Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« Sans le Rhin, l’Ill serait à sec à Strasbourg »

« Sans le Rhin, l’Ill serait à sec à Strasbourg »

Maître de conférence en biologie et hydroécologie, réalisateur et plongeur, Serge Dumont alerte dans une tribune sur la baisse du niveau de la nappe phréatique. L’Ill, sans sa connexion avec le Rhin, serait aussi asséchée que les autres cours d’eau de France, dont les images spectaculaires font le tour du pays.

Nous avons battu un triste record le 13 août sans que l’information n’ait été révélée, la nappe phréatique d’Alsace fut au plus bas dans la plaine du grand Ried, mesurée à 157,01m dans la zone dite « Ill aval » au piézomètre de Rossfeld, qui mesure le niveau de la nappe depuis 1965. Mais aussi à Hilsenheim, Guémar et Illhaeusern, avec de nombreuses rivières et zones humides à sec (Langert, Neugraben, l’Andlau sur 10 km, du jamais vu) et une forte mortalité chez les poissons et les invertébrés. 

L’année 2022 battra certainement tous les records avec une sécheresse installée depuis l’automne 2021. Avec 9,7 mm de précipitations alors que la normale est de 61,6 mm, il n’y a jamais eu aussi peu de pluie en juillet depuis le début des mesures. Pour ne rien arranger, les températures ont été très élevées, au troisième rang des mois de juillet les plus chauds depuis le début du XXe siècle. Et les records s’enchaînent, il ne s’agit plus d’épisodes rares et exceptionnels mais récurrents. Le dernier niveau bas record de la nappe datait de 2020.

80% de l’eau consommée par l’agriculture

Malgré ce constat, la zone Ill aval est restée en simple vigilance, sans restrictions d’usage de l’eau jusqu’au 12 août. La mise en alerte sécheresse par la préfecture n’est arrivée que le 13 août, beaucoup trop tard et insuffisant, les rivières étaient déjà à sec. De la mi-juin à la mi-août, la palme de la consommation revient à l’irrigation pour l’agriculture, et de loin. Ne pas confondre consommation et prélèvement, l’industrie rejette une grande partie de l’eau prélevée, pour le refroidissement par exemple, alors que l’agriculture consomme toute l’eau prélevée. Entre la mi-juin et la mi-août, la consommation pour l’irrigation en Alsace représente 80% de la consommation en eau avec près de 102 millions de mètres cubes en 2019, selon la Banque nationale des prélèvements en eau, très largement pour le maïs (qui a besoin d’eau quand il n’y en a pas) et principalement dans le Haut-Rhin avec un peu plus de 70 millions de m3 en 2019. Des chiffres « très largement sous-estimés » d’après l’étude GES’EAU’R du BRGM.

L’eau des rivières et des zones humides s’évapore dans les champs de maïs dans une indifférence quasi générale quand ce n’est pas du déni, dans le mythe d’une nappe phréatique inépuisable. Pour le syndicat agricole de la FDSEA, au micro de BFM Alsace par exemple, le phénomène n’est pas inquiétant : « En termes de variations, on parle de 10 à 15 centimètres, sur une nappe qui fait 100 mètres d’épaisseur. Il faut quand même relativiser l’affaire ».

L’Alsace deviendrait comme la Californie

Pourtant, l’étude  GES’EAU’R du BRGM a montré que le rabattement (baisse) de la nappe phréatique provoqué par l’irrigation est de 6 à 130 cm selon les endroits. Si l’on perd le premier mètre, on perd toutes les rivières et les zones humides, l’Alsace deviendrait comme la Californie, une zone aride en surface avec une nappe en sous-sol. On en prend le chemin au niveau national puisque les sols n’ont jamais été aussi sec en juillet depuis le début des mesures.

Lorsque le niveau de la nappe phréatique baisse, les rivières s’asséchent rapidement. Photo : Serge Dumont / doc remis

En Alsace, l’irrigation consomme presque autant d’eau en deux mois que l’ensemble des 1,9 million d’Alsaciens en une année pour l’eau potable. Mais pas au même prix ! Pour l’irrigation, les 10 000 premiers mètres cubes sont gratuits, puis facturés 4,71 euros les 1 000 mètres cubes au-delà. En France, les particuliers doivent débourser en moyenne 3,5 euros le mètre cube, un élément important dans la gabegie constatée.

L’Ill aval s’assèche et nous regardons ailleurs

Alors pourquoi la zone Ill aval n’a été placée en alerte sécheresse que depuis le 12 août malgré ce record ? Parce que nous regardons ailleurs, plus précisément à Sundhoffen le long de l’Ill où se trouve le piézomètre de référence pour la très grande zone Ill aval. Mais comme le niveau est soutenu par de l’eau du Rhin en période d’étiage, environ 10m3 par seconde, cela est considérable et le niveau du piézomètre de référence à Sundhoffen est toujours correct.

Sans cet apport en eau du Rhin, l’Ill serait très basse en été, notamment dans Strasbourg, ce qui interpellerait immédiatement la population sur la situation dramatique actuelle comme c’est le cas pour la Loire. Avec le soutien de l’Ill par le Rhin, qui ne résoudra rien à long terme, les Alsaciens sont leurrés et les pompages indirectement encouragés.

L’Ill est divisé en plusieurs bassins d’observation. Photo : carte transmise

Un texte correctif en attente

Un projet de nouvel arrêté cadre a été rédigé au printemps qui corrige cette situation pour le moins ubuesque, avec une sectorisation en cinq parties de la zone Ill aval, chacune avec un piézomètre pertinent. Le texte attend signature à la préfecture, le temps de la consultation des parties impliquées, c’est bien long quand même. La Chambre d’agriculture a déjà donné un avis défavorable au nouvel arrêté, ce qui n’a rien d’étonnant.

Avec les critères du nouvel arrêté, l’Ill aval serait en situation de crise. Pour les scientifiques du BRGM et de l’Unistra, le nouveau texte est un progrès mais à minima, bien en-deçà des enjeux en cours et une incitation insuffisante à la réforme du système.

Le modèle agricole basé sur l’irrigation comme seule réponse

Ailleurs, où des interdictions à l’irrigation ont été publiées, certains agriculteurs avouent continuer d’irriguer « pour ne pas crever ». Leur désarroi est compréhensible, les agriculteurs en difficulté doivent être soutenus, mais la situation actuelle a été prédite par les scientifiques dans de nombreux rapports et rien n’a été anticipé. Si aucun homme ne doit rester sur le bord du chemin, le système agricole productiviste basé sur l’irrigation comme seule réponse au changement climatique doit s’effondrer.

L’été 2022 est marqué par son intense sécheresse et de nombreux poissons morts dans les cours d’eau. Photo : Serge Dumont / doc remis

Toute tentative d’acharnement à maintenir ce système moribond par des infrastructures comme les bassines inutiles et coûteuses est un temps précieux de perdu à appliquer les solutions pérennes qui existent, comme l’explique un rapport récent de l’INRAE, notamment l’agroforesterie qui permettrait de réduire la consommation d’eau de 42% où des modifications de l’assolement (rotation des cultures) pour des sols plus riches en matière organique qui absorbent bien l’eau, en finir avec le labour qui détruit la structure des sols. De nombreux paysans s’y sont déjà engagés, ils doivent être soutenus, il en va également du maintien de la fertilité des sols, la création de puits de carbone, le bien-être animal etc. Plus un centime ne doit être détourné de ces objectifs.

Modifier notre rapport à l’eau

Bien sûr, il n’y a pas que l’agriculture qui consomme de l’eau et tout le monde doit modifier son rapport à l’eau. Les toilettes utilisant de l’eau potable (36 litres/jour/habitant) par exemple nécessitent des adaptations, les toilettes sèches devraient se développer partout où cela est possible. Au total, nous buvons seulement 1% de l’eau potable que nous prélevons. Il faut aussi modifier notre régime alimentaire pour un régime moins carné, il faut 13 à 15 fois plus d’eau pour faire un kilo de viande que pour faire 1 kg de végétaux. D’énormes efforts peuvent aussi être réalisés par les collectivités, notamment par l’utilisation de plantes vivaces au lieu d’annuelles pour le fleurissement, la récupération de l’eau, etc..

Tout doit être mis à plat dans un projet commun, une révolution, nous devons surtout penser à long terme. La guerre pour l’eau a déjà commencé, c’est urgent.

Serge Dumont
Maître de Conférence HC à l’Université de Strasbourg
Laboratoire image ville environnement / CNRS

Les musées moins ouverts à la rentrée : les trois options de la Ville

Les musées moins ouverts à la rentrée : les trois options de la Ville

Les horaires d’ouverture des musées de Strasbourg vont être réduits pour pallier le manque d’effectifs. La Ville doit arbitrer entre des jours de fermeture supplémentaire ou une modification des horaires. Les personnels concernés sont laissés dans le flou.

Au milieu de l’été, le 3 août, le site spécialisé La Tribune de l’Art révélait que la municipalité envisage de fermer les huit musées municipaux deux jours par semaine, au lieu d’un seul, à partir de la rentrée de septembre. En plus, une fermeture quotidienne de 13h à 14h est également évoquée.

Musée historique de la ville de Strasbourg. Photo : NC / Rue89 Strasbourg, cc

Contactée par Rue89 Strasbourg, l’adjointe à la maire de Strasbourg en charge de la Culture, Anne Mistler, s’exprime pour la première fois sur ce sujet, qui pendant trois semaines a inquiété les agents et suscité les critiques de l’opposition. Pour justifier cette mesure à venir, l’élue évoque les difficultés chroniques d’effectifs auxquels sont confrontés les musées de Strasbourg. « Cette tension en matière de ressources humaines a entraîné des fermetures inopinées ces derniers mois, ces dernières semaines, ce qui n’est ni souhaitable pour les usagers, ni pour les employés », explique Anne Mistler.

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#Anne Mistler

1 000 places d’hébergement d’urgence en moins dans le Bas-Rhin, les professionnels très inquiets

1 000 places d’hébergement d’urgence en moins dans le Bas-Rhin, les professionnels très inquiets

La préfecture du Bas-Rhin a annoncé aux associations de solidarité la suppression de 1 000 places d’hébergement d’urgence dans le département d’ici la fin 2022. Ces restrictions commencent à s’appliquer, ainsi les personnes déboutées de leur demande d’asile se retrouvent privées de tout hébergement institutionnel. 

Le nombre de personnes à la rue risque encore d’augmenter à Strasbourg, au gré des fermetures de places dans les dispositifs d’hébergement d’urgence. Tous les signaux sont alarmants cet été, ce qui inquiète d’autant plus les associations de solidarité pour l’hiver 2022 / 2023.

Le 17 août, 2 316 personnes étaient hébergées dans des hôtels du Bas-Rhin au titre de l’hébergement d’urgence financé par l’État. Or en juin, la préfecture a annoncé aux associations de solidarité avec les sans-abris une importante baisse du nombre de places d’hôtel d’ici la fin de l’année 2022. Deux chiffres reviennent dans toutes les discussions : 700 places de moins dans l’Eurométropole, 1 000 places de moins dans le Bas-Rhin. Ces chiffres n’ont pas été confirmés par la préfecture du Bas-Rhin, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.

Cette annonce a été faite au sein de la « veille de coordination sociale » en juin, une réunion régulière entre plusieurs associations et les services de l’État. Lors de la crise du Covid, le nombre de places d’hébergement d’urgence hors foyers est monté jusqu’à 2 900.

L’hôtel Victoria est souvent utilisé par la préfecture pour héberger des personnes en urgence Photo : Rue89 Strasbourg

Cet objectif de réduction avait été évoqué une première fois en novembre 2021. Alexis Moreau, directeur de la fédération des acteurs de la solidarité Grand Est, qui regroupe 80 associations ou structures, confirme l’information :

« C’est une directive nationale qui est appliquée dans toutes les régions. L’État veut orienter les gens vers des “logements d’abord” plutôt que mettre à l’abri des personnes via un hébergement. Mais cela ne fonctionne pas avec toutes les personnes, certaines n’ont pas les moyens financiers ni même le droit d’accéder à un logement autonome. La très grosse majorité des personnes abritées en hébergement d’urgence sont déboutées de leur demande d’asile, ils n’ont ni titre de séjour, ni travail. On risque donc de retrouver tous ces gens dehors, sous tente, dans des conditions indignes voire dangereuses, surtout cet hiver. Le nombre d’enfants dans la rue est en dangereuse augmentation. »

La préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, a cependant répondu au député (Nupes – LFI) Emmanuel Fernandes (LFI – Nupes) qui l’avait interpellée à ce sujet lors d’une entrevue le 18 juillet. Il raconte :

« La préfète a confirmé qu’elle allait appliquer la politique nationale conduite par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Je n’ai pas eu de réponse favorable à mes demandes d’inflexion de cette politique localement. On a convenu qu’il y avait eu des moyens conséquents pour l’arrivée des Ukrainiens, mais je n’ai pas eu de réponse claire sur ceux alloués pour les autres migrants. Pas plus que je n’ai eu d’éléments sur l’installation d’autres structures. On en revient à cette idée nocive qu’abriter les gens créerait un appel d’air pour d’autres réfugiés, une idée que l’on condamne. »

Le Projet de loi de Finances (PLF) 2021 prévoit la suppression progressive de 10 000 places d’hébergement d’urgence en hôtels en France (sur 73 000 au total) d’ici la fin 2022. Le Bas-Rhin, et en particulier Strasbourg, étant une porte d’entrée pour une partie de l’immigration, la capitale alsacienne se trouve particulièrement concernée par cette politique du gouvernement.

89% des demandes ne sont pas pourvues

Sur le terrain, la situation dans le Bas-Rhin est catastrophique, à l’image du camp de l’Étoile reformé après le feu d’artifice du 14-Juillet. Plus de 80 personnes y vivent sans autre solution. Dans son rapport du 8 au 14 août, le SIAO (Service intégré de l’accueil et de l’orientation, qui gère l’hébergement d’urgence pour l’État NDLR) indique que le nombre d’appels hebdomadaires est en très forte hausse. Le total dépasse pour la première fois en 2022 les 3 900 appels (soit plus de 550 par jour). Les agents du SIAO ne peuvent répondre qu’à 58% de ces appels. 

Et encore : le taux de demandes non pourvues s’élève quant à lui à 89%. Un niveau record, à égalité avec la semaine du 14 au 20 février. Un autre record pour l’année 2022 battu en août concerne les demandes d’hébergement individuelles : 2 214 cumulées sur une semaine.

Cette semaine là, les maraudes du SIAO ont identifié 71 ménages à la rue. Seuls 4% avaient une solution d’hébergement par l’État. Une majorité (59%) dort dans la rue, les autres ayant des solutions de fortune comme des tentes (24%), un hébergement chez des tiers (8%) ou en squat (3%).

Pour Camille Vega, secrétaire générale du Secours populaire du Bas-Rhin, la baisse des places d’hôtels est entamée :

« Depuis juin, on estime qu’environ 400 places en hébergement d’urgence ont été supprimées. On assiste à des remises à la rue sans aucune solution de rechange. La politique d’hébergement n’a plus vocation à la mise à l’abri inconditionnel selon les vulnérabilités mais devient un outil d’éloignement de la politique migratoire. C’est très dangereux pour la sécurité des personnes, en particulier des enfants. »

Lors d’une « aide d’urgence ponctuelle » menée vendredi 19 août au camp de l’Étoile, la Croix Rouge a également fait part de ses constats alarmants dans un communiqué :

« Les volontaires sur place ont pu constater une situation très dégradée du point de vue de l’hygiène comme sur le plan sanitaire, avec la présence de nombreux enfants qui évoluent au milieu des rats ».

La Croix rouge a fait part publiquement de ses constats place de l’Etoile « qui a abouti à une évacuation aux urgence ». Photo : Croix Rouge française

Sous couvert d’anonymat, d’autres responsables associatifs voient aussi dans la situation actuelle un changement de politique, depuis l’arrivée de Josiane Chevallier à la tête de la préfecture du Bas-Rhin début 2020. L’un d’eux témoigne :

« Quand de nouveaux préfets arrivent, ils sont toujours surpris du nombre de places d’hébergement d’urgence dans l’Eurométropole. Souvent, ils décident de les diminuer mais se rendent vite compte des conséquences désastreuses ».

Un foyer en projet à Holtzheim…

La politique de mise à l’abri dans des hôtels vétustes et délabrés est critiquée de longue date par les spécialistes de l’hébergement d’urgence, car elle est coûteuse et peu efficace. Les locaux sont souvent insalubres, ils ne permettent pas l’accompagnement social, ni d’autonomie pour les personnes en l’absence de cuisine.

Le député Emmanuel Fernandes explique :

« Lors d’une visite de l’hôtel Victoria à la gare, j’ai rencontré une famille qui y habitait depuis plus de deux ans, ce qui est dramatique car ce n’est pas un lieu de vie pérenne. Il faut distinguer la mise à l’abri d’urgence des lieux plus propices à l’accueil, notamment les bâtiments en voie de démolition ou reconversion. »

La préfecture semble vouloir en effet évoluer dans ses pratiques. Mathieu Duhamel, secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin a expliqué aux Dernières Nouvelles d’Alsace qu’il y a « une forte demande d’hébergements d’urgence dans le Bas-Rhin qui coûte cher et qui n’est pas prise en compte de façon pleinement satisfaisante. »

Dans le même article, le secrétaire général annonce l’ouverture prochaine d’un centre d’hébergement « de 250 lits maximum » à Holtzheim, près du fort Joffre. La gestion de cette structure serait confiée à l’association Adoma pour une mise en service en 2023. La maire de Holtzheim, et présidente de l’Eurométropole Pia Imbs (sans étiquette), a fait savoir dans un courrier à ses habitants que son conseil municipal s’oppose à ce centre « disproportionné par rapport à la commune » qui n’aurait « ni les moyens humains, ni financiers (…) d’accueillir dignement ces personnes ». L’Eurométropole a pourtant voté l’ouverture de 200 places d’hébergement d’urgence, aux cotés des 200 ouvertes par la Ville.

… et un centre d’aide au retour à Geispolsheim

En juillet 2022, une nouvelle structure d’hébergement collectif à destination des familles actuellement accueillies à l’hôtel a ouvert également ses portes début juillet. Elle est gérée par l’association Coallia et se situe à Geispolsheim. Elle se consacre à l’accompagnement des familles au regard de leur situation administrative, dont l’étude des dossiers de régularisation sont en cours ou qui pourraient accepter une aide au retour vers leur pays d’origine.

Ainsi, début août, deux personnes hébergées depuis trois ans dans un hôtel de l’Eurométropole ont été informés de leur « orientation vers le centre d’hébergement collectif géré par l’association Coallia ». L’un d’eux, Fako, sans-abri macédonien a reçu un courrier qui indique :

« Une fois sur place, une équipe de travailleurs sociaux vous accompagnera dans vos démarches administratives, dont l’étude d’une possible régularisation ou la proposant d’une aide au retour volontaire ».

« Mais une fois sur place, témoigne Fako, ils m’ont dit qu’il n’y avait plus de place et m’ont laissé à la rue, je suis donc venu place de l’Étoile ».

Pour les responsables associatifs, ce nouveau lieu s’apparente de centre d’accueil de Bouxwiller », c’est à dire plutôt une structure destinée au départ des personnes qu’un centre d’hébergement destiné à aider ces personnes. Le lieu est isolé dans une zone industrielle, à 25 minutes à pied du terminus de la ligne A.

L’embarras des autorités sanitaires face à l’ampleur des contaminations de l’eau potable par les pesticides

L’embarras des autorités sanitaires face à l’ampleur des contaminations de l’eau potable par les pesticides

L’Agence régionale de Santé Grand Est se veut rassurante quant à la présence, au dessus des seuils réglementaires, de pesticides dans l’eau potable en Alsace. Pourtant, des incertitudes subsistent, tant sur les risques sanitaires que sur l’ampleur des contaminations, au point que la Direction générale de la Santé a changé les valeurs limite à respecter face aux nombreux dépassements.

En Alsace, plus d’un quart de la population reçoit au robinet, de manière ponctuelle ou récurrente, une eau dont les concentrations en métabolites de pesticides, produits nés de la dégradation d’un pesticide dans l’environnement, dépassent la limite réglementaire, fixée à 0,1 microgramme par litre (µg/l). C’est ce que révélait Rue89 Strasbourg dans le premier volet de cette enquête sur la présence des métabolites de pesticides dans l’eau potable en Alsace.

Face au caractère généralisé des contaminations, l’Agence régionale de Santé Grand Est (ARS) délivre à tour de bras des arrêtés dérogatoires aux communes concernées, leur permettant de poursuivre la distribution d’une eau non-conforme. Avec comme précision que « la consommation d’une eau dépassant la limite réglementaire de qualité sur une durée limitée ne présente pas de risques connus pour la santé ». Une communication qui se veut rassurante, alors que de nombreuses inconnues demeurent.

Progrès de la détection, recul du ministère de la Santé

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Pour son contournement cyclable du centre, Strasbourg demande des avis sur 18 tronçons

Pour son contournement cyclable du centre, Strasbourg demande des avis sur 18 tronçons

On en sait un peu plus sur les contours du « Ring », des voies permettant de circuler à vélo et à pied autour du centre-ville. Les associations de cyclistes sont divisées dans leurs critiques, l’une d’elle craignant que l’infrastructure repousse les vélos aux franges du centre.

Il ne faut plus dire « contournement cyclable » de la Grande-Île, mais « Ring multimodal », ce dernier étant destiné à accueillir des cyclistes, des piétons et un nombre limité de véhicules (les riverains et livraisons notamment). Un changement sémantique peut-être un peu tardif tant la demande d’un itinéraire continu à vélo autour de l’ensemble du centre-ville est ancienne, puis a été promise aux élections municipales. Il n’empêche, « le Ring », tel que présenté par la municipalité est bien le chantier qui doit permettre de circuler de manière plus fluide et sécurisée sur le pourtour du centre-ville.

La Ville de Strasbourg vient de mettre en ligne une carte détaillée et un questionnaire, alors que les premières modifications sont attendues pour le début de l’année 2024, avec le détournement des bus L6 et L3 des quais intérieurs (face aux Halles et le long du Primark notamment).

La carte et les tronçons du futur contournement cyclable du centre-ville Photo : doc Eurométropole

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Baki Yilmaz, le discret fabricant de saz du Faubourg national

Baki Yilmaz, le discret fabricant de saz du Faubourg national

Rue du Faubourg-National, un luthier turc officie depuis 26 ans. Sa boutique, discrète, est connue des amateurs. Alors qu’il songe à passer la main, Baki Yilmaz raconte la musique, les traditions et les secrets des instruments qu’il fabrique.

Dans le flux remuant qui emprunte la rue du Faubourg-National près de la gare, cette boutique où des lettres lumineuses annoncent « Téléphone et PC, Jeux vidéos et console, tous les écouteurs audio à partir de 3 euros » n’attire pas vraiment l’attention. On y entre en cas de besoin urgent de réparation ou de pièces manquantes, ou pour refourguer des vieux téléphones ou PC dont on n’a plus besoin, en échange d’espèces. À part une discrète enseigne « Yilmaz müzik », rien ne laisse supposer que des dizaines d’instruments à cordes aux silhouettes galbées pendent au plafond. 

On passe devant cette échoppe discrète sans la remarquer. Photo : SW / Rue89 Strasbourg / cc

Pourtant Baki Yilmaz, 62 ans, est un luthier installé ici depuis 26 ans. Il est connu des musiciens qui pratiquent la musique turque et orientale et bien au delà des frontières françaises. La marque est née à Istanbul et sa réputation a suivi le luthier jusqu’à Strasbourg. Crâne, rasé, barbe de trois jours, l’artisan commence à raconter son histoire :

« La vie était difficile pour moi en Turquie, les instruments que l’on fabrique sont de très bonne qualité, mais vu le niveau de vie dans le pays, on trouvait peu de clients, alors j’ai décidé de m’installer en France avec ma femme. »

La communauté turque est nombreuse en Alsace et en Allemagne et l’artisan y voit un bon potentiel. Mais à l’arrivée, il juge peu prudent de se lancer dans l’ouverture d’un magasin. Sans grands moyens, se plier à toutes les démarches et trouver un local lui paraissait difficile.

Luthier sur les chantiers

L’homme travaille donc d’abord plusieurs années dans le bâtiment pour faire vivre sa famille. Il fait du coffrage sur les chantiers. Habituées à pincer les cordes et à lisser les caisses de bois précieux, les mains de Baki Yilmaz sont alors sollicitées pour couler du béton dans l’acier, pendant huit années.

Tous types de saz pendant au plafond de la petite boutique. Photo : SW / Rue89 Strasbourg

Pourtant, il n’abandonne pas sa passion. Professeur de musique, il donne des cours à Ostwald et à Sélestat. Il répare aussi les instruments cassés ou endommagés qu’on lui amène. Il a même mis au point une méthode d’apprentissage pour jouer du saz, l’instrument phare de la tradition musicale turque.

Son rêve est toujours là. Au pays, son frère continue de faire tourner l’atelier. Baki lui-même y retourne régulièrement, aide aux réparations ou officie dans le magasin qui a pignon sur rue dans le quartier Kartal sur la rive asiatique d’Istanbul. Il se souvient de la décision qu’il prend après ses années de chantiers :

« J’ai dit à ma femme : allez on essaie de l’ouvrir ce magasin. Si ça ne marche pas, on retournera en Turquie. »

Démonstration des sons tirés d’un saz. (vidéo SW / Rue89 Strasbourg / cc)

Ouvert depuis 1996

La boutique ouvre en 1996, rue du Faubourg-National, elle est encore ouverte à ce jour mais pour combien de temps ? Un panneau annonce « fonds de commerce à vendre ». « Au départ, les murs étaient couverts de cassettes et de CD, je vendais beaucoup de musique turque », se souvient Baki. C’est l’époque du succès planétaire de Kiss Kiss, le tube de Tarkan qui fait danser dans le monde entier. 

Kiss Kiss de Tarkan a su s’exporter en dehors de Turquie…

Aujourd’hui, on trouve dans les rayons des pièces informatiques d’occasion, en dépôt vente. L’après-midi de notre rencontre, Baki s’impatiente un peu car un jeune client mécontent de son achat de smartphone de seconde main espérait être remboursé en espèces, mais ce n’est pas la politique du magasin qui lui propose un échange. Le jeune grogne, tourne de longues minutes avant de dénicher un autre téléphone, puis après l’avoir essayé, change d’avis et décide d’opter pour des parfums.

Baki se montre méfiant et masque comme il peut son énervement en soupirant, il préférerait parler musique :

« Sur des instruments je peux travailler 13 à 14 heures par jour, je ne sens pas la fatigue, parce que j’aime ça. Je pense continuer à vendre à domicile, mais tenir le magasin, c’est devenu trop difficile, en plus des allers-retours avec la Turquie. À mon âge, je suis parfois loin de ma famille pendant plusieurs mois, j’ai envie de me poser ici. »

Au grand désespoir du luthier, la traduction familiale n’a pas suscité de vocations chez ses deux enfants. « Mon fils est venu m’aider au magasin, mais il n’aime pas travailler », juge Baki sévèrement. Sa fille non plus n’a pas envie de reprendre le flambeau, même si les deux enfants gratouillent un peu, ils ne sont pas vraiment musiciens. L’héritage familial n’est pas plus transmis chez ses neveu  : son frère n’a pas réussi à convaincre la jeune génération de le rejoindre à l’atelier en Turquie, où 37 personnes sont employées.

L’artisan présente les différents instruments à manche long qui pendent au plafond : Baglama, Ud, Kopuz… Appelés aussi communément saz. On en joue en Iran, en Irak du nord, dans le Caucase, chez les Tatars de Crimée, en Turquie, en Grèce, et dans une partie des Balkans.

Des bois précieux et travail d’orfèvre

Baki détaille les bois qu’il faut utiliser : genévrier, palissandre, acajou, mûrier, ou encore le bois de rose qui a fortement augmenté ces dernières années. Le mètre cube est passé de 20 000 à 40 000 euros ! L’instrument star c’est le saz baglama à manche long : il en montre un dont le coffre est fait de 21 pièces collées et un autre d’une seule pièce : celui-ci est plus cher, car c’est un travail d’orfèvre de faire plier la feuille de bois de façon souple pour qu’elle rende un son parfait.

Baki a créé une méthode d’apprentissage du baglama Photo : SW/ Rue 89 Strasbourg / cc

La famille Yilmaz est kurde alévie, originaire d’Erzincan dans l’est de la Turquie. Si Yilmaz a grandi à Istanbul, les origines se révèlent dans sa passion dont il a aussi fait son métier. Il sourit : 

« Pour les Alévis, le saz est très important. Les Sunnites ont le Coran, nous c’est le saz. »

L’instrument est partie prenante de la « liturgie » alévie et des cérémonies, mais au delà de l’aspect religieux, il a une place majeure dans la culture et les traditions musicales turques. 

Une adresse connue des musiciens reconnus

Yilmaz Müzik compte des clients dans toute l’Europe, beaucoup de professionnels : des groupes et des écoles de musique mais aussi des particuliers qui viennent d’Allemagne, des Pays-Bas, de Belgique ou encore de Suisse.

Dans les archives de Baki : lui (à gauche) et son frère (à droite) dans leur atelier d’Istanbul en 1986 Photo : doc remis

Par le passé, la boutique strasbourgeoise vendait jusqu’à 2 000 instruments par an. Aujourd’hui Yilmaz Müsik préfère travaille avec 5 à 6 clients fidèles et sérieux. Des artistes reconnus sur la scène régionale et européenne. 

Parmi eux Mehmet Kaba, le leader du groupe Turquoise. Le musicien originaire de la Mer Noire fréquente la boutique depuis des années. Son groupe interprète des poèmes et morceaux de troubadours turcs, notamment Yunus Emre, un poète du XIIIe siècle. Depuis qu’il a découvert le saz dans sa jeunesse il n’a plus jamais lâché l’instrument à sept cordes :

« J’ai grandi dans une famille musicienne (accordéon, batterie) j’étais intéressé, mais c’est quand j’ai entendu des amis de lycée jouer du saz que je suis “tombé dedans”. Je regrette que la fermeture de la boutique soit programmée, il n’y a pas d’autres magasin dans la région. Baki est devenu un ami, je viens souvent boire un café, on parle musique et politique aussi. On est sur la même longueur d’onde. »

Comprenez : pas vraiment fans du pouvoir en place en Turquie et inquiets des libertés qui sont grignotées à chaque nouvelle loi. Même à Strasbourg, Baki préfère se tenir éloigné des associations de la communauté turque qu’il juge trop politisées ou téléguidées par Ankara. 

Baki Yilmaz joue du saz, ou baglama, à manche long Photo : SW / Rue 89 Strasbourg / cc

Le musicien explique que la taille de la caisse détermine la note maîtresse : 40 cm, le do ; 42 cm le si ; 38 cm ; le ré. La façon d’accorder modifie le son.

L’artisan montre une vidéo où il est en train de poncer la caisse d’une baglama. Baki montre aussi un gros cal sur sa paume, juste sous son pouce, c’est à force de poncer, de tenir les bois pour les courber et leur faire épouser la forme du caisson : un travail de précision minutieux et artistique mais physique aussi pour les mains. 

Quotidien compliqué pour les alévis de Turquie

Le luthier diffuse une autre vidéo, cette fois-ci c’est un musicien célèbre qui interprète un morceau dans la boutique stambouliote. Il manie une baglama de 42 cm dont il égraine des notes vibrantes. “C’est la meilleure pub pour nous ça”, sourit Baki. Il se souvent aussi d’une anecdote qu’il raconte, espiègle :

« Talip Ozcan, un joueur célèbre est venu dans mon magasin, il m’a demandé de lui offrir un baglama gratuit. J’ai répondu : Non je vais vous le faire payer le double du prix car vous allez gagner de l’argent avec. Il a ri mais n’a pas acheté, finalement… »

En Turquie, Yilmaz est une bonne marque. Mais là bas non plus, malgré leur réputation, l’avenir de l’affaire familiale n’est pas forcément serein. En tant que locataire avec son frère, Baki dit avoir peu de droits et être dépendant du propriétaire qui peut leur demander de partir, ou augmenter le loyer. 

Un saz compte sept cordes Photo : SW / Rue 89 Strasbourg / cc

Ensuite, sa famille est alévi, une partie de la population turque se réclame de ce culte issu de l’islam chiite, une communauté confessionnelle estimée à 15 millions de personnes qui souffre de discriminations en Turquie. En 2016, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné Ankara. En cause, l’État turc refuse de reconnaître les Alévis comme un culte, mais les apparente à un ordre soufi : les membres du clergé et lieux de cultes, les cemevi, ne sont donc pas dotés du statut particulier des religions. Au delà de la question religieuse, les alévis subissent intolérance et discrimination dans l’accès aux services publics à l’emploi et vivent de plus en plus en marge.

Baki pense que l’été n’est pas propice pour trouver un repreneur pour son magasin, même s’il est idéalement situé entre le centre-ville et la Gare, face au tram. En attendant, il empoigne un saz à manche long et commence à jouer. Les notes s’égrènent et s’élèvent dans la boutique, la mélodie rend l’atmosphère poétique et enchante les vitrines emplies de smartphones et de PC victimes des changements de mode ou de l’obsolescence programmée.  Un peu, finalement, comme un luthier rue du Faubourg-National. 

Les livreurs d’un sous-traitant d’Amazon ne sont ni payés ni virés depuis 50 jours

Les livreurs d’un sous-traitant d’Amazon ne sont ni payés ni virés depuis 50 jours

Les salariés de Fast Despatch Logistics n’ont plus été payés depuis le 1er juillet par leur employeur, dont l’activité de livraison pour Amazon s’est brutalement arrêtée le 9 août. Ni payés, ni autorisés à travailler ailleurs ou à s’inscrire chez Pôle Emploi, les livreurs ont décidé jeudi de ralentir l’activité du géant américain de la distribution pour se faire entendre.

Certains colis Amazon devraient avoir un peu de retard à Strasbourg les prochains jours. Les camionnettes d’une demi-douzaine de sous-traitants de l’entrepôt rue Livio à la Meinau n’ont pu passer les grilles jeudi 18 août lors de leur arrivée prévue à 10h20 comme chaque matin. En cause, l’arrêt soudain du contrat de l’une de ces sociétés, Fast Despatch Logistics (FDL) en France.

À Strasbourg, une partie des 75 livreurs de FDL, tous des hommes et souvent d’origine étrangère, ont provoqué un « ralentissement » de l’activité du dépôt Amazon. Des actions de ce type s’organisent partout en France où des personnels de FDL travaillaient, soient environ 700 salariés qui ne sont plus payés depuis le 1er juillet et en grandes difficultés.

Jeudi, les sous-traitants d’Amazon pour la livraison n’ont pas pu rentrer à 10h20 comme prévu à l’agence de la Meinau. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Une annonce subite, sans versement de salaires

Ismaïl Duran, livreur strasbourgeois et représentant du personnel au siège parisien de l’entreprise, revient sur l’annonce :

« Le 30 juin, il a été évoqué le recours au chômage partiel à Nantes, puis finalement à toute la France, mais pas de fermeture. Le mardi 9 août, nous avons été prévenus le jour-même d’une cessation d’activité, mais sans qu’une procédure de redressement soit enclenchée. Dans d’autres dépôts, certains salariés ont même travaillé ce jour-là car ils n’ont pas eu l’information. On a bien reçu nos fiches de paie, mais pas les virements des salaires de juillet ni pour les jours travaillés en août. L’entreprise invoque une baisse d’activité, mais on ne la constate pas ! On veut qu’Amazon hausse le ton avec FDL pour que la situation se règle. Certains salariés souhaiteraient travailler pour d’autres sous-traitants, d’autres passer à autre chose… »

Jusqu’à 200 colis par jour

Livreur à Strasbourg depuis trois ans, Hedayatullah a vu la situation empirer en 2022 :

« Tout s’est dégradé cette année, avec des heures supplémentaires pas payées, l’absence de certificat de travail, des plannings établis du jour au lendemain, du mauvais matériel et des salaires payés de plus en plus tard dans le mois. Depuis la fin d’activité, le manager n’est plus présent à Strasbourg et tous les jours on nous dit, “demain ça vient”. On est bloqués, j’ai demandé et on n’a même pas le droit de s’inscrire à Pole Emploi. »

Comme ses collègues, Hedayatullah n’est plus payé et ne peut ni travailler, ni bénéficier du chômage. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Le salarié a livré jusqu’à « 200 colis par jour », parfois dans des zones où il est difficile d’accéder comme le centre-ville, les livreurs doivent parfois se rendre jusqu’à Wissembourg tout au nord de l’Alsace, ou réaliser des tournées de nuit. Un autre salarié montre des documents : alors qu’il a demandé des jours de congés du 7 au 10 juillet, sa fiche de paie lui décompte ses congés à partir du 1er juillet, soit quatre jours décomptés alors qu’il a travaillé.

Amazon rompt le contrat

Le 9 juin, les salariés de Fast Despatch avaient organisé une journée de grève (lire notre article) et obtenu le paiement de leur salaire le jour-même. Ils pensaient que la situation allaient revenir à la normale. Mais au siège à Villepinte, un ancien collaborateur aux ressources humaines, raconte que FDL était devenue une société fantôme : « Le responsable pour la France est une personne anglophone et d’origine bulgare qui ne vient que de temps en temps ».

Parti fin juillet, il confirme les difficultés croissantes, l’absence de paiements et finalement de tout contact : « Entre le salaire de juillet, les jours de congés, des panier-repas et primes, ils me doivent plus de 3 000€ pour mon solde de tout compte ! »

Fast Despatch Logistics est un groupe britannique de livraison actif dans de nombreux pays comme l’Inde, l’Allemagne ou la Bulgarie. « Nous n’appelons pas ça du travail, nous appelons ça notre dose quotidienne de plaisir » vante la page Facebook de la compagnie.

Dans l’entrepôt, les salariés d’Amazon et des sociétés de sous-traitance prennent des informations sur les actions prévues. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Contactée, Amazon, qui n’emploie pas de livreurs mais fait uniquement appels à des sous-traitants, confirme dans un message écrit avoir mis fin au contrat de FDL :

« Nous sommes intransigeants sur le fait que les sociétés de livraison se doivent de respecter les lois en vigueur, ainsi que le code de conduite des fournisseurs Amazon ».

Une enquête avait été diligentée après les premières alertes, les réponses de FDL n’ont pas convaincu. La firme de Jeff Bezos était le seul client de Fast Despatch en France, ce qui explique la fin d’activité. Amazon ne compte pas intervenir dans le paiement des salaires et rappelle que la responsabilité revient au transporteur. Seul engagement d’Amazon : « Nous ferons tout notre possible pour que leurs livreurs obtiennent les informations sur les postes disponibles chez d’autres partenaires de livraison. »

« Amazon est complice »

Rue Livio à la Meinau, la situation monte les livreurs des différentes sociétés les uns contre les autres. « On n’a rien à voir là-dedans », lance un livreur d’un transporteur concurrent aux salariés de FDL. « Je veux bosser. Tu nous niques ! », s’emporte un autre, qui propose d’en découdre devant les grilles. Le ton redescend lorsque les chauffeurs comprennent qu’ils seront payés, même s’ils sont empêchés de livrer. Des salariés d’Amazon se montrent plus compréhensifs, voire encouragent les salariés de FDL dans leur combat. La scène se passe sous le regard de deux policiers en civil.

Rentreront, rentreront pas ? À quelle heure ? Le ton monte avec d’autres sous-traitants… Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Livreur à Strasbourg pour FDL, Mohammed comprend la colère des autres livreurs, mais relativise :

« Un jour, ils vont être comme nous. J’ai travaillé cinq ans ici, pour trois sous-traitants… C’est toujours la même chose : retards de paiement, maltraitance, pression, vol d’heures supplémentaires qui ne sont pas décomptées… Nous, on n’a même plus de responsable à qui s’adresser. On a été virés par un simple SMS. Amazon est complice de cette situation. »

Mohammed (à g.), livreur depuis 5 ans, et Ismaïl (à d.), représentant du personnel, aimeraient qu’Amazon intervienne pour régler leur situation. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Retour des fourgonnettes au ralenti

Sur les consignes d’une manageuse stressée, les livreurs repartent dans l’espoir de revenir plus tard. À midi, les fourgonnettes ont finalement pu rentrer dans l’entrepôt. Leur sortie devait à nouveau être retardée plus tard dans la journée. L’objectif des salariés de FDL est que les colis soient livrés moins vite, afin qu’Amazon soit vraiment impacté et s’implique.

Pour se défendre, les représentants du personnel au comité social et économique (CSE) de FDL ont pris attache avec un avocat, le strasbourgeois Luc Dörr. Ce dernier a saisi le parquet de Bobigny :

« Nous sommes dans une période de non-droit. La priorité, c’est que le parquet demande au tribunal d’engager une procédure collective, car pour le moment les salariés n’ont pas le droit de travailler pour des concurrents. Tout est fait pour les pousser à la démission. Or s’ils démissionnent, ils perdent tous leurs droits. »

Les livreurs n’ont pas de syndicat. Les actions et décisions font l’objet de débats animés devant les grilles. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Fast Despatch ne répond plus

Fast Despatch Delivery a organisé son injoignabilité. Le numéro de téléphone associé à la filiale française ne répond pas. L’adresse mail de contact a été désactivée. Même les autorités ont des difficultés à joindre un représentant. Quant au siège britannique, il prétend ne pas être capable de nous mettre en relation avec un responsable français.

Les (ex?) salariés de FDL s’attendent à des actions pendant plusieurs jours jusqu’à que leur cause soit entendue. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Ces « ralentissements » ont vocation à se répéter tant que les salariés de FDL ne sont pas payés, ni officiellement licenciés. Une attitude qui entame néanmoins la patience de l’un des livreurs présent lors de l’action :

« Nous on reste dans le droit bien comme il faut, mais eux ils nous paient pas et ils n’ont pas de problèmes ».

Un mois après le feu d’artifice, plus de 40 enfants sous les tentes place de l’Étoile 

Un mois après le feu d’artifice, plus de 40 enfants sous les tentes place de l’Étoile 

Ce mercredi 17 août, plus de 80 personnes vivent sur le camp place de l’Étoile, qui s’est reconstitué quelques jours après le feu d’artifice du 14-Juillet. Plus de quarante enfants dorment sous les tentes. Une quinzaine de Macédoniens sont de retour, après avoir été hébergés au « centre d’aide pour le retour » à Bouxwiller. Des Afghans, Géorgiens, Albanais, Tchétchènes les ont rejoint au cours des dernières semaines. 

Sous une même tente, vit une famille tchétchène de dix personnes avec huit enfants entre 4 et 17 ans, juste devant le centre administratif de la Ville de Strasbourg. Autour, les tentes se multiplient et le campement de l’Étoile s’agrandit de jour en jour, jusqu’à l’arrêt Étoile Polygone. Les occupants n’ont jamais été aussi nombreux depuis l’arrivée des premières personnes en mai. Mercredi 17 août, au moins 80 personnes y vivent, dont 40 enfants.

Les tentes et installations sur la place de l’Étoile. Photo : LL / Rue89 Strasbourg / cc

Floriane Varieras, adjointe à la maire de Strasbourg en charge des solidarités, constate également cette recrudescence de sans-abris :

« Le 12 août, nous avons recensé la présence 86 personnes sur la place de l’Étoile. Ce n’est pas étonnant, suite aux annonces de l’État de suppression de nuitées hôtelières. Les services de la Ville passent souvent sur le campement, on va voir au fur et à mesure ce qu’il est possible de faire. »

Une quinzaine de personnes de retour de Bouxwiller

Évacué le mardi 12 juillet juste avant le feu d’artifice pour la fête nationale, le camp a repris forme depuis le mercredi 20 juillet. À cette date, c’était onze Macédoniens qui étaient de retour après avoir été hébergés dans le « centre d’aide pour le retour » à Bouxwiller. Aujourd’hui, ils sont entre 15 et 20 du campement initial à être revenus au même endroit. Une mère de famille, originaire de Macédoine, raconte : 

« J’appelle encore le 115 deux fois par jour, soit il n’y a pas de réponse, soit ils nous répondent qu’il n’y a plus de places. En attendant, on reste là. »

Des nouveaux arrivants, en fin de procédure administrative

De nouvelles familles, souvent déboutées de leur demande d’asile, les ont rejoint. C’est le cas de cette famille de dix Tchétchènes, qui s’est installée le 26 juillet au milieu des autres tentes. Après quatre ans dans un hébergement Adoma à Haguenau, ils ont reçu une notification de fin d’hébergement début juillet.

L’aînée de 17 ans, Raiana, qui maîtrise le français, raconte : 

« On a reçu la lettre de refus de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), on nous a expliqué qu’on ne pouvait plus nous prendre en charge au sein de l’Adoma, sans nous proposer d’autre solution. On a nulle part où aller, et on nous a dit que des tentes étaient installées ici, alors on est venu. On vit à dix sous la même tente. Le jour, il fait très chaud, ça brûle vraiment la tête et la nuit il fait très froid. En plus, on s’est tous fait piquer par des moustiques, des guêpes. Il y a même des rats qui sont entrés dans notre tente. » 

Le camp compte également de nombreuses personnes malades, plus ou moins gravement. Tumeurs, blessures, asthme… les pathologies sont multiples. Un Géorgien en chaise roulante dort place de l’Étoile.

Quatre personnes qui vivent place de l’Étoile, le mercredi 17 août. Photo : LL / Rue89 Strasbourg / cc

Les toilettes publiques de la gare routière ferment à 20 heures, et n’ouvrent qu’à partir de 10 heures le matin. La nuit, il ne reste qu’une cabine de toilettes automatique. Mais « c’est vraiment dégueulasse », constate Raiana. Plusieurs associations ont mené une campagne pour qu’un accès à l’eau courante soit accordé aux habitants, D’ailleurs nous sommes d’ici a placardé des affiches autour du campement : « Strasbourg, capitale de la honte. » Début août, la Ville de Strasbourg a installé des robinets accessibles près du campement.

L’affiche de campagne de l’association D’ailleurs nous sommes d’ici, devant la place de l’Étoile. Photo : LL / Rue89 Strasbourg

L’enjeu de la rentrée scolaire

Pour tous les enfants, la principale préoccupation, c’est la rentrée scolaire le 1er septembre. En France, peu importe leur situation administrative, les enfants en dessous de 16 ans doivent être scolarisés sans exception.

Les huit robinets installés devant le centre administratif de Strasbourg. Photo : LL / Rue89 Strasbourg / cc

Une famille albanaise avec deux enfants raconte avoir été un temps installée près de la gare. Ersa, une jeune albanaise de 14 ans, qui maîtrise le français, témoigne : 

« Je ne me sentais pas en sécurité là-bas, surtout le soir. Je me sens plus rassurée ici, entourée de personnes dans la même situation que nous. Ce que j’espère surtout, c’est pouvoir me rendre à l’école en septembre. »

Sabine Carriou, fondatrice de l’association les Petites Roues, qui vient en aide aux personnes sans-abri, souligne : 

« La scolarisation des enfants se passe plutôt bien. À Strasbourg cette année, avec le collectif “Pas d’enfants à la rue”, on a réussi à négocier avec la Ville la gratuité de la cantine pour les enfants concernés. »

L’entrée de la tente de la famille Tchétchène. Photo : LL / Rue89 Strasbourg / cc

Sous les tentes, il semble compliqué d’avoir un espace pour travailler ou faire ses devoirs. Membre de la famille de dix Tchétchènes, Raiana, 17 ans, reste scolarisée à Haguenau : 

« Je ferai les aller-retours, je préfère rester près de ma famille. Je rentre en Première STL (sciences en technologies de laboratoire). C’est très fatiguant de dormir dehors. Je suis très stressée pour la rentrée, je ne sais pas comment je vais faire pour charger mon portable ou mon ordi, et je n’ai pas de wifi pour faire mes devoirs si on reste sous cette tente. »

L’impasse institutionnelle pour les personnes déboutées

Une fois déboutées de leurs demandes d’asile, les familles doivent théoriquement retourner dans leur pays d’origine, ce qu’elles refusent évidemment, quand bien même en auraient-elles les moyens. À ce moment, l’offre d’hébergement de l’État s’arrête comme l’explique Sabine Carriou : 

« Pour les personnes déboutées de leur demande d’asile, il n’y a plus aucune réponse institutionnelle. Ça fait déjà pas mal de temps, à peu près six mois que le 115 ne donne plus de place, à moins qu’il y ait une pathologie grave. Les associations sont inquiètes, encore plus de familles risquent de se retrouver à la rue. » 

La place de l’Étoile, face visible d’un problème grandissant

Ce problème d’hébergement dépasse largement la place de l’Étoile. Noureddine Alouane, responsable du collectif citoyen « Agissons 67 » alerte : 

« Il y a une explosion de personnes qui se retrouvent à la rue. Des tentes fleurissent dans plusieurs endroits de la ville, au Heyritz, à la Meinau, à la gare… L’hiver nous inquiète beaucoup. Il y aura plus de monde à loger que l’année dernière à la même période. La fin de l’état d’urgence sanitaire a mis fin à la mise à l’abri d’un grand nombre de familles. »

Tout au long de l’année, le contexte international a aggravé la situation. Noureddine Alouane poursuit :

« 113 afghans et 2 000 ukrainiens ont été accueillis par la préfecture Bas-Rhin et la Ville de Strasbourg. Tous les mois, entre 20 et 50 nouvelles personnes se retrouvent à la rue, qu’ils soient victimes d’expulsions ou demandeurs d’asile. » 

L’hébergement inconditionnel des personnes sans domicile est une obligation de l’État.

Réalisées sept jours après l’incendie d’un centre de tri, des analyses ne détectent pas de pollution

Réalisées sept jours après l’incendie d’un centre de tri, des analyses ne détectent pas de pollution

Les analyses prescrites par la préfecture du Bas-Rhin à la suite de l’incendie du centre de tri de déchets industriels de Sardi à Strasbourg ne détectent pas de pollution anormale. Mais ces analyses ont été effectuées sept jours après le sinistre…

Rien à signaler. C’est du moins ce que constate le laboratoire d’analyses Aspect Service Environnement, chargé de mesurer la pollution des eaux souterraines et de surface suite à l’incendie du centre de tri de déchets industriels, survenu le 18 juillet au port du Rhin à Strasbourg. Le rapport d’analyses complet a été transmis à la Direction régionale de l’environnement (Dreal) vendredi 12 août. Rue89 Strasbourg a pu consulter ce document.

Dans un arrêté du 20 juillet, la préfecture du Bas-Rhin avait ordonné à la Société alsacienne de recyclage et de triage des déchets industriels (Sardi), l’exploitant du site incendié, à mener des « investigations d’urgence », comme l’avait relaté Rue89 Strasbourg. « Les eaux d’extinction de cet incendie n’ont pu être efficacement retenues sur site (…), ces eaux polluées par les produits de combustions et d’extinction ont rejoint la darse proche », expliquait l’arrêté. La darse étant un bras du Canal d’Alsace, lui-même connecté au Rhin.

Une centaine de pompiers ont été mobilisés pour circonscrire les flammes. Photo : Protection civile du Bas-Rhin

Vingt paramètres testés

Les analyses qui devaient être réalisées « au plus tôt » selon l’arrêté de la préfecture n’ont été effectuées que le samedi 25 juillet, soit sept jours après l’incendie. Le laboratoire mandaté par Sardi a effectué des prélèvements à quatre endroits, dans les eaux souterraines, en amont et en aval du site industriel. Ces données ont ensuite été analysées entre le 25 et le 29 juillet. Aucun des vingt paramètres (qualité physico-chimique, présence de métaux lourds, de micropolluants, etc.) testés dans l’eau prélevée ne présente des concentrations supérieures à la limite règlementaire. Le laboratoire conclut à la conformité des quatre échantillons.

Lors de l'incendie du centre de tri et de déchets industriels de Sardi, 2 000 m² de matériaux non dangereux, tels que du bois ou des encombrants, ont pris feu, sur les 8 000 m² que compte le site implanté au 15, route du Rohrschollen au sud de Strasbourg. Plus de cent pompiers et une quarantaine d'engins ont été mobilisés pendant près d'une journée pour endiguer les flammes. Le sinistre n'a fait aucune victime.

Avec plus de 300 logements de standing en construction, brusque embourgeoisement des quartiers Gare et Koenigshoffen

Avec plus de 300 logements de standing en construction, brusque embourgeoisement des quartiers Gare et Koenigshoffen

Dans les quartiers Gare et Koenigshoffen, quatre projets de logements neufs seront livrés en 2024 et en 2025 sur l’axe qui sépare l’ouest du quartier Gare à Koenigshoffen. La majorité des logements sont vendus à des prix au-dessus du marché.

Lorsque l’on remonte la rue de Wasselonne, des permis de construire fleurissent un peu partout sur les façades. Quatre projets de logements neufs, sur les 53 en cours à Strasbourg selon le site SeLoger, sont situés sur l’axe qui relie le quartier Gare à Koenigshoffen, passant par la rue de Wasselonne, la rue de Koenigshoffen et la route des Romains. La dynamique de construction n’est pas nouvelle : en 2016, le plan local d’urbanisme fixait un objectif de 45 000 logements supplémentaires en 15 ans pour les 33 communes de l’Eurométropole de Strasbourg, avec un rythme de 3 000 constructions annuelles.

Suzanne, une habitante du quartier Gare depuis 30 ans, s'inquiète pour le cadre de vie du quartier :

"La rue de Wasselonne bouchonne déjà aux heures de pointe car elle est connectée à l'autoroute. Les voitures sont immobilisées pendant des heures, ce qui apporte son lot d’effluves de pollution et de coups de klaxons. Ces nouveaux logements vont rendre la circulation quasi-impossible dans une rue déjà considérée par les riverains comme “sacrifiée”. J'ai posé des questions aux élus, mais je n'ai obtenu que des réponses vagues..."

Marie-Dominique Dreyssé, adjointe (EE-LV) à la maire et référente du quartier Gare, se veut rassurante :

"Ce sont des désagréments qui offrent des améliorations du cadre de vie. On utilise des espaces bâtis pour faire du neuf, cela va redynamiser et permettre d'amener d'autres populations dans ces quartiers".

Des appartements très chers

Sur la façade de l'ancien centre de formation des Compagnons du devoir, au 23 rue de Wasselonne, un gros panneau aux allures de galerie d'exposition présente le "Nouvel Art", des "appartements neufs de standing". En effet, sur 125 logements prévus, 81 seront proposés à la vente par le groupe Kaufman & Broad pour des prix allant de 5 620 euros le mètre carré (m²) pour un trois pièces avec parking, jusqu'à 8 598 euros le mètre carré pour un cinq pièces de 111,6 m² avec parking et terrasse. Ces prix sont largement supérieurs aux prix du quartier, qui se situent autour de 4 547 euros le mètre carré en moyenne dans le neuf et l'ancien, selon le site SeLoger. Le promoteur n'a pas souhaité répondre à nos questions sur le détail des tarifs et des ventes déjà effectuées.

Au 23 rue de Wasselonne et 12 rue d'Obernai, deux bâtiments de logements de "standing" portés par Kaufman & Broad se construisent dans le quartier Gare. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Plusieurs agents immobiliers trouvent ces tarifs très élevés pour le quartier, à l'image de Solveen Dromson, de l'agence immobilière du même nom située dans le quartier Gare :

"Les prix des logements neufs sont toujours un peu plus élevés que le logement ancien, de l'ordre de 20 à 30%. Cela s'est accentué avec le Covid et la guerre en Ukraine, le prix des matériaux ayant augmenté, les normes énergétiques sont aussi plus exigeantes. Néanmoins, avec de tels tarifs, et même si les prestations sont de bonne qualité, il est possible que dans 10 ans, les acheteurs ne puissent plus revendre leur bien à ces prix-là. On ne sait pas si le quartier Gare aura toujours le même attrait dans quelques années."

Du logement social et étudiant

Dans ce bâtiment au 23 rue de Wasselonne, 44 appartements ont été réservés par CDC Habitat pour du logement social. Depuis 2014, la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) impose aux communes de plus de 3 500 habitants de disposer de 25% de logements sociaux. Strasbourg comprend actuellement 30,93% de logements sociaux mais l'Eurométropole dans son ensemble n'en compte que 16%, alors qu'elle comptabilise 23 000 demandes pour ces logements en 2022.

L'extension de l'internat des Compagnons du Devoir se construit rue de Wasselonne et devrait être livré pour 2024. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Un peu plus loin, au 2 rue de Wasselonne, l'extension de l'internat des Compagnons du devoir est en cours de réalisation. L'internat sera réservé aux apprentis comme l'explique Cécile Simonin, responsable du pôle Développement et maîtrise d'ouvrage pour CDC Habitat, co-porteur du projet d'internat :

"Cette opération a pour vocation d'aider les jeunes compagnons à se loger en proposant 55 logements adaptés à leurs revenus. Faire du logement social dans ces quartiers, c'est aussi permettre la mixité sociale. On attend une mise en location pour août 2023. Une fois l'internat fini, les Compagnons vont libérer leur bâtiment au 23 rue de Wasselonne pour déménager dans leurs nouveaux locaux."

À la sortie du quartier Gare, un commerce bientôt transformé

En liquidation judiciaire en août 2020, le bâtiment de l'ancien supermarché oriental El-Hardi, à la sortie du quartier Gare, est à l'abandon depuis plusieurs années. Jean-Sébastien Scharf, de la société immobilière du même nom, a acquis le terrain en 2017. Depuis, les travaux n'ont pas commencé, faute d'accord avec la Ville sur la forme du projet, selon le propriétaire, qui prévoit la livraison du bâtiment pour la fin de l'année 2024.

Un local commercial de 275 mètres carrés devrait être construit au rez-de-chaussée. Les deux étages suivants seront investis par deux bureaux d'entreprises de 250 mètres carrés chacun. Pour Jean-Sébastien Scharf, c'est une recomposition positive de ce quartier :

"Il y a eu une intéressante interrogation sur le dynamisme du secteur. On est sur l’entrée de la ville, donc la Ville est exigeante sur l’architecture et sur l’animation de ce quartier qui évolue. On a développé un projet qui se marie bien avec ce quartier passant, auquel s'est ajouté le tram récemment."

En plus de ces locaux, 48 logements seront construits, dont 14 logements sociaux répartis dans le bâtiment. Les logements en accession directe se situeront entre 6 436 et 7 012 euros le mètre carré pour un studio, et autour de 5 700 euros le mètre carré pour les deux, trois et quatre pièces, tous avec terrasse, et deux logements cinq pièces à 3 632 euros le mètre carré sans terrasse. "Un tarif abordable" compte tenu de la rareté du logement neuf à Strasbourg, selon Jean-Sébastien Scharf qui considère les nouvelles constructions "extrêmement rares" dans ce quartier. Ces tarifs, bien que moins cher que ceux pratiqués par Kaufman & Broad au "Nouvel Art" restent plus élevés que ceux du quartier Gare et de Koenigshoffen, en moyenne de 4 547 euros et 2 508 euros au mètre carré selon le site SeLoger.

Deux résidences à Koenigshoffen

Un peu plus loin sur la route des Romains, derrière le chantier du nouveau centre de formation des Compagnons du Devoir, onze bâtiments de logements sont construits par les promoteurs Pierres et Territoires et Bouygues Immobilier. Le premier projet "Le Forum" accueillera 104 logements, dont 27 logements sociaux gérés par Habitation Moderne. Le deuxième, "L'Inattendu" au 117a route des Romains, proposera environ 116 logements en accession à la propriété privée, 65 en logement social géré par Habitation Moderne et 78 logements locatif libre auprès de Habitation Moderne et CDC Habitat.

Pierre Ozenne, adjoint (EE-LV) à la maire en charge des espaces publics et référent du quartier de Koenigshoffen, explique un besoin d'adaptation :

"L'offre en logements sociaux est historiquement importante à Koenigshoffen. Aujourd'hui ce sont des logements du parc privé qui permettent que les habitants soient suffisamment nombreux pour faire vivre les commerces présents. Puis il y aura les étudiants des Compagnons du devoir qui vont venir déjeuner, se reposer entre les cours. Il faut qu'il y ait une vie dans ces faubourgs, afin qu'ils ne deviennent pas des dortoirs. "

En plus des logements sociaux, 16 logements du projet Pierres et Territoires commercialisés par Opidia, un projet d'Habitation Moderne, seront accessibles par le dispositif de prêt social location accession (PSLA), qui permet pour des personnes dont les revenus sont inférieurs à un certain plafond de ressources d'acheter l'appartement neuf après une période de location, profitant de certains frais réduits lors de l'achat (TVA à 5,5%, exonération de taxe foncière pour 15 ans).

Des prix supérieurs au marché actuel

Les prix des logements se situeront entre 3 940 euros et 4 118 euros le mètre carré et il ne reste plus que neuf lots à vendre selon Pierres et Territoires. Pour le projet de Bouygues, les prix de vente se situent entre 3 925 euros à 5 330 le mètre carré pour des deux, trois et quatre pièces. Seuls 22 logements sont encore disponibles en août 2022, preuve que ces prix sont "tout à fait conformes à ceux du marché, sinon ils ne se vendraient pas", selon Florence Hauvette-Schaetzle, directrice générale Région Est chez Bouygues Immobilier.

Selon les promoteurs, les ventes dans ces quartiers sont en majorité pour des résidences principales, des familles et des jeunes actifs qui souhaitent devenir propriétaires. Mais il y a sans doute aussi des achats pour mettre ces logements en location, un levier important de la promotion immobilière grâce aux avantages fiscaux successifs, les derniers en date relevant de la Loi Pinel.

Ces prix conséquents s'expliquent en partie par "l'augmentation des coûts de construction ainsi que la rareté des terrains dans l'Eurométropole", selon Me Claudine Lotz, présidente de la Chambre des notaires du Bas-Rhin. Au premier trimestre 2022, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), relève que les prix moyens au mètre carré des appartements neufs sont passés de 3 970 euros à 4 130 euros, soit une augmentation de 160 euros par mètre carré en un an. Dans le même temps, le nombre d'appartements neufs vendus dans l'Eurométropole de Strasbourg a diminué de 11% par rapport au premier trimestre 2021.

Des logements "inclusifs"

Malgré cette tendance, Pierre Ozenne trouve ces logements neufs plus "inclusifs" :

"Il faut voir cela comme un ensemble cohérent, les logements seront conformes aux normes énergétiques, alors qu'actuellement c'est un quartier peu cher parce qu'il y a beaucoup de logements obsolètes. C'est aussi adapté à la population vieillissante, avec des logements adaptés à une mobilité réduite, qui pourra par exemple leur permettre de continuer d’habiter dans le faubourg. Moi j’appelle ça développer un quartier de manière équilibrée."

Inscrits à Pôle Emploi, sept adultes en reconversion contraints de suivre une formation bidon

Inscrits à Pôle Emploi, sept adultes en reconversion contraints de suivre une formation bidon

Depuis le 10 mars 2022, huit adultes suivent une formation en développement informatique de l’organisme ID Formation à Strasbourg, financée par Pôle emploi. Depuis cinq mois, les stagiaires dénoncent des supports de cours repris d’internet et une formatrice incapable de les expliquer. Sept d’entre eux se disent contraints de rester dans la formation par crainte de devoir rembourser les allocations perçues.

« Moi j’ai fait une croix sur ce titre professionnel, je suis très gênée de me présenter à l’examen de novembre avec les compétences que j’ai actuellement », se désole Elisa. Depuis le 10 mars 2022, la jeune femme en reconversion suit une formation dispensée par l’organisme ID Formation, basé à Lille et ayant des locaux à Strasbourg, au 15 rue Jacobi-Netter, dans le quartier Hautepierre-Poteries.

Financée par Pôle emploi et la Région Grand Est, cette formation de développeur peut donner accès à une allocation spécifique pour la formation (AREF), dont disposent sept stagiaires de la promotion. La formation est censée, en huit mois et à raison de 30 heures par semaine, apprendre à Elisa et ses sept autres camarades de promotion à concevoir et développer des applications. Mais les stagiaires sont contraints aujourd’hui de se former eux-mêmes tant la qualité des cours est mauvaise. Ils restent par crainte de perdre leurs droits.

Inscrits à Pôle emploi, sept adultes en reconversion suivent une formation bidon depuis mars. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

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Pour plus d’un quart des Alsaciens, l’eau du robinet dépasse les normes de concentration en pesticides

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Ciné-cool : du 20 au 27 août, les cinémas Star projettent des histoires de rencontres bouleversantes à 4 euros 50 la séance

Ciné-cool : du 20 au 27 août, les cinémas Star projettent des histoires de rencontres bouleversantes à 4 euros 50 la séance

Du 20 au 27 août, les cinémas strasbourgeois réduisent le prix de la séance à 4 euros 50 dans le cadre du festival Ciné-cool. Les salles obscures du Star et Star Saint Exupéry ont programmé des films centrés sur les rencontres, celles qui bouleversent nos vies comme celles qu’on aimerait oublier à tout prix.

L’édition 2022 du festival Ciné-cool, ce sont des rencontres dans tous les sens. Du 20 au 27 août, les cinémas Star proposent une programmation pleine d’apparitions, de tête-à-tête difficiles, de coups de foudre, de retrouvailles ou de complicité inattendue. Au-delà des films, l’établissement d’art et d’essai donne l’opportunité d’assister à ces séances en présence des réalisateurs et réalisatrices. Petite sélection des meilleures occasions de la semaine.

La page blanche, une enquête sur soi-même

Pour commencer, le festival Ciné-cool nous propose une histoire de rencontre avec soi-même. Samedi 20 août, à 20h30, le cinéma Star Saint-Exupéry projette en avant-première le film « La page blanche » en présence de sa réalisatrice Murielle Magellan. Le long-métrage raconte l’histoire d’Eloïse qui se retrouve prise d’amnésie, assise sur un banc parisien. Le personnage principale, incarnée par l’actrice Sara Giraudeau, « se lance alors dans une enquête pleine de surprises pour découvrir qui elle est. »

Extrait du film « La page blanche » de la réalisatrice Murielle Magellan Photo : document remis

Rencontres sans lendemain, apparition après dix ans d’absence

Lundi 22 août, le cinéma Star nous plonge dans la filmographie du réalisateur Paul Newman. « De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites » raconte la vie d’une mère seule avec ses deux filles adolescentes. La femme de quarante ans « tente de rompre la routine en faisant des rencontres qui sont toujours de courte durée ». Le film est projeté au cinéma Star à 19 heures.

S’ensuit à 21h10, dans le même cinéma, la projection du long-métrage « Le clan des irréductibles ». Ce dernier raconte l’histoire d’une rencontre avec un revenant. Dans l’Oregon, les bûcherons galèrent et se mettent en grève. Alors que la famille Stamper se tient en retrait du mouvement social, la population locale montre une hostilité croissante à leur égard. « C’est alors que Leland, le cadet, le fils prodigue, revient après dix ans d’absence. »

Blanche Gardin et un ancien camarade, un peu envahissant

Mardi 23 août, à 20 heures au cinéma Star Saint-Exupéry, la programmation du festival vient nous rappeler que toute rencontre n’est pas toujours bonne à prendre. Dans « Tout le monde aime Jeanne », Blanche Gardin se met dans la peau d’une femme appréciée de tous qui finit par se détester : « Surendettée, elle doit se rendre à Lisbonne et mettre en vente l’appartement de sa mère disparue un an auparavant. A l’aéroport elle tombe sur Jean, un ancien camarade de lycée fantasque et quelque peu envahissant. » La projection est une avant-première pour ce long-métrage de la réalisatrice Céline Devaux, qui sera présente pour échanger avec le public après la séance.

Extrait de « Tout le monde aime Jeanne », de la réalisatrice Céline Devaux. Photo : document remis

Vendredi 26 août, le cinéma Star a programmé le film « Tout fout le camp » du réalisateur Sébastien Betbeder, qui sera présent pour la projection de cette avant-première. Le long-métrage nous plonge « dans une ville de Nord de la France, où Thomas, pigiste au journal local, doit faire le portrait d’Usé, un musicien atypique et ancien candidat à l’élection municipale. » Mais cette rencontre donne lieu à une découverte macabre, celle du « corps inanimé de Jojo ». Sauf que celui-ci ressuscite…

Clôture avec « Chronique d’une liaison passagère »

Samedi 27 août, le cinéma Star Saint Exupéry projettera le film « Chronique d’une liaison passagère » en présence de son réalisateur Emmanuel Mouret à 20 heures. Dans ce long-métrage, l’actrice Sandrine Kiberlain incarne une mère célibataire qui rencontre un homme marié, joué par l’acteur Vincent Macaigne. « Engagés à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux, ils sont de plus en plus surpris par leur complicité… »

À Sélestat, les vieux tracteurs transmettent le souvenir de l’Alsace campagnarde

À Sélestat, les vieux tracteurs transmettent le souvenir de l’Alsace campagnarde

Fêtes d’Alsace – épisode 7. Tous les deux ans, des passionnés de vieux tracteurs se retrouvent aux Tanzmatten à Sélestat. Ils montrent leurs plus beaux modèles, parlent mécanique et carrosserie et accueillent les curieux. Une parenthèse qui fleure bon la campagne, la tradition et la transmission intergénérationnelle.

Sommes-nous dans le midwest américain ou en Alsace ? Des tracteurs anciens à perte de vue, une odeur de barbecue, un concours d’adresse où chaque tracteur entre dans l’arène comme dans un rodéo… On ne serait pas étonné de voir l’un ou l’autre chapeau de cow-boy. Mais en s’approchant, ce sont plutôt des chapeaux de paille et des casquettes d’enfant qui fleurissent çà et là, et des notes d’alsacien qui résonnent : « Da esch do’ besser ! » (« Ah c’est mieux ici ! »), s’exclame un vieux monsieur en s’installant à l’ombre de la salle communale.

Le rassemblement a lieu à Sélestat même, devant la salle des Tanzmatten Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

C’est qu’il fait 30 degrés au soleil en cet après-midi de début juillet devant la salle des Tanzmatten à Sélestat. Les nombreux visiteurs âgés restent attablés à l’ombre et échangent autour d’une bière.

Une assoce de mécanos rajeunis par la présidente

À vue d’œil, au moins 300 personnes déambulent pour observer les 130 machines qui plastronnent sur le sol granuleux, à côté de la pelouse qui accueille les défis. Elles appartiennent aux membres de l’association des vieux tracteurs du centre Alsace et à d’autres particuliers qui collectionnent ces mécaniques des temps anciens.

Plus de 130 engins s’exposent ce jour-là Photo : Pascal Bastien/Rue 89 Strasbourg

Davina Trau, trentenaire souriante à queue de cheval est la présidente de l’association qui organise cette rencontre. Elle traverse les allées comme on voyage dans le temps : « Je suis à la recherche du plus vieux tracteur, mais je crois bien que c’est encore moi qui détient le record : j’en ai un de 1947 ». Résidente d’Ebersheim, à quelques kilomètres de là, elle a toujours été passionnée de mécanique auto mais c’est à travers son père qu’elle s’est découvert une passion pour les machines agricoles anciennes :

« Mon père voulait retaper des tracteurs à sa retraite. J’ai été chargée de lui trouver son premier. À force de recherches, je me suis prise au jeu. Je me suis mise à réparer avec lui, je lui étais bien utile avec mes mains plus fines, pour les faisceaux électriques, le travail minutieux… »

Davina Trau et l’un de ses quinze tracteurs. Depuis cinq ans, elle a rajeuni et dynamisé l’association. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

« On se retrouve en tracteur, on sort les boissons et les chips »

Le virus se propage alors dans toute la famille. Entre elle, son père, sa sœur et son conjoint, ils possèdent une quinzaine de tracteurs, surtout des Massey-Harris canadiens, entreposés dans les hangars de l’exploitation céréalière de son père.

L’ambiance de l’association est à l’image de celle qui la préside depuis cinq ans :

« En proportion, on est passé à une moitié de jeunes et une moitié d’anciens. Il y a une bonne ambiance entre nous, on fait des sorties et des Tract’apéros : on se retrouve quelque part en tracteur, on se pose et on sort les boissons et les chips ! »

L’autre volet de l’association, cher à son cœur, c’est l’entraide :

« Les membres se passent des tuyaux, vont les uns chez les autres pour aider à retaper, se donnent les filons pour trouver telle ou telle pièce… »

Pour elle, c’est là que la présence des anciens est précieuse, car les connaissances se perdent, « on parle de modèles qui ont parfois 60 ans » précise-t-elle. « Mon père ne savait pas comment faire marcher une moissonneuse-lieuse, alors c’est un ancien mécanicien agricole qui lui a appris. C’est très important ce lien intergénérationnel chez nous ».

Denis, retraité qui habite dans le coin (il ne veut pas dire où exactement) a été « sage », il n’est venu qu’avec trois de ses tracteurs alors que chez lui, il en a « un hangar rempli ». La spécificité de ses bébés ? Ce sont des tracteurs forestiers :

« C’est l’histoire de ma famille qui perdure dans ces tracteurs, puisque mon père travaillait dans le bois. C’est simple, j’ai grandi sur des engins comme ça ».

Si on ne l’arrête pas, Denis peut parler des heures de ces tracteurs qui « coûtent quatre fois plus chers qu’un tracteur normal » à cause « des équipements ».

Un vieux tracteur, ça peut vouloir dire plein de choses : un forestier, un agricole, une lieuse, une batteuse… Les visiteurs adhèrent ! Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Ils sont plusieurs « exposants » à être venus avec des tracteurs en série : il y a les modèles français (Renault, Someca), les allemands (Porsche, Allgeier), américains (Massey-Harris), les vieux de chez vieux, les retapés et rutilants, ceux des années 50 et ceux des années 70. Les collectionneurs les bichonnent, se tiennent à proximité pour répondre aux questions des passants ou font un petit tour. Quand on entend un bruit de locomotive à vapeur, c’est qu’un des monstres des années 50 démarre, crachant une fumée grise de par le pot avant. Il n’en faut pas plus pour voir s’agglutiner les visiteurs.

Deux vieux Lanz-Bulldog, qui portent bien leur nom, dont les roues font la taille d’un grand enfant, s’apprêtent à partir. Les chauffeurs s’installent et vissent le volant sur sa base, sous les yeux des aficionados avertis : « Le départ est laborieux, mais une fois les machines chaudes, ça va vite hein, dis donc ! », souffle un quidam aux cheveux argentés à son camarade. Effectivement, les Bulldog accélèrent et voilà qu’ils coupent la route à un minuscule tracteur bleu, spectateur impuissant, pas plus grand qu’une tondeuse à gazon.

Attirer ceux qui n’y connaissent rien

Certes, les têtes blanches sont nombreuses. Un certain nombre de personnes en fauteuil roulant déambulent également dans les allées. Mais il y a aussi des groupes de jeunes, des couples et des familles.

On les retrouve surtout là où les tracteurs font « le show ». Sur la pelouse, des barrières sont installées pour délimiter un petit parcours. Les participants entrent chacun leur tour, qui, seul au volant, qui, avec les enfants, pour accomplir le plus vite possible trois épreuves : passer entre deux pneus sans les toucher, s’arrêter pour traire une (fausse) vache, actionner un mécanisme avec la roue du tracteur pour verser de l’eau dans un seau. Un travail d’orfèvre !

Debout derrière la barrière, une petite famille est aux anges : Ophélie et Elena, 5 et 7 ans, fixent la vache, leur animation « préférée ». Leurs parents, Cindy et Mickaël avaient vu « des affiches de l’événement dans le coin ». Ils viennent de Sundhouse et c’est leur première fois ici :

« On est déjà venu ce matin pour voir la parade et ça nous a tellement plu qu’on est revenu pour les animations. On espère que les filles pourront faire un tour de tracteur. »

S’ils ne sont pas spécialistes, Mickaël possède tout de même un tracteur ancien. Il aurait voulu venir à son volant, mais la distance, 14 kilomètres, a eu raison de sa motivation.

Alors que la compétition d’adresse touche à sa fin, Cindy et ses filles s’apprêtent à regarder la démonstration de battage dans sa version traditionnelle, avant que la moissonneuse batteuse soit inventée. Là, il faut la force de cinq hommes pour alimenter une grosse machine d’avant-guerre en blé, mise en branle par le moteur d’un vieux tracteur relié à une courroie. Grâce au travail de tout ce beau monde, les céréales ressortent en paille. « Les fagots ont été faits avec cette machine de 1930 ! » précise Davina en montrant une autre bête rouillée, qui semble sortie d’un musée.

À voir la variété des machines, les passionnés de mécanique et de véhicules sont au bon endroit. Et ça peut commencer tôt, Zack et Milo sont des jumeaux de trois ans et ce qu’ils adorent, ce sont « les attaches-remorques ». Ça amuse leur maman, Fanny, un coca à la main et un sourire aux lèvres. Pour l’heure, ils se « contentent » de la cabine d’un tracteur moyen aux couleurs chatoyantes.

Milo s’imagine déjà aux manettes, pendant que Zack essaye de monter sur le marche-pied. Fanny et son mari Alexandre étaient sûrs que ça leur plairait quand ils ont vu passer l’événement sur Facebook. Et puis, Alexandre connaît un exposant, venu avec quatre tracteurs. Cela fait déjà deux heures qu’ils sont là, et les enfants ont eu droit à un tour de tracteur.

Fanny et sa famille sont venus pour le potentiel magique et cartoonesque des vieux tracteurs. Il a fallu convaincre Zack et Milo d’en descendre pour participer à la photo ! Photos : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Une histoire de papas et de nostalgie

À l’unique buvette, la foule se presse pour se désaltérer sous ce cagnard. Derrière le comptoir, des fillettes de 6-7 ans demandent aux gens ce qu’ils souhaitent… avant de se tourner vers le papa au t-shirt gris, flanqué du nom de l’association des tracteurs. Elles ne peuvent pas encore actionner la tireuse.

Au stand de nourriture, Joan, François et Léo sont en poste, au cas où quelqu’un voudrait encore un hot dog après le rush de la mi-journée. Vêtus du même uniforme, ils partagent aussi une histoire d’aïeux, de passion et de transmission. « Je suis dans l’association depuis 15 ans, depuis qu’elle existe », pointe fièrement Joan, quasi-quadragénaire aux yeux clairs. « Ça a commencé quand j’ai retrouvé le tracteur de mes grands-parents agriculteurs. Comme j’aimais la mécanique, je me suis lancé là-dedans ». D’un seul tracteur, il est passé à « deux-trois… ». « Non c’est une blague », ajoute-t-il. « J’en ai six ! » Il les trouve principalement grâce au bouche-à-oreille, puis les retape avec les autres membres de l’asso.

Joan a 15 ans d’association au compteur et six tracteurs dans sa demeure ! Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Léo, lui, est membre depuis deux ans. Le jeune homme de 20 ans, plus réservé, suit les traces de son père qui est « depuis longtemps dans l’association. » Son père lui a « transmis son amour des tracteurs » mais Léo n’a pas encore le droit d’approcher ses quatre engins.

On n’aura jamais autant entendu parler de papas que cet après-midi là : Ludovic est revenu seul, après avoir fait un tour avec son paternel le matin-même. Celui-ci lui a fait connaître les tracteurs… miniatures, qui ont aussi leur espace d’exposition. Comme ça prend moins de place, ils ont le droit d’être à l’intérieur, avec la climatisation. Ludovic croise des gens qu’il connaît, il discute modèles, années, caractéristiques… Chez lui, il a « monté tout un kit à l’échelle 1/8e« .

Ludovic passe son dimanche « aux tracteurs ». Comme beaucoup, son intérêt lui vient de son père. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Il faut le laisser, car c’est l’heure de la remise des prix du concours de vitesse et d’adresse ! Davina prend le micro devant une foule dispersée, affairée à la buvette et à la discutaille, pour remercier les bénévoles et les participants. Le suspens n’est pas de mise, elle annonce tout de go le vainqueur, un certain Gilles qui rafle le premier prix avec 61 points.

Quand elle répète plusieurs fois le nom du deuxième, un retraité bénévole affecté aux tickets boissons s’exclame : « Ah, c’est moi ! »

Une tonne de plumes, du vélo acrobatique et une « grande ronde d’amour collectif »… Huit spectacles pour nous rapprocher pendant le Farse

Une tonne de plumes, du vélo acrobatique et une « grande ronde d’amour collectif »… Huit spectacles pour nous rapprocher pendant le Farse

Du 13 au 15 août, le Festival des arts de rues de Strasbourg eurométropole (Farse) s’installe dans le centre-ville. Ligne directrice de cette édition 2022 : nous rapprocher. Petit florilège des meilleurs spectacles pour y parvenir.

Se rapprocher. À rebours de la tendance à la distance initiée par la pandémie de Covid-19, le Festival des arts de rues de Strasbourg eurométropole (Farse) a pour ambition de nous rassembler. Par l’émerveillement provoqué à la vue d’un funambule sur un câble tenu par des grues, par le lâcher-prise d’une performance qui invite à la danse ou par la découverte d’une utilisation poétique et acrobatique d’un vélo… Du 13 au 15 août, 130 artistes transformeront le centre-ville strasbourgeois pour rappeler, comme l’écrit la directrice artistique de l’événement Lucile Rimbert : « Il y a le Farse pour se croiser. L’humanité n’est jamais aussi belle que quand elle joue collectif. »

« Poser les questions puis essayer de nous rapprocher »

Dimanche 14 et lundi 15 août, la compagnie Délit de façade proposera son spectacle eu deux volets (1. A Taille Humaine 2. Tu Parlais de moi sans me connaître) place Hans Arp. Ce spectacle, accessible aux enfants dès 12 ans, raconte l’histoire de « Damiane, un garçon en situation irrégulière qui disparaît de la classe où il est scolarisé. Une lycéenne se bat pour que soit entendue la vérité avec l’aide de sa prof d’art plastique. » En interlude, des acteurs d’associations de solidarité comme le Centre Bernanos et SOS Méditerranée prendront la parole.

Extrait des pièces « A taille humaine » et « Tu parlais de moi sans me connaitre », de la compagnie Délit de façade Photo : Kalimba

Samedi 13 et dimanche 14 août, dès 15 heures, la compagnie ktha jouera son spectacle de théâtre de rue « (nous) » pour 45 spectateurs, avec « deux acteurs, un cercle et des questions ». Le tout forme un cirque, « une arène toute petite vraiment toute petite posée au milieu de la ville ». Les comédiens sont au centre, regardent le public dans les yeux avec l’objectif suivant : « Toutes les questions que l’on a, te les poser droit dans les yeux et puis essayer de nous rapprocher. »

Lâcher prise et grande ronde d’amour collectif

Dimanche 14 et lundi 15 août, à 17h30, l’association « La Fabrique Fastidieuse » offrira un « spectacle de danse écrit pour la rue ; une traversée de danses et d’états qui nous poussent à danser, seul·es, ensemble, maintenant ». « Vendredi » est une pièce chorégraphique qui se veut festive, transgressive et cathartique. « Le regard du public n’est pas fixé sur une estrade. Les danseurs naviguent dans le public pour produire du lâcher prise et une danse collective », explique la directrice artistique du Farse, Lucile Rimbert.

Vendredi, pièce chorégraphique de l’association La Fabrique Fastidieuse. Chorégraphe et mise en place : Anne-Sophie Gabert et Julie Lefebvre. Photo : Christophe Raynaud de Lage

Dimanche 14 et lundi 15 août en fin d’après-midi, la compagnie Superfluu poursuivra ce même objectif d’élan collectif avec son « seul en scène immersif » intitulé « Pour toujours pour l’instant ». C’est l’histoire d’une « épopée amoureuse surprenante et inédite, une escapade au pays de l’amour naissant », racontée par l’acteur Johnny Seyx, accompagné des créations sonores de Matthieu Perrin. Le discours prend la forme d’un « décryptage de nos sentiments. Une boussole pour nous faire perdre le nord. Pour un instant, ou pour toujours ! » « C’est le genre de spectacle qui finit dans une grande ronde d’amour collectif », anticipe Lucile Rimbert.

Du vélo acrobatique et le Farse des minis

Dimanche 14 août à 17 heures, « La bande à Tyrex » sera en selle pour « un ballet cycliste musical et virevoltant qui réunit neuf personnes ». Comme l’indique le programme du Farse, « La Bande à Tyrex s’empare du vélo acrobatique et le décline en une infinité de formes, d’équilibres et de déséquilibres. Un spectacle à l’image de la bande, débridé, généreux et plein de tendresse. »

Pour les plus jeunes, le Farse de minis aura lieu au parc Heyritz. Ici, les spectacles poussent à la rencontre intergénérationnelle. Pour les petits de six mois à quatre ans, la compagnie La croisée des chemins propose un espace bébé ouvert en continu de midi à 18h le samedi et dimanche. A cet endroit, les artistes joueront des spectacles sous une yourte où ils « poussent les parents à faire confiance et laisser leur enfant bouger et danser dans la tête. C’est un spectacle à réaction libre », précise la directrice artistique du Farse. Lucile Rimbert évoque aussi une « déambulation scénographiée et sonorisée en poussettes » par la compagnie Entre Chien et Loup, le dimanche 14 et lundi 15 août.

OKAMI et les 4 saisons du cerisier, par la Cie Entre chien et loup Photo : Lieux Publics Marseille

La place Kléber devient place des anges

Le Farse sera clôturé par un spectacle monumental écrit et mis en scène par Pierrot Bidon et Stéphane Girard. « Place des anges » promet au public « des images d’anges parfaitement immaculés, qui descendent sur terre ». Dans une ambiance féérique, la place Kléber sera le théâtre d’une pluie de plumes dans la nuit, « un déluge, une profusion, une avalanche d’émotions. De la frimousse lisse des gamins aux traits burinés des anciens, les visages crient leur bonheur sans autre désir que « cela ne s’arrête jamais «  »

Extrait du spectacle « Gratte Ciel – Place des Anges » Photo : Vincent Muteau

« Place des Anges », spectacle final, lundi 15 août à 22 heures (durée 55 minutes)

Concentré sur le centre-ville après une édition dans plusieurs quartiers de Strasbourg, le Farse 2022 se déroulera jeudi 11 août dans les quartiers de la Robertsau et de l’Orangerie. Des spectacles sont programmés vendredi 12 août dans les quartiers de la Meinau et de Cronenbourg.

La place Saint-Thomas constitue le carrefour du Farse, pour prendre son programme, l’info de dernière minute, à boire ou à manger.

Isolés et sans perspective, les personnels suspendus oscillent entre travail intermittent et reconversion

Isolés et sans perspective, les personnels suspendus oscillent entre travail intermittent et reconversion

L’obligation vaccinale contre le Covid-19 pour les soignants, pompiers et autres salariés de structures médico-sociales a été renouvelée par la loi sanitaire du 30 juillet. Entre silence de l’employeur et chiffres flous, le nombre de salariés suspendus à Strasbourg est difficile à estimer.

« Ma seule solution, c’est de démissionner », se plaint Elsa (le prénom a été modifié), une ancienne secrétaire médicale aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS). Depuis le 15 septembre 2021, plusieurs métiers de la santé, mais aussi les pompiers, les gendarmes, ou encore les ambulanciers sont soumis à une obligation pour pouvoir exercer : la vaccination complète contre le Covid-19.

Pas de chiffre sur les pompiers non-vaccinés

Obtenir des données précises sur le nombre de personnes suspendues au sein d’un établissement s’avère très difficile. En effet, le chiffre varie constamment puisque des salariés suspendus démissionnent. D’autres ont contracté le coronavirus. Ils peuvent ainsi se remettre à travailler plusieurs mois.

Il y a aussi des employeurs peu disposés à communiquer sur le sujet. C’est le cas du service départemental d’incendie et de secours du Bas-Rhin (SDIS 67). Cédric Hatzenberger, secrétaire général du syndicat Force Ouvrière des pompiers du Bas-Rhin, indique que deux pompiers professionnels du département ont pris une disponibilité car ils ne souhaitaient pas se faire vacciner. Dans le rapport d’activité 2021 du SDIS 67, 535 sapeurs pompiers volontaires sont indiqués suspendus. Le délégué FO du Bas-Rhin explique qu’il est très compliqué de savoir la proportion de suspension liée à l’obligation vaccinale. Les volontaires peuvent suspendre leur contrat provisoirement quand ils le veulent, du fait d’un déménagement par exemple.

Manifestation de soignants suspendus jeudi 4 novembre 2021 à Strasbourg. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Aux HUS, de moins en moins de salariés suspendus

Pour le secteur privé, le groupe hospitalier Saint Vincent (GHSV) signale neuf personnes suspendues sur ses 1400 salariés. La clinique Rhéna compte seulement deux salariés suspendus pour un effectif de 850 personnes. L’Abrapa, la plus ancienne association d’aide et de services à la personne du Bas-Rhin, compte encore 16 suspendus sur le département pour près de 3 000 salariés. 

Aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS), les fluctuations sont importantes. Au total, les HUS comptent environ 12 000 agents. En septembre 2021, 92 suspensions étaient enregistrées. Deux mois plus tard, les suspensions concernaient 126 personnes, dont 81 soignants, 17 personnels administratifs, 12 personnels techniques, huit personnels médico-techniques et huit personnels spécialisés dans la rééducation.

Le 21 décembre 2021, ils étaient 101 salariés suspendus. Puis en mars 2022, les HUS comptaient 80 personnels suspendus. Au début de la rédaction de cet article, début août 2022, 36 personnes étaient encore concernées par une suspension, dont 22 professionnels de santé et 14 personnels administratifs. Quelques jours plus tard, les HUS indiquaient une nouvelle évolution avec 40 personnes suspendues, tous personnels confondus.

Le flou sur les démissions liées à la suspension

Les représentants syndicaux des HUS convergent tous sur un même point : l'hôpital communique très peu sur le nombre de démissions en rapport avec l'obligation vaccinale. Les ressources humaines des HUS expliquent de leur côté que "le motif de démission n'est pas précisé lors du dépôt de la lettre. Il est donc compliqué de savoir si le départ est lié au vaccin ou non et d'en faire des statistiques."

Aux HUS, une quarantaine de soignants s'est soumis à l’obligation vaccinale depuis novembre 2021. D'autres ont attrapé le Covid et pu bénéficier d’un certificat de rétablissement temporaire. Des situations administratives très compliquées à gérer pour les établissements, qui mènent à une instabilité chronique pour les salariés. Eva, psychomotricienne pour les personnes en situation de handicap à Strasbourg, le confirme : 

"Comme j’ai attrapé le Covid, j’ai pu travailler quatre mois en début d’année. C’était le bordel, mon poste avait été attribué à quelqu’un d’autre. En même temps, il fallait bien me remplacer. Quand je suis revenue, ma remplaçante a dû me rendre mon poste, mais dès le délai du certificat de rétablissement écoulé, j’ai dû repartir. Là, c’est toujours aussi flou. Si j’ai à nouveau le Covid, ça va être la même galère. Je sais qu'ils ont à nouveau engagé quelqu'un d'autre à mon poste, donc ça fera chier tout le monde niveau organisation. Cette fois, je ne reviendrai pas. C’était trop dur d’être malmenée et de faire mon deuil de mon métier une première, puis une deuxième fois." 

Des démissions malgré la vocation 

Ceux qui restent encore attachés à leur contrat commencent à perdre espoir. La fin de leur suspension dépend de l'avis de la Haute Autorité de santé (HAS), qui s’est prononcée contre la réintégration des personnels non-vaccinés le 22 juillet dernier. Deux éléments ont été mis en avant : le contexte actuel marqué par une nouvelle vague épidémique due au sous-variant BA5 de même que la sûreté et l'efficacité des vaccins pour lutter contre les formes sévères et les infections. Pour la HAS, aucune nouvelle donnée ne justifie donc la fin de l'obligation vaccinale. Avec une telle conclusion il y a deux semaines, la perspective d'une réintégration s'éloigne de plus en plus pour les suspendus.

Sophie, aide-soignante intérimaire depuis près de 30 ans, évoque son métier avec passion et nostalgie :

"Je n’ai pas envie de faire autre chose. Quand la pandémie s’est déclarée, je me suis sentie comme un soldat qui part à la guerre. Avoir été jetée comme ça, quand on donne tout pour son métier, c’est très violent psychologiquement. Aide-soignante est pourtant un métier épuisant, mais j’étais prête à rester un temps dans la précarité pour reprendre dès la fin de l’obligation. Là, je songe sérieusement à faire une autre formation. Au-delà d’un contrat, c’est une vraie vocation avec laquelle je romps."

Même lassitude pour Cécile, qui travaillait avec les personnes handicapées dans le Haut-Rhin, depuis plus de cinq ans : 

"Je n’y retournerai plus. J'ai eu l’impression d’être une pestiférée. J’ai dû partir du jour au lendemain sans pouvoir dire au revoir à tous mes patients. Quand on aime son boulot, c’est compliqué à vivre d’être rejetée comme ça."

La suspension due à l’obligation vaccinale, une "prison contractuelle"

Kévin Charrier, avocat spécialisé en droit social, analyse : 

"Les soignants n’avaient pas l’intention de changer de filière. Dans ce secteur, vous n’avez souvent que des compétences et une formation adaptée pour le milieu de la santé. C’est donc très compliqué de trouver un emploi dans un autre secteur, non soumis à la vaccination. Ils doivent se tourner vers des emplois précaires, hors de leur cœur de métier. C’est une solution financière à court terme. Les concernés ont pris un gros coup avec le dernier avis de la Haute Autorité de santé."

La reconversion, c'est justement le choix de Cécile, ancienne accompagnante éducative et sociale pour personnes handicapées : 

"J'ai enchaîné plein de boulots différents, que du court terme, des postes de nuit, à Leclerc, chez un apiculteur, je me suis vite retrouvée dans la précarité. J'ai fini par changer de domaine et aujourd'hui je travaille avec les chevaux. "

Manifestation de soignants suspendus jeudi 4 novembre 2021 à Strasbourg. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Kévin Charrier : "Un cadre légal inédit en droit du travail"

"Le cadre légal de l’obligation vaccinale est réellement inédit en droit du travail", estime Kévin Charrier. Il crée un nouveau statut qui n’avait jamais existé auparavant : une suspension sans rémunération, pour une durée indéterminée. Et avec la loi sanitaire du 30 juillet, qui lie la réintégration à l'avis de la HAS, cette durée risque encore de s'allonger. Pour Kévin Charrier, ce statut enferme le salarié dans son contrat :

"Au moment des discussions autour de la loi du 5 août 2021, le gouvernement avait envisagé la possibilité de licencier les salariés. Une option qui a été supprimée, car jugée trop coercitive. Pourtant, le licenciement aurait permis d’avoir des supports d’accompagnement tel que pôle emploi ou l’assurance-chômage. Tout un tas de salariés se sont retrouvés du jour au lendemain avec une fiche de paye à zéro et aucun service pour les prendre en charge financièrement, à part le revenu de solidarité active (RSA). C’est compliqué de lâcher son travail quand il faut s’auto-financer pour sa reconversion."

La rupture conventionnelle reste possible dans les textes, mais elle n’est pratiquement jamais accordée par l’employeur. "Cela coûterait trop cher, le salarié non vacciné travaille parfois pour l’entreprise depuis plus de 20 ans", explique Maître Charrier.

À Colmar, une secrétaire a pu réintégrer un Ehpad

Moins d’une dizaine de décisions sur la réintégration de personnels suspendus ont été rendues par des conseils de prud’hommes. Lancer une procédure auprès d'un conseil des prud'hommes dure en moyenne un à deux ans.

Manifestation de soignants suspendus jeudi 4 novembre 2021 à Strasbourg. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Les procédures en référé, c'est-à-dire en accéléré, qui doivent prévenir un dommage imminent, n'aboutissent que dans des cas très particuliers. Le 16 février 2022, le conseil de prud'hommes de Colmar a annulé en référé la suspension d'une salariée comptable au sein d'un Ehpad. Elle occupait un bureau avec un accès propre, sans contact avec la clientèle. Les juges ont donc considéré que l'employeur aurait pu prendre des mesures pour éviter tout contact avec des personnes à risque. Elle a donc pu reprendre le travail et a obtenu le remboursement de ses salaires lors de la période de suspension.

L’attente de la décision du Conseil constitutionnel 

Cette décision du conseil de prud'hommes de Colmar reste une exception, comme en témoigne l'avocat Kévin Charrier :

"Pour une procédure qui aboutit, ce sont 25 procédures qui n’aboutissent pas. En matière de référé aux prud’hommes, la grosse majorité des juridictions répondent qu’elles ne sont pas compétentes pour statuer sur le fond et qu’il faut passer par la procédure classique. Quand on est amené à conseiller des salariés, on leur explique que l’action a très peu de chance d’aboutir. Pour l’instant, la seule porte de sortie pour le personnel suspendu dépend du Conseil constitutionnel, qui n’a pas encore tranché sur cette question."

Plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été déposées devant l’instance constitutionnelle, depuis 2021. Ce droit est reconnu à toute personne lors d’un procès : elle doit alors montrer qu’une loi porte atteinte aux droits et libertés inscrits dans la Constitution. Mais aucune n'a abouti pour le moment.

Le dernier recours date de juin 2021. L'avocate d'une employée dans une résidence séniors à Mèze a indiqué à France Bleu Hérault vouloir rédiger une QPC. Elle compte s'appuyer sur la durée de suspension de salaire, qui devait être temporaire mais se prolonge sans cesse, même au delà de l'état d'urgence sanitaire. Pour elle, cette loi "porte atteinte aux libertés fondamentales". Pour être menée devant le Conseil constitutionnel, la QPC doit passer par un premier filtre, soit la Cour de Cassation, soit le Conseil d'Etat, qui a trois mois pour décider de transmettre ou rejeter la requête. Si la demande est transmise, les Sages auront alors eux aussi trois mois pour rendre une décision, d'ici fin 2022.