois parfois aller bosser une heure au rayon droguerie pour dépanner. »

Une grande source de stress pour ces travailleurs qui sont à bout. Au rayon crèmerie, Maxime travaille depuis bientôt deux ans sous pression :

« Les managers poussent constamment pour accélérer la cadence, mais on ne peut pas faire plus. Eux-mêmes sont poussés par la direction. C’est une pyramide qui part de tout en haut. Moi, je ne me laisse pas faire, mais certains se font constamment surcharger. J’ai une collègue sous antidépresseurs. On ne nous crie pas dessus, mais c’est la pression sur le long terme qui fait craquer. »

Maxime : « On est motivé pour travailler. Mais on ne peut pas faire le boulot de trois personnes tout seul. »

Santé mentale mise à mal

Derrière Maxime, un petit groupe liste les « erreurs impardonnables » aux yeux de leurs supérieurs. « Quand on fait bien notre boulot, on n’a le droit à rien. Mais à la moindre erreur, on en prend plein la gueule », lâche Pauline, pleine de colère. 

L’une de ses missions est de mettre en rayon les marchandises avant l’ouverture, entre 4h et 8h. Selon ses calculs, elle déplace parfois jusqu’à deux tonnes de produits dans la matinée. À 27 ans, elle a déjà des problèmes de dos récurrents. Sa santé mentale est elle aussi affectée :

« J’ai retapé une dépression récemment. J’en ai parlé à la direction, mais la santé mentale ce n’est pas leur problème visiblement. On m’a répondu qu’il fallait bien du monde pour travailler. Ils tirent sur la corde, à un moment ça pète. »

Les salariés regrettent d’être un si petit nombre à défendre leurs conditions de travail.

Des primes dérisoires

Au rayon boulangerie, Virginie, ex-hôtesse de caisse, témoigne de ses difficultés financières. « Les salaires, c’est le Smic. Personnellement, j’ai du mal à payer le loyer. Après ça, le compte est vide à la fin du mois. » Ce qui l’exaspère le plus, c’est la « prime de progrès » versée tous les trois mois aux salariés. « La dernière reçue était de 11€ », soupire-t-elle. « 12€ pour moi, renchérit Maxime. Ils peuvent se la garder leur prime. »

Lorsqu’elle était hôtesse de caisse, les horaires irréguliers de Virginie l’ont fatiguée. En première ligne face à l’irrespect des clients, les insultes répétées l’ont conduite au burn-out. Elle travaille désormais en tant que conseillère de vente au rayon boulangerie. Ce changement de poste lui permet d’être plus sereine.

Virginie : « Je me suis déjà faite insulter de “pute” et de “connasse” par des clients parce que je ne pouvais pas leur appliquer une promotion. »

À l’origine de cette pression et de ces primes dérisoires, un chiffre d’affaires en baisse pour Auchan. Un « management toxique » selon Frédéric, délégué syndical : 

« C’est sournois parce que le plan de licenciement se fait aussi de manière discrète. La moindre petite faute amène à un licenciement. Un climat anxiogène terrible s’est installé, avec du management toxique. Les gens ont peur de mal faire, et à force de stress, ils finissent par faire mal. Derrière, le couperet tombe directement. »

À midi, les drapeaux se replient. Les salariés s’apprêtent à regagner leurs postes. La direction est toujours là, impassible, à quelques mètres.

#plan de sauvegarde de l'emploi

Au bloc opératoire de l’hôpital de Sélestat, les infirmières moins payées qu’à Colmar

Au bloc opératoire de l’hôpital de Sélestat, les infirmières moins payées qu’à Colmar
Le personnel du bloc opératoire de l’hôpital de Sélestat a fait grève pendant une heure pour ne pas perturber la permanence des soins.

À travail égal, les infirmières du bloc opératoire de l’hôpital de Sélestat sont moins payées que leurs collègues de Colmar. Mardi 14 octobre, elles ont fait grève pour demander une revalorisation salariale et dénoncer un manque de reconnaissance de leur direction.

Blouses nouées dans le dos, masques sur le nez et charlottes serrées sur les cheveux, une vingtaine de silhouettes bleues se sont réunies mardi 14 octobre devant les bureaux de la direction du Groupe hospitalier Sélestat-Obernai (GHSO). Les deux tiers des infirmières du bloc opératoire sont en grève, soutenues par le syndicat Force ouvrière. Et la dizaine d’autres infirmières absentes du rassemblent assurent la permanence des soins, mais elles soutiennent aussi le mouvement selon les militantes. Toutes dénoncent les promesses non tenues d’une direction frileuse de revalorisations salariales.

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Hommage vendredi aux victimes du 17 octobre 1961

Hommage vendredi aux victimes du 17 octobre 1961
Lors d’une manifestation en hommage aux victimes de la police française le 17 octobre 1961 à Paris.

64 ans après la sanglante répression des manifestations du 17 octobre 1961, une commémoration est organisée à Strasbourg. Les organisateurs souhaitent rappeler l’importance de la lutte contre le racisme et le colonialisme.

« Un crime d’État qu’on n’oublie pas ! » Vendredi 17 octobre, à 17h30, une commémoration du massacre du 17 octobre 1961 est organisée à Strasbourg, au pont du Corbeau, à l’appel du collectif D’Ailleurs nous sommes d’ici (DNSI 67) et d’une trentaine d’organisations locales. Après un lancer de fleurs à la mémoire des victimes et des prises de parole, le cortège rejoindra la place du 17 octobre 1961, située au croisement de la rue de la Douane et de la rue de la Division Leclerc.

Pour les organisateurs, il s’agit de rappeler qu’il y a 64 ans, la police parisienne, placée sous l’autorité du préfet Maurice Papon, a réprimé une manifestation d’Algériens pour l’indépendance, dans un contexte de couvre-feu racialisé. Le nombre exact de morts demeure discuté par les historiens, les estimations les plus hautes allant jusqu’à 200 morts. Mais les témoignages convergent sur la brutalité de la répression policière, de nombreux manifestants ayant été jetés dans la Seine.

Contre l’oubli d’un crime colonial

Le rendez-vous strasbourgeois emprunte un parcours chargé de symboles, rappelle Tonio Gomez, porte-parole du collectif DNSI 67 :

« La place du 17 octobre 1961 a une importance toute particulière pour nous. Nous l’avons obtenue après un an de discussions avec la Ville, sous Roland Ries (PS), qui a finalement donné son accord pour nommer la place. Un pas important dans la reconnaissance publique de cette répression sanglante. »

Pour les organisateurs, il est nécessaire de demander à la France de rendre des comptes sur un « crime colonial d’État » qui n’est toujours pas reconnu comme tel. « Maintenir la mémoire est indispensable dans le combat contre le racisme et le fascisme », rappelle Tonio Gomez.

En crise, la clinique Saint-François ferme deux centres de soins et son activité d’oncologie

En crise, la clinique Saint-François ferme deux centres de soins et son activité d’oncologie
Entrée de la clinique Saint-François à Haguenau.
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#clinique Saint-François

Au bout d’une vie de violences et d’appels à l’aide, les coups de couteau de Nicolas

Au bout d’une vie de violences et d’appels à l’aide, les coups de couteau de Nicolas

Dimanche 28 septembre, Nicolas est mort des blessures qu’il s’est infligées après avoir agressé au couteau une professeure du collège de Benfeld. C’est l’issue dramatique d’une vie faite de violences et de prises en charge défaillantes par les institutions de l’État.

« Nicolas, c’est l’un des parcours les plus difficiles que j’ai pu connaître. » Cet éducateur a bien connu le garçon de 14 ans qui a porté plusieurs coups de couteau au visage d’une enseignante du collège de Benfeld. Employé de la protection de l’enfance, il sait les souffrances endurées par l’adolescent. Cette violence subie, le collégien la reproduisait contre lui-même et contre les autres. Régulièrement. Jusqu’au drame du mercredi 24 septembre. Après avoir agressé une professeure de musique, Nicolas s’est porté plusieurs coups de couteau au cou. Il est mort dans la soirée du dimanche 28 septembre. Pour l’éducateur, « l’histoire de Nicolas, c’est surtout un échec pour l’État, l’aide sociale à l’enfance, l’Éducation nationale et la société française en général. »

« Nicolas ne dormait que quelques heures par nuit. Tout habillé. Souvent, la lumière allumée et les baskets au pied du lit »

Nicolas Schwob, ancien veilleur de nuit

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Face à une agression au couteau commise par un collégien, Rue89 Strasbourg refuse de ne voir qu’un fait divers. Suite au décès du garçon de 14 ans, nous avons entrepris un long travail d’enquête. Loin d’excuser la terrible agression d’une enseignante, il s’agissait de reconstituer le parcours de Nicolas jusqu’à ce mercredi 24 septembre et ce moment où il porte des coups de couteau à une professeure de musique avant de retourner l’arme blanche contre lui. Cette investigation a duré près de trois semaines. Elle a mobilisé deux journalistes pour parvenir à ce portrait. Nous estimons qu’il interroge utilement le fonctionnement des institutions face au mal-être d’un enfant traumatisé par les violences et l’abandon.

Si une telle démarche vous paraît d’utilité publique, n’hésitez pas à rendre d’autres enquêtes possibles en vous abonnant à Rue89 Strasbourg. C’est d’autant plus le moment qu’une promotion commence ce mercredi 14 octobre.

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Florian Kobryn et Halima Meneceur en tête de la liste de La France insoumise à Strasbourg

Florian Kobryn et Halima Meneceur en tête de la liste de La France insoumise à Strasbourg
Emmanuel Fernandes, Lisa Farrault, Florian Kobryn et Halima Meneceur chantent le refrain de l’Internationale.

L’assemblée communale de La France insoumise à Strasbourg a désigné Florian Kobryn et Halima Meneceur pour conduire la liste du mouvement de gauche radicale aux élections municipales. Le premier est conseiller départemental tandis que la seconde est engagée dans l’éducation populaire.

Une centaine de militantes et de militants de La France insoumise (LFI) ont annoncé mardi 14 octobre au Foyer de l’étudiant catholique avoir désigné un binôme de candidats aux élections municipales de Strasbourg. Il s’agit de Florian Kobryn, 36 ans, conseiller d’Alsace d’opposition, et de Halima Meneceur, 43 ans.

Ils ont été choisis par « l’assemblée communale » du mouvement au terme d’un processus de désignation au cours duquel le nombre de candidats n’a pas été rendu public. Emmanuel Fernandes, député LFI de la 2e circonscription du Bas-Rhin et un temps pressenti pour être candidat, s’est affiché comme « le premier soutien » de Florian Kobryn qu’il a qualifié « d’exemple chimiquement pur de l’insoumission » et de Halima Meneceur. En marge de l’annonce, Emmanuel Fernandes a indiqué être « pleinement investi dans [son] mandat de député ».

Halima Meneceur a fondé le « groupe d’action » de LFI à Hautepierre et elle a travaillé comme animatrice ou coordinatrice dans les centres socio-culturels de Hautepierre, Port du Rhin, Meinau, Neuhof et Robertsau. Directrice de projets à la coopérative d’éducation populaire Cab4n, elle a indiqué dans son discours de désignation vouloir « lutter contre les discriminations » et s’investir « pour améliorer le cadre de vie » des habitants de Strasbourg :

« Une mairie insoumise sera une mairie engagée sur le plan international, en lutte contre le génocide palestinien et pour le respect du droit international. Cette boussole, si nous la perdons, nous risquons de perdre notre humanité. »

Origine polonaise et homosexualité

Halima Meneceur dit vouloir agir « à notre échelle avec une écologie populaire et non punitive », reprenant ainsi un vocable utilisé à droite pour discréditer l’action des élus écologistes. « La justice sociale est au cœur de notre programme », a-t-elle indiqué. Puis elle a prévenu : « L’union ne se fera jamais au détriment des plus vulnérables. »

De son côté, Florian Kobryn est revenu sur ses origines polonaises pour rappeler que c’est grâce à l’école de la République qu’il avait pu devenir « ingénieur des ponts et chaussées ». Aujourd’hui, Florian Kobryn est responsable des décors du Théâtre national de Strasbourg. Conseiller d’opposition à la Collectivité européenne d’Alsace, Florian Kobryn a mentionné son homosexualité pour rappeler « à quel point il est nécessaire pour les personnes concernées de s’organiser pour défendre leurs droits » :

« Plus qu’aucune autre ville, Strasbourg doit incarner la devise européenne : unie dans la diversité. La mobilisation populaire permettra la redistribution des richesses, la planification écologique et le développement des services publics. »

Les premiers éléments du programme pour Strasbourg de La France insoumise, construit par les militants depuis plusieurs années, seront communiqués plus tard.

À Schiltigheim, des parents d’élèves mobilisées pour deux enfants de 2 et 4 ans à la rue

À Schiltigheim, des parents d’élèves mobilisées pour deux enfants de 2 et 4 ans à la rue
Elles sont une petite dizaine réunies devant la grille de l’école pour alerter les parents sur cette situation dramatique.

Des parents d’élèves ont organisé une collecte ce 13 octobre devant une école de Schiltigheim pour une famille dont deux enfants dorment à la rue. Entre cagnotte et alertes aux autorités, elles veulent obtenir une mise à l’abri rapide et durable.

« Dans cette école, des enfants sont SDF ». Lundi 13 octobre, 16h15, la banderole s’étire devant l’école maternelle Joséphine Baker à Schiltigheim. Sur une table, des gâteaux à prix libre pour remplir une cagnotte. Elle est destinée à loger temporairement la famille de deux élèves de deux et quatre ans vivant à la rue.

La famille ne souhaite pas s’exposer. « Par pudeur et par crainte, expliquent les mères mobilisées. Mais avec leur accord, on agit. Ils nous remercient beaucoup. » Après avoir appris que ces enfants étaient à la rue, un groupe de parents d’élèves s’est constitué en quelques jours. Majoritairement des mères, elles sont une dizaine présentes pour alerter les autres parents qui viennent chercher leurs enfants. Samira Talbi, tête de liste aux élections des parents d’élèves, raconte :

« On a contacté la mairie de Schiltigheim, la préfecture, la Collectivité européenne d’Alsace. Pour l’instant, chacun renvoie vers l’autre et nous n’avons pas eu de réponse satisfaisante. La Ville de Schiltigheim s’est dite ouverte à la discussion. Nous avons rendez-vous mercredi 15 octobre avec la maire, Danielle Dambach, et la direction de l’école. On espère un déclic. »

« Loger les familles à la rue, c’est d’abord la responsabilité de l’État. Les mairies sont souvent démunies », analyse Christelle, une enseignante. En effet, l’État a le budget et théoriquement l’obligation légale d’héberger les personnes vulnérables quelle que soit leur situation administrative. En attendant, le collectif a créé une cagnotte en ligne pour financer un logement d’urgence afin de mettre la famille à l’abri alors que le froid arrive.

Une école solidaire face à l’urgence

Les parents présents décrivent le même scénario. La famille a tenté des appels au 115, le numéro pour demander un hébergement d’urgence. Mais systématiquement elle a subi des refus pour manque de place, malgré deux enfants en bas âge. Christelle s’indigne :

« Face au manque de moyens, la seule “solution” qui leur est proposée c’est finalement un retour dans leur pays d’origine. Mais s’ils sont venus jusqu’ici, c’est qu’ils ont de bonnes raisons de ne pas vouloir y retourner. »

À l’heure du goûter, les élèves s’amassent autour du stand de gâteaux et glissent un billet dans la cagnotte pour soutenir leurs camarades.

Céline Iltis, directrice de l’établissement, soutient l’initiative des parents d’élèves. Elle est présente à la sortie de l’école « en tant que citoyenne et en dehors des heures d’ouverture », pour respecter la neutralité institutionnelle. Elle rappelle néanmoins que l’école a un devoir d’alerte :

« Notre premier rôle, c’est la protection de l’enfant. Nous garantissons sa sécurité sur le temps scolaire, mais nous ne pouvons pas rester indifférents à ce qui les met en danger hors de l’école. Quand une famille nous fait confiance et met des mots sur ses difficultés, c’est aussi à nous d’alerter. »

Certains parents évoquent, en dernier recours, l’occupation de l’école pour loger en urgence la famille si la situation n’évolue pas. Dans l’Eurométropole, de nombreux établissements ont été occupés lors de l’année scolaire 2024-2025, ce qui a permis l’hébergement de familles.

Une crise qui dépasse la grille de l’école

À Schiltigheim, des parents de l’école Exen Schweitzer s’étaient par exemple mobilisés pour loger deux familles sans-abri. Par ailleurs, en juin 2025, la commune a été marquée par la mort de Spartaki Zurasdzma, 52 ans, décédé dans sa tente à l’entrée de la ville. « Des familles à la rue, il y en a des dizaines et des dizaines à Schiltigheim et à Strasbourg, affirme la directrice. Mais ça ne se voit pas toujours, ce n’est pas écrit sur leur front. »

« On n’a pas la prétention de résoudre la crise du logement, rappelle une mère d’élève en coupant des parts de gâteau. Mais on refuse l’idée que des élèves de notre école dorment dehors sans que rien ne bouge. »

Retrouvez nos meilleures enquêtes en librairie

Retrouvez nos meilleures enquêtes en librairie

Trois enquêtes majeures de Rue89 Strasbourg sont désormais disponibles en livrets, à retrouver dans les principales librairies de Strasbourg.

Média d’enquêtes et d’actualités, Rue89 Strasbourg publie chaque jour des informations pour permettre aux Strasbourgeois et aux Strasbourgeoises de se former sur les enjeux locaux. Mais des grands feuilletons qui se déclinent sur des années, comme l’enfouissement des déchets ultimes à Stocamine, peuvent être difficiles à suivre, voire rebuter les néo-strasbourgeois.

C’est pourquoi nous avons retravaillé trois dossiers majeurs de ces dernières années, pour proposer un socle à celles et ceux qui ont suivi de loin ces actualités et voudraient disposer de l’essentiel, dans des livrets qui se lisent en une quinzaine de minutes. Nous avons confié nos enquêtes à un journaliste-éditeur, Baptiste Cogitore, qui a travaillé sur les textes pour en supprimer les éléments éphémères et mettre en évidence les éléments structurants. La mise en page a été confiée à Tanguy Chêne, qui a développé un déroulé des contenus engageant et confortable.

Agriculture alsacienne et pesticides : une histoire d’amour empoisonnée

L’eau, l’air et les sols d’Alsace sont largement contaminés aux pesticides et aux molécules issues de leur dégradation : les métabolites. Les habitants d’une trentaine de communes sont particulièrement exposés à ces substances toxiques qui se déposent partout dans l’environnement. De l’Alsace à la Meuse, plus de 250 captages d’eau potable sont déjà dégradés par l’agriculture intensive. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment nous alimenter localement tout en préservant notre eau potable ?

Par Guillaume Krempp et Thibault Vetter

Incinérateur des déchets de Strasbourg : le dossier toxique de l’Eurométropole

L’incinérateur de l’Eurométropole de Strasbourg, géré par l’entreprise
Sénerval, brûle en moyenne 300 000 tonnes d’ordures ménagères chaque année. Mais depuis 2015, les problèmes s’accumulent : exposition des ouvriers à l’amiante et à des cendres cancérigènes, vétusté des installations, émissions polluantes excessives… À l’abri des regards, au fond du Port du Rhin, la gestion de l’usine d’incinération pose question, tant sur le plan sanitaire qu’environnemental.

Par Guillaume Krempp

De la rue à la rue : la galère sans fin des sans-abris strasbourgeois

À Strasbourg, les campements sauvages des personnes sans-abris sont souvent bien visibles. Après chaque démantèlement, ils finissent par réapparaître, ailleurs ou au même endroit. Au rythme des expulsions successives, on retrouve parfois les mêmes visages sous de nouvelles tentes. L’État est censé fournir un hébergement à toutes les personnes qui le demandent. Mais de plus en plus, il assume renoncer à cette obligation légale, laissant des familles, des malades, des personnes isolées, en errance dans la rue.

Par Camille Balzinger et Thibault Vetter

Une dizaine de librairies partenaires

Une dizaine de librairies strasbourgeoises ont accepté de mettre ces livrets en rayons, que nous remercions pour leur confiance. Les livrets sont disponibles aux adresses ci-dessous, au prix de 7 euros.

L’ensemble de cette production, écriture, édition, relectures, graphisme et impression, a été réalisée à Strasbourg.

Les succès d’une mobilisation contre l’insalubrité de deux tours à Lingolsheim

Les succès d’une mobilisation contre l’insalubrité de deux tours à Lingolsheim
Dans deux tours du bailleur Batigère à Lingolsheim, de nombreux habitants devaient vivre avec d’impressionnantes moisissures dans leur logement.

La Confédération syndicale des familles a visité les 120 logements de deux tours particulièrement délabrées à Lingolsheim en février. Face aux constats irréfutables d’insalubrité et l’exposition médiatique, le bailleur Batigère a commencé un plan d’actions qui suit son cours cet automne.

Moisissures imposantes, chauffages défectueux, fuites d’eau régulières. La Confédération syndicale des familles (CSF) avait répertorié, pendant l’hiver 2025, une impressionnante liste de troubles dans plusieurs dizaines d’appartements de deux tours au 11 rue du Général-de-Gaulle, à Lingolsheim. Le bailleur social, Batigère, avait expliqué ne pas avoir connaissance de ces situations, notamment parce que les locataires ne les lui signalaient pas et qu’ils ne lui ouvraient pas la porte.

Le syndicat avait prouvé le contraire en entrant dans tous les appartements, et avait permis une libération de la parole des habitants sur leurs conditions de vie dans des logements parfois insalubres. Comme d’autres médias locaux, Rue89 Strasbourg avait réalisé un reportage sur cette opération et avait pu entrer dans des appartements, exposant au grand public des éléments non réglementaires. Beaucoup de personnes rencontrées sur place rapportaient qu’elles tentaient souvent d’alerter leur bailleur sans qu’il y ait de suites.

Batigère face à des éléments nombreux et concrets

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« Je suis coincé derrière ma fenêtre à rêver », Ryad raconte l’isolement des personnes handicapées

« Je suis coincé derrière ma fenêtre à rêver », Ryad raconte l’isolement des personnes handicapées
Passionné de théâtre et de cinéma, Ryad espère un jour réaliser un film sur le quotidien des personnes en situation de handicap.

À 22 ans, Ryad Besseghir a quitté le domicile familial pour vivre dans un studio adapté à son handicap à Strasbourg. Une étape vers l’indépendance, qui ne suffit pas à combler le vide laissé par l’absence d’activités et de vie sociale.

Installé dans son fauteuil roulant qu’il dirige de sa main droite, Ryad Besseghir se déplace de la chambre à la cuisine de son appartement. En emménageant dans ce studio adapté à son handicap, le jeune homme de 22 ans a gagné en indépendance. Mais entre ces murs, il habite seul, tributaire de l’aide d’auxiliaires de vie, sans travail ni projet d’avenir.

Comme Ryad, en France, plus d’un million de personnes en situation de handicap souffrent de solitude. « Habiter dans cet appartement, n’est qu’une illusion de la normalité », constate sa mère, Dalila Besseghir.

Ryad est né avec une infirmité motrice cérébrale. Son cerveau a manqué d’oxygène pendant la grossesse de sa mère, affectant certaines de ses fonctionnalités. Le raidissement de ses muscles l’empêche de marcher, d’utiliser son bras et sa main gauche et provoque des difficultés d’élocution. « Il ne peut ni se doucher, ni aller aux toilettes, ni préparer un repas seul », précise Dalila.

Prendre son indépendance

En 2023, le jeune homme s’installe dans un Habitat adapté inclusif (HAI) dans le quartier de Koenigshoffen à Strasbourg. Géré par l’association Arasc, l’immeuble dispose de studios adaptés aux personnes en situation de handicap. Ryad y habite quatre jours par semaine et rentre chez ses parents à Illkirch-Graffenstaden pour le week-end.

La Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) l’orientait davantage vers un Foyer d’accueil médicalisé (FAM), au vu de son handicap. Mais pour sa mère, il en était hors de question :

« Ces foyers sont des établissements fermés où tout tourne autour du handicap. Il n’y a aucune ouverture sur l’extérieur, aucune mixité, aucune inclusion dans la société. Ils restent entre eux. »

Le retour à domicile permanent n’était pas non plus une option. Dalila aurait dû quitter son travail de responsable de formation auprès de jeunes en alternance. « De toute façon, au quotidien, on ne se serait pas supportés », plaisante Dalila, en lançant un regard complice à son fils. Pour elle, l’HAI était la meilleure alternative :

« Cet habitat lui donne de la liberté. Il peut décider d’entrer et de sortir quand il veut, il peut faire ses courses et choisir ce qu’il veut manger. Il est accompagné par des auxiliaires de vie, mais il reste plus indépendant que dans un foyer d’accueil médicalisé. C’était important pour Ryad d’avoir son propre studio, mais ça ne suffit pas encore pour avoir une vie équilibrée. »

Ryad vit seul dans son appartement mais bénéficie de l’aide d’auxiliaires de vie pour se doucher ou cuisiner.

Ennui et solitude

Ne disposant pas d’une mobilité suffisante pour travailler en Établissement et service d’accompagnement par le travail (ESAT) comme d’autres personnes en situation de handicap, Ryad n’a pas d’activité pour occuper ses journées. Concentré sur l’articulation de chaque mot, le jeune homme détaille lentement à quoi ressemble son quotidien. Assise à ses côtés, sa mère intervient ponctuellement pour expliciter certaines phrases parfois difficilement compréhensibles :

« Le lundi matin, je vais chez le kiné. L’après-midi, je fais les courses et je prends une douche. Le mardi je n’ai rien de prévu. Je regarde la télé et je réfléchis à ma vie mais moralement c’est compliqué de rester seul sans aucune perspective ou objectif concret. »

Même ennui le mercredi. Dans cet appartement spacieux, pensé pour laisser au fauteuil roulant la place de manœuvrer, c’est surtout le poids de la solitude qui résonne.

Un projet ou une activité, aussi minime soit-elle, pourrait faire basculer cette routine monotone. « Dès qu’il doit s’organiser autrement, une activité imprévue ou un rendez-vous décalé, ça casse la routine. C’est dans ces moments-là qu’il se sent vraiment vivre », décrit Dalila.

Manque de mixité

Totalement conscient de son état, Ryad est un garçon « exigent et ambitieux », décrit sa mère. « J’en veux toujours plus », confirme-t-il. Passionné de théâtre, le jeune garçon a rejoint une troupe composée d’autres personnes en situation de handicap. « Ça me permet de m’exprimer autrement et d’extérioriser, mais ça manque encore de mixité », regrette Ryad qui aimerait côtoyer des gens extérieurs au handicap.

Ce n’est qu’à la mosquée, une fois par semaine, que le jeune retrouve un semblant de vie sociale. Il y retrouve Yacine, un étudiant en médecine et ami de la famille. À la mention de ce nom, un large sourire illumine le visage de Ryad. « Quand il vient me voir, je sais qu’il n’est pas là pour faire du social », explique-t-il.

Dalila, 58 ans, a réduit son temps de travail pour trouver de quoi occuper le quotidien de son fils. Photo : Line Baudriller / Rue89 Strasbourg

Depuis près d’un an, ce grand amateur de cinéma s’est lancé sur les réseaux sociaux. De son pseudo, « rymob6713 », il partage sur TikTok et Instagram des vidéos qui expliquent son quotidien pour sensibiliser à l’isolement des personnes handicapées. Son rêve ultime : faire un film à partir de son histoire.

En attendant, avec l’aide de sa mère, il tente de proposer ses services à la mairie pour tester les aménagements pour personnes handicapées dans l’espace public et faire en sorte qu’ils soient plus adaptés aux besoins réels. « J’aimerais bien aussi faire un partenariat avec des marques de vêtements qui proposent des collections adaptées aux handicaps moteurs comme Jules ou Kiabi », continue Ryad qui ne manque pas d’idées.

Mais comme celles-ci ne se concrétisent pas, le jeune homme a du mal à se projeter :

« Je déteste mon anniversaire : ce jour-là, je fais le bilan de ma vie et je pense à tout ce que je voudrais faire. Mais je suis coincé, derrière ma fenêtre à rêver. » 

Difficile pour une mère d’entendre son fils regretter le jour de sa naissance. Dalila ne peut retenir ses larmes. « Je n’arrêterai pas de me battre pour qu’il trouve une occupation et un sens à sa vie », confie-t-elle, la gorge nouée par l’émotion. C’est le combat de toute une famille.

À Neudorf, la librairie l’Indépendante appelle à l’aide pour éviter la fermeture

À Neudorf, la librairie l’Indépendante appelle à l’aide pour éviter la fermeture
Carole Benelhocine compte bien résister pour sauver sa librairie l’Indépendante, en difficultés financières.

Après l’Oiseau rare ou la Tache Noire, c’est désormais la librairie l’Indépendante à Neudorf qui lance un appel à l’aide. Carole Benelhocine, la gérante, a lancé une cagnotte en ligne pour tenter de rembourser une partie de ses dettes.

« Tout a changé ici », s’exclame un client en entrant dans les nouveaux locaux de la librairie l’Indépendante. Acculée par le poids du loyer dans le quartier de Neudorf, au sud-est de Strasbourg, la gérante Carole Benelhocine a dû réduire son espace de vente. Depuis 2023, la librairie l’Indépendante bénéficiait d’un espace de 230 mètres carrés pour exposer ses livres. « On payait 4 800€ par mois. C’était devenu ingérable. Il fallait soit déménager soit fermer », se souvient Carole Benelhocine. En juillet 2025, le bailleur, Habitation Moderne, a accepté de diviser le local en deux, laissant à la libraire l’aile gauche du bâtiment. Une surface de 86 m² pour un loyer réduit à 1 700€. Un déchirement pour Carole qui a dû se séparer de près de la moitié de sa collection :

« Le tri a été dur. On a choisi de garder les nouveautés et surtout les livres que l’on aime le plus. Puisqu’on se revendique librairie indépendante, on se laisse le loisir de sélectionner en fonction de nos goûts et de nos engagements. Mais bien sûr, on a gardé quelques classiques. »

Un loyer insolvable

Pour investir ces anciens bureaux, l’équipe de l’Indépendante a dû casser des murs et en peindre d’autres. Reste encore un faux plafond à installer et des lumières à changer. Au total, les travaux coûteront plus de 17 000€. De l’argent « emprunté à des amis », précise Carole, qui tente aujourd’hui de les rembourser. N’ayant pas la trésorerie nécessaire, la gérante a lancé une campagne de financement participatif sur la plateforme Ulule. L’argent récolté permettrait aussi à la librairie de rattraper ses retards de loyer estimés à 10 000€ et ses dettes envers ses fournisseurs. Mise en ligne début septembre, la cagnotte compte désormais près de 3 900€ de dons.

Les anciens locaux de la librairie l’Indépendante accueilleront prochainement un concept store mêlant café et boutique de décoration. Photo : Line Baudriller / Rue89 Strasbourg

Noël pour s’en sortir

« Une librairie indépendante rentable ? « , s’interroge Carole Benelhocine. Entre la hausse des frais de transport, du coût du papier et surtout la baisse de la consommation, le pari semble perdu d’avance. À l’Indépendante, la gérante sait que les 30% de marge réalisés sur la vente de chaque livre ne suffisent pas. Ils permettent de payer les fournisseurs, le loyer et les deux salariées, mais ne laissent que très peu de réserve. Carole aurait besoin de vendre pour 15 000€ de livres par mois pour être rentable. Soit environ 750 ouvrages à 20€ chacun. Un objectif qui paraît inatteignable. La gérante compte sur la période de Noël pour sortir de cette impasse économique :

« Les fêtes de fin d’année représentent près de 30% de notre chiffre d’affaires à l’année. Si les clients viennent chercher leurs cadeaux chez nous, on devrait s’en sortir. Sinon, ça risque d’être vraiment compliqué. »

Une librairie de quartier

Ancienne salariée du Parti socialiste, Carole Benelhocine s’est reconvertie en libraire en 2021 pour exercer son métier rêvé. Dans la lignée de ses engagements, elle a décidé d’ouvrir une librairie indépendante. Une « forme de résistance », déclare-t-elle, adossée à l’étagère des livres féministes :

« J’ai l’impression de devoir résister en permanence aux difficultés financières et à la concurrence des commandes internet qui sont souvent moins chères et immédiates. Le tout dans un climat global morose où rien ne semble aller dans le bon sens. J’ai juste envie de redonner aux gens le plaisir de lire. »

Installée à Neudorf, la librairie l’Indépendante s’inscrit dans une dynamique de quartier où « les gens lisent et en ont les moyens », affirme Carole. Une clientèle fidèle soutient le commerce en difficulté de peur que le quartier ne perde en vivacité. « Certains nous disent craindre qu’il n’y ait plus que des opticiens et des agences immobilières à Neudorf », s’amuse-t-elle.

La gérante s’interrompt pour conseiller un homme en quête de nouveaux polars régionaux. Les clients déambulent lentement d’une étagère à l’autre, penchant le cou pour déchiffrer les titres verticaux inscrits sur la tranche des livres. En sursis, cette librairie ressemble pourtant à toutes les autres. Endettée, elle mise désormais sur le soutien de sa clientèle pour sauver sa librairie. L’Indépendante n’est pas la seule librairie strasbourgeoise à faire face à des difficultés de trésorerie. En 2023, la Tache Noire, spécialisée dans les romans policiers, appelait déjà sa communauté à l’aide. Même scénario pour l’Oiseau rare ou Le Tigre, sur le quai des Bateliers.

Mirageuse et KYA Universe transforment le déracinement en force musicale

Mirageuse et KYA Universe transforment le déracinement en force musicale
A gauche, Mirageuse. A droite, KYA Universe.

Elles viennent de Guadeloupe et du Cameroun, mais c’est à Strasbourg qu’elles ont fait leurs armes. À travers le rap et le chant, Mirageuse et KYA Universe transforment leurs histoires de déracinement et de doute en force musicale.

La traditionnelle scène ouverte du mardi soir bat son plein aux Savons d’Hélène. Serré autour de la sono, le public du bar est déjà chauffé par les premières prestations. Les conversations s’effacent peu à peu quand monte une voix douce, cristalline. Toute habillée de noir, Mirageuse ferme les yeux, ses longues tresses blondes tombent sur ses épaules. Elle reprend La vie en rose d’Édith Piaf. Le pianiste Fabrice l’accompagne de son doigté subtil, esquissant un large sourire. La jeune artiste est une figure familière des scènes ouvertes strasbourgeoises. Ce soir elle chante, mais il n’est pas rare de la voir rapper lors des soirées de Hip-Hop from Elsass à la Péniche Mécanique ou de Scratchy et La Sauce à la Planque.

Mirageuse : « Avant les scènes parisiennes et bruxelloises, il faut d’abord se faire un nom dans sa propre ville. Pour l’instant, je suis bien dans ma petite région. »Photo : Nicolas Thomas / Rue89 Strasbourg

« J’ai l’habitude de ne pas me sentir à ma place »

Marina Berthely Saha, ou Mirageuse, est née en Guadeloupe. C’est là-bas, à l’église du Moule, qu’elle commence à chanter. Elle arrive en Alsace à l’âge de neuf ans, à Lièpvre puis Colmar. « Mon père, ouvrier soudeur, a été muté en métropole. On était la seule famille noire du coin. On nous dévisageait comme des ovnis », se souvient-elle, entre amusement et amertume. En tant que femme noire, elle grandit avec cette sensation d’être toujours entre deux feux :

« Aux yeux de certains, je suis loin de l’image d’une vraie Française. J’ai souvent eu le droit à des « Tu viens d’où en Afrique ? », « Nan, mais la Guadeloupe c’est pas vraiment la France ». À l’inverse, en Guadeloupe, je ne suis pas considérée comme une vraie Antillaise. Je m’habille et je parle comme les Français de métropole. Je ne parle pas créole, et on me le fait remarquer. Ne pas me sentir à ma place, j’ai l’habitude. »

À 29 ans, elle en rit aujourd’hui, presque par réflexe. Ces épreuves ont renforcé ses convictions afroféministes. Mais dans ses textes, cette douleur revient comme une cicatrice qui ne s’est jamais vraiment refermée.

La musique comme miroir

C’est dans la musique que ces failles trouvent un écho. Son nom de scène, Mirageuse, en dit beaucoup sur les tensions qui la traversent. « Mirage » pour les multiples façons dont elle est perçue, « rageuse » pour la colère qu’elle extériorise au micro quand elle rappe. Dans une pièce de son appartement qu’elle a transformé en petit studio, elle compose un morceau. Les néons roses et jaunes se reflètent sur son survêtement blanc. Autour d’elle s’empilent colis de vêtements, câbles audio et matériel de dessin acheté pendant ses années d’études de graphisme.

Dans la bulle de son studio à domicile, Mirageuse passe des soirées entières à faire de la musique.Photo : Nicolas Thomas / Rue89 Strasbourg

Dans son titre Entre les deux, produit par Theofilm, elle exprime ce sentiment d’être toujours « le cul entre deux chaises ». Rappeuse mais aussi chanteuse, française mais guadeloupéenne, croyante tout en étant bisexuelle, elle se livre à travers les mesures :

« Je me sens pas à ma place, même si le monde est vaste. Pas assez fille pour eux, nan, pas assez mec pour elles. Parfois entre les deux, le cul entre deux chaises. Pas assez blanche, pas assez noire toujours entre deux feux. »

Dans sa quête d’identité, Mirageuse tente de se rapprocher de son île natale. Son prochain single, Pawol, produit par les Studios d’or, sera entièrement en créole. « Ce son rend très fier mon père et ma mère, se félicite-t-elle, plus jeune, ça ne m’intéressait pas d’apprendre la langue. Mais plus je grandis, plus je comprends qu’il faut que j’assume toutes les facettes de ma personnalité. Je m’approprie enfin cette part antillaise. »

Refuser de choisir

Dans son studio, elle passe la soirée à peaufiner son morceau. Sa quête d’identité passe aussi beaucoup par la foi, héritée de son éducation adventiste, un courant du protestantisme. Mais s’intégrer dans une communauté religieuse n’est pas simple, à tel point que depuis quelque temps, elle a cessé d’aller à l’église :

« Dans la communauté religieuse que je fréquentais, on m’a dit que ceux et celles qui assument pleinement leur homosexualité ne pourront pas être des membres à part entière. »

Mirageuse interprète La vie en rose d’Édith Piaf.Photo : Nicolas Thomas / Rue89 Strasbourg

Elle vit cette tension sans chercher à la gommer. Dans ses textes, elle la transforme en force. « Et quand je danse seule dans le noir, je peux être les deux », écrit-elle. Dans l’intimité, loin du regard des autres, elle s’autorise à être multiple : « Désormais, j’essaye à tout prix de me détacher du jugement. »

Le rêve européen de KYA Universe

À quelques kilomètres de là, dans un ancien bâtiment industriel reconverti en studio, une autre voix s’élève. Derrière la vitre d’une cabine d’enregistrement, KYA Universe, toute vêtue de cuir, ajuste son casque. Elle prend soin de ne pas abîmer sa coupe impeccable. Elle aussi connaît bien les scènes de la ville. Face au micro, elle reprend une phrase, la corrige, recommence. « Je cherche toujours la bonne formule. J’expérimente pour trouver le truc qui sonne juste », explique-t-elle. De l’autre côté de la vitre, l’ingé son reste concentré sur ses écrans. C’est derrière ces briques rouges qu’elle a sorti son premier projet en 2022, aidée par le label Facctory qui gère le studio.

C’est par hasard, sur la demande de son cousin qui apprenait à mixer, que KYA Universe a enregistré pour la première fois. Photo : Nicolas Thomas / Rue89 Strasbourg

Karla Monowicz Abega, KYA Universe pour le nom d’artiste, a connu une autre forme de décalage. Elle arrive en France en 2011, à quinze ans, quittant le Cameroun avec le rêve d’Europe en tête :

« Là-bas, on a grandi avec MTV et les clips américains. Moi, je voulais être une star à la Rihanna. Elle qui a quitté la Barbade à 15 ans pour suivre son rêve. Il y a une idéalisation de l’Occident dans la société camerounaise. On pensait qu’aller en Mbeng, en Europe, c’était atteindre le paradis. »

« Quand j’ai revu ma mère au Cameroun en 2023, ce n’était plus tout à fait la dame qui m’a dit au revoir dix ans plus tôt à Paris.« 

Karla Monowicz Abega, ou KYA Universe

Arrivée en banlieue parisienne, à Corbeil-Essonnes (91), elle déchante rapidement. Jusqu’en 2019, elle se heurte au mur de l’administration française et n’est pas régularisée. En 2016, elle débarque à Strasbourg pour suivre des études d’art et de graphisme. Ses revenus se limitent à quelques aides et petits boulots. Bloquée par les procédures administratives pour obtenir un titre de séjour, elle ne revoit pas ses parents et son grand frère pendant dix ans :

« Je recevais des photos d’eux sur WhatsApp, mais je voyais mes parents vieillir loin de moi. Quand j’ai revu ma mère au Cameroun en 2023, ce n’était plus tout à fait la dame qui m’a dit au revoir dix ans plus tôt à Paris. C’est dur, ils n’ont pas pu être avec moi quand j’ai obtenu mon diplôme. Ils ne m’ont pas vu grandir. »

Elle obtient le graal en 2019 sous la forme d’un titre de séjour étudiant. Aujourd’hui, à 29 ans, elle travaille en tant que chargée de marketing et communication et vit avec un titre de séjour de salarié.

« Au début, on m’a dit que c’était bizarre »

KYA, c’est le sigle de Karla Yebee Abega. « Yebee », c’est par cette expression que sa mère et sa grand-mère s’appelaient. On retrouve la jeune artiste à la terrasse d’un café près de la station de tram Étoile Bourse. Entre deux gorgées de cappuccino, elle raconte sa vision de la musique dans un français parsemé d’expressions anglaises. La jeune femme a fait du camfranglais son étendard. Ce mélange de français, d’anglais et de langues locales, est avant tout un argot pour se réapproprier les langues imposées par la colonisation. Elle explique :

« Au début, en 2020, on m’a dit que c’était bizarre, qu’on comprenait rien à ce que je racontais. Malgré un manque de confiance en moi, je me suis accrochée. Aujourd’hui, en 2025, je me rends compte que c’est la bonne formule. Beaucoup d’artistes émergent grâce à la mise en avant d’une culture méconnue. Depuis dix ans, les Congolais ont réussi à tout exploser en ramenant la rumba et le lingala dans la musique française. Moi, je veux mettre le Mboa (Cameroun) sur la carte. »

Du camfranglais au makossa, le Cameroun a beaucoup a offrir sur le plan musical. Pour KYA Universe, l’artiste qui incarne le mieux cela est le rappeur Jovi.Photo : Nicolas Thomas / Rue89 Strasbourg

Dans un style musical inspiré du rap, de la pop et du makossa, elle met à l’honneur sa culture d’origine. Sorti en 2023, son album Évasion Stellaire en est l’illustration. Ses thèmes naviguent entre amour, ego-trip et désillusions. Sur scène, celle qui adore faire le show envoie le paquet. En dehors des scènes strasbourgeoises, où elle a déjà croisé Mirageuse, KYA Universe a joué au Palais de Tokyo et rêve de grands festivals.

La fin du « mode survie »

Pour KYA Universe, la stabilisation de sa situation marque un tournant. Après des années passées à courir derrière les papiers et à cumuler les galères, elle dit avoir enfin quitté le « mode survie ». Son retour au Cameroun, en 2023, a aussi été un déclic. « Mes parents m’ont vu comme une femme adulte. Ça m’a fait comprendre que j’avais grandi. La petite Karla qui quittait le pays est loin maintenant. »

KYA Universe échauffe sa voix aux studios de la Facctory.Photo : Nicolas Thomas / Rue89 Strasbourg

L’année dernière, alors qu’elle devait obtenir son master et un CDI pour renouveler son titre de séjour, elle a enregistré seule son single Amants Pyromanes. Désormais salariée et plus apaisée, elle veut prendre le temps :

« Avant, j’étais dans la course, j’avais peur d’être en retard. Maintenant je sais qui je suis, je n’ai plus le syndrome de l’imposteur. Alors je construis ma musique à mon rythme. Début 2026, je compte revenir avec de nouvelles sorties. »

Que ce soit Mirageuse ou KYA Universe, toutes deux partagent ce refus de simplifier leur identité. Leur musique est l’expression de leur complexité assumée. Alors, entre les scènes et studios de Strasbourg, elles continuent de faire entendre leur voix loin des cases toutes faites. 

Jeanne Barseghian sur le tram nord : « Nous avons peut être été trop ambitieux »

Jeanne Barseghian sur le tram nord : « Nous avons peut être été trop ambitieux »
Jeanne Barseghian est prête à suivre les préconisation de la convention citoyenne sur le tram nord.

La maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, s’engage à suivre les préconisations de la convention citoyenne sur l’extension nord du tramway, quitte à renoncer à l’urgence de transformation qu’elle préconisait en 2020.

La maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian (Les Écologistes), réagit aux conclusions de la convention citoyenne sur l’extension du tramway vers le nord. Les 100 citoyens sélectionnés en avril préconisent que le futur tram nord s’inscrive dans le tissus urbain actuel mais sans perturber les flux automobiles existants. Une option qui empêche de profiter du tram pour réduire drastiquement la place de la voiture en ville (voir le compte-rendu).

« Pour les citoyens, les aménagements connexes au tram nord ne sont pas prioritaires, surtout s’ils dégradent l’acceptabilité du projet. Et ils ont raison. »

Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg

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